Sorj CHALANDON
Enfant de Salaud
Editions Grasset, 2021 (336 pages)
Des vies en lambeaux
« Ton père
pendant la guerre, il était du mauvais côté », une phrase qui ne cessera
de hanter le narrateur tout au long de son récit poignant. Dans son roman
autobiographique Enfant de salaud, Sorj Chalandon se livre à cœur ouvert
et sans retenue, exposant crûment une réalité durement vécue. A travers un
parallélisme qui se prolonge jusqu’à la fin du roman entre un père absent et
trop présent à la fois, accusé de collaboration et le criminel de guerre nazi,
Klaus Barbie, nous assistons à une double condamnation : le premier est
condamné par son propre fils, le second, par la justice mais aussi par les voix
affaiblies et tremblantes des rescapés venus témoigner, qui malgré tout résonnent
fort dans les consciences.
« C’est là
», nous entrons de plain-pied avec l’auteur dans un lieu-clef de
l’histoire : la Maison d’Izieu où de jeunes juifs ont trouvé refuge. Cette
maison est la représentation ultime de la cruauté et des atrocités commises par
les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La rafle d’Izieu laisse dans
l’esprit et le cœur du journaliste (l’auteur) des marques profondes. Un lieu
qu’il aurait aimé que son père voie dans l’espoir de faire surgir en lui
quelque émotion ou quelque humanité qu’il voudrait croire enfouie en lui.
Le père, qui
est en effet, un mythomane colérique doublé d’un mégalomane délirant, fera de
sa guerre un récit héroïque et patriotique… Mais qu’avait réellement été sa guerre ?
Sorj Chalandon devra faire ses propres recherches afin de découvrir le
personnage complexe qu’est son père. Un résistant ? Un
collaborateur ? Un communiste ? Un déserteur ? Un peu tout à la fois ? Il retire couche
après couche les mensonges accumulés durant des années. Chaque couche étant un
coup asséné, une gifle reçue rouvrant les plaies d’une enfance ponctuée de
violences. « Bonhomme ! » c’est comme cela que son père le
surnommait enfant lorsqu’il lui racontait ses « prouesses » de
guerre. « Bonhomme ! » c’est comme cela qu’il continuera de
l’appeler adulte. Mais l’auteur n’est plus dupe ! Ce mot deviendra pour
lui le symbole d’une enfance entachée des fantasmes et des illusions d’un
géniteur refusant d’accepter sa défaite.
Klaus
Barbie : un individu déroutant. Bien qu’il soit un personnage principal
autour duquel s’articule l’œuvre, on ne peut que remarquer le rôle auxiliaire
qu’il s’attribue à lui-même. Il sera en effet un personnage secondaire dans son
propre procès. Les rares fois où il acceptera de comparaitre, le narrateur ne
pourra que noter son rictus provocateur et son regard hautain qui se perd dans
une salle qu’il ne voit pas. Aucun signe de gêne, de remords ou de culpabilité.
Le criminel nazi demeure indifférent, voire moqueur devant la souffrance des
victimes.
A travers le
procès que l’auteur couvrira en tant que journaliste politique, son rôle ne se
limitera pas seulement à rapporter les faits mais à les faire revivre dans un
style voulu simple qui vise à mettre en valeur l’importance des témoignages
recueillis afin de mieux rendre hommage aux victimes. Ce roman met donc
l’accent sur l’histoire personnelle (avec un petit h !) et tumultueuse d’un
fils désireux de confronter un père dans le déni de toutes ses actions mais
aussi, sur l’Histoire (avec un grand H) d’un pays meurtri par l’Occupation. Un
devoir de mémoire implicite que l’auteur nous invite à partager dans sa
globalité par le biais du double procès.
Lily
Naim
Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Université
Saint-Joseph, Beyrouth
Christine ANGOT
Le Voyage dans l’Est
Edition Flammarion, 2021 (279 pages)
Un mal insoupçonné
« Un jour
l’un de nous deux tirera sur la corde et je remonterai à la surface puis je
replongerai. » Ce sont les paroles adressées dans une lettre par Pierre Angot à
sa fille Christine. Elles prédisent bien la tournure que prendra la vie de
Christine. Elle sera plongée dans un tourbillon infernal, où l’inceste est le
seul vent que le père veuille bien faire tourner. Il ne détruira pas seulement une relation
père/fille, mais aussi l’estime, la dignité, la santé physique et psychique
ainsi que l’avenir d’une enfant de 13 ans qui ne souhaitait que la
reconnaissance de son géniteur. Ces nombreux abus par ascendant, constants, ne
prendront fin que plusieurs années plus tard alors que Christine est âgée de 28
ans. Cependant, cette fin ne parviendra pas à effacer les années de douleurs,
de rejets, d’isolement, de destruction et d’autodestruction, surtout que le
criminel échappera à tout remords et à toute poursuite, une maladie
neurodégénérative lui offrant sur un plateau d’argent la chance de tout oublier
(mais il ne s’en souciait déjà pas).
Aucune plainte
n’a jamais abouti, et la seule source de délivrance pour la narratrice sera l’écriture
qui finira par devenir son havre de paix.
Dans une
situation d’inceste où règnent manipulation et abus de pouvoir, toutes les
formes de l’amour se retrouveront brouillées. Alors que « aimer »
veut dire vouloir le bien de l’autre au détriment du nôtre, dans ce roman la perversité
prend le dessus, et l’humiliation constante que subit une jeune fille
impuissante, n’ayant jamais connu de relation saine et véritable avec un
partenaire aimant, la détruira à petit feu.
Christine Angot
est à la fois écrivaine, personnage et narratrice de son roman : Le Voyage dans l’Est a d’ailleurs déjà
remporté le prix Médicis 2021. L’auteure est surtout connue pour son œuvre L’Inceste (1999) qui a connu un grand
succès à sa sortie et qui a marqué un tournant important dans l’histoire de la littérature
française. On lui doit d’autres écrits comme Le Marché des amants, Une
Semaine en vacance et Un Amour impossible qui ont remporté plusieurs
prix. Elle est notamment lauréate du prix France Culture en 2005, du prix de
Flore en 2006, du prix Sade en 2012 (qu’elle refuse pour des raisons éthiques)
et du prix Décembre en 2015 pour Un Amour impossible.
Après L’Inceste
qui donne un aperçu de sa vie, Le Voyage dans l’Est raconte tout son
parcours du début de son malheur jusqu’à sa délivrance. Ce roman, à visée universelle,
casse les tabous, questionne la société et remet en cause le pouvoir
patriarcal. Il éduque pour aider à comprendre l’inceste, mettant l’accent sur ce
que ressent une victime dont la vie est à jamais brisée. L’écrivaine nous emmène
avec elle au cœur des évènements et au sein de ses pensées et ressentis. Ce
livre est émouvant et engageant, il raconte un vécu traumatisant qui secoue le
lecteur, le révolte. Pour chaque humiliation qu’elle subit, il éprouve le même
dégoût (du père, de sa seconde famille, de ses partenaires…). La confusion qui
gagne la narratrice et se reflète dans son style d’écriture bouleverse le
lecteur qui peine à comprendre que de tels actes existent. La haine et la
souffrance qu’elle éprouve et qu’elle exprime par des troubles alimentaires et
thymiques sont poignantes. L’inceste ne connaît pas de statut social. Ce roman,
qui choque, trouble, provoque, dénonce, et accuse, en est une preuve de plus. Comment
une enfant, l’âme la plus innocente et sensible au monde, peut-elle subir de
pareilles horreurs ? Pire, comment l’entourage le plus proche comme le
plus éloigné, peut-il fermer les yeux sur cette atrocité et ne pas la condamner ?
La narratrice affirme vivre à jamais avec « la sensation d’une épée qui
rentre dans le corps », et avoir « l’impression d’être dans une sorte
de néant. » Tout comme le lecteur que ce roman ne peut que marquer à
jamais.
Wadad Sawma
Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Département de Psychologie
Université Saint-Joseph, Liban
Agnès
Desarthe
L’Eternel
Fiancé
Edition de l’Olivier, 2021 (256 pages)
Music was my first love[1]
« Je t’aime parce que tu as les
yeux ronds ». Des mots retentissants que viennent étouffer la baguette du
chef d’orchestre, les voix des choristes et la mélodie. Agnès Desarthe nous
place d’emblée au sein d’un cadre musical où un premier aveu d’amour suivi d’une
première déception laissera sa marque sur le roman.
Après l’obtention du prix Renaudot des lycéens en 2010 pour son
roman Dans la nuit brune, Desarthe réapparaît avec une nouvelle aventure
sentimentale où le lecteur plonge, pris par l’émotion, l’espoir, la rêverie et la
nostalgie.
L’Eternel Fiancé trace
avec subtilité le parcours d’une fillette de 4 ans qui refuse la déclaration
amoureuse d’Etienne, ayant le même âge, parce que « ce qu’elle veut, c’est
la musique. » Le regret de cette décision va être plus ou moins le sujet
qui hante le roman et nous obsède, nous lecteurs. Qu’est-ce qui se serait passé
si elle avait répondu à cet amour ? Quels malheurs aurait-elle pu s’épargner ?
Ce moment à la salle de mariages dans la mairie va être crucial. Etienne
sera l’éternel fiancé de la narratrice sans le savoir. Elle ne le verra qu’à
l’école longtemps plus tard : « Et c’est alors que je le reconnais,»
mais lui ne la reconnaît pas. Et puis à l’orchestre : « C’est à
l’orchestre que j’ai revu Etienne». Elle continuera à le recroiser tout au long
du roman, et se souviendra à chaque fois du même moment, qui ressemble pour
elle à une ouverture musicale. « J’aimerais, comme en musique, pouvoir
tout reprendre à partir du début ». La plume de Desarthe met en évidence
cette reprise vertigineuse mais douce, douloureuse mais belle tout en racontant
les épreuves et les souvenirs qui foisonnent. Après une encéphalopathie qui
dure deux ans, elle le retrouve encore. Puis de nouveau lors de ses études à la
faculté de droit, lors de sa relation avec Yves, et même à la fin du roman, Etienne
est là, éternel. Le choix de son nom n’est pas anodin. « Etienne »
rime avec « éternel ». En plus, on trouve « tienne » dans
« Etienne », en référence à l’amour auquel tient la narratrice. Il
rejaillit à la surface comme un objet longtemps perdu dans les profondeurs de
sa conscience. Nous traquons son ombre, sa piste, son chemin quelquefois
obscur, tout en étant accompagnés de la musique, « l’amour fidèle » de
la narratrice.
Viennent rejoindre cette histoire des personnages aux destins brumeux.
Martin, le frère d’Etienne, le beau gosse du lycée avec lequel la narratrice entretient
une relation, Yves, le mari de la narratrice, un professeur de français de
douze ans son aîné, Antonia, la petite-amie d’Etienne, Vincent Melchio, l’ami
d’enfance et d’autres participent au tissage merveilleux de cette intrigue. Aussi
débarquons-nous dans le Paris des années 70, où les mini-jupes étaient à la
mode et les chanteurs comme Michel Fugain, Michael Jackson Michel Delpech et
Stone et Charden ont connu leur heure de gloire.
Ce qui nous paraît intrigant dans ce roman c’est la faible mémoire
d’Etienne. Malgré ces nombreuses retrouvailles avec la narratrice, il ne se souvient
pas d’elle. Ce refus, est-ce un refoulement ? Une réaction inconsciente
d’Etienne ? Un rejaillissement du passé ? La rencontre avec Etienne
est-elle un rêve ? La vie de la narratrice est-elle un songe ? Son
nom l’est. Il ne figure nulle part. Nous cherchons en vain un indice, une clé,
un lapsus. C’est qu’à travers l’anonymat de la narratrice, Agnès Desarthe ouvre
la voie de l’universalité à ce roman. Elle invite le lecteur à se placer dans
la peau de son personnage principal, à participer à l’écriture de cette
intrigue sans qu’il le sache. Qu’il rédige à travers cette histoire, son
histoire à lui, l’histoire qui l’inspire, l’histoire qui réveille en lui les
souvenirs.
Cette histoire d’amour agit sur le lecteur comme une madeleine de
Proust à chacune des retrouvailles des deux principaux personnages. Agnès
Desarthe réveille les souvenirs d’un volcan en éternelle éruption. La
récupération d’Etienne, à chaque épreuve, à chaque nouvelle étape de sa vie
emporte avec elle tout ce que le temps a sauvegardé, tout ce que la mémoire a
gravé, tout ce que le cœur a chanté. Un roman comme une addiction, un hymne à
l’amour, une symphonie, un hommage à l’éternité.
Laura-Maria
Mikhayel Elias
Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Université Saint-Joseph de Beyrouth
[1] Chanson de John Miles sortie en 1976
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Edition Sabine Wespieser (293 pages)
BLA(N)C
“Blanc sans
(N), ça fait BLAC. Comme quoi, sans « haine », on est égaux » précise
le chanteur Gilles Dor : même pour lire cette phrase, une culture de
l’anglais s’avère nécessaire. Au sein même du blanc, figure ‘’le’’ haine. Il ne
suffit plus de vivre l’angoisse quotidienne d’un virus mutant qui menace de
nous contaminer à chaque sortie ou rencontre mais imaginez que vous vivez aussi
un rejet de votre entourage.
Bombardés sur
les réseaux sociaux, nous sommes restés nombreux sans voix devant les vidéos
terribles qui s’animaient sur nos écrans. Des sentiments d’injustice, d’impuissance
et d’horreur ont uni les spectateurs de cette vidéo insupportable. Sous le
genou d’un policier, n’importe quelle victime innocente aurait pu se trouver
écrasée à la place de George Floyd, nous peut-être ou encore Emmett, ce jeune
adolescent au futur prometteur qui voit le déterminisme de sa société briser
ses rêves. Voilà que sa seule espérance de mener une vie ordinaire s’effondre.
Un hommage aux
victimes du racisme est rendu à travers les cris unis de voix différentes, qui
toutes finissent par former un ensemble harmonieux et vibrant. Au sein de son
œuvre, Louis- Philippe Dalembert représente les divergences de toute une société
au fil des pages et ce en adoptant un style a la fois subtil et empathique ;
il parvient ainsi à nous montrer l’unicité de toute personne dans une collectivité.
À travers les témoignages de ceux qui ont côtoyé́ Emmett au quotidien, se
dessine une peinture politique des États-Unis et se dévoile ce qu’y affrontent
les Afro-Américains. Mais s’il a autant de souffle, c’est parce qu’il veut représenter
tous les milieux défavorisés au front, en donnant la parole à toutes sortes de
personnages : femmes, hommes, Noirs, Blancs, jeunes, vieux, rasta juif,
pasteure fidèle au combat pour les droits civiques, et même flic coupable du crime.
Le fossé qu’il
faut franchir quand on est un jeune Noir élevé́ dans une famille monoparentale
modeste et qu’on est « catapulté dans un univers de Blancs
catholiques issus des classes moyennes aisées est immense. Sans oublier le
poids déraisonnable qui pèse sur les couples mixtes. »
Une vie décente
et digne, c’était la seule chose que voulait Emmett, tout comme les autres jeunes
de son âge Milwaukee Blues est davantage un plaidoyer, un appel à la tolérance,
qu’un simple roman. Il traite d’un sujet tragique et défend une cause qui ne
devrait plus exister. George Floyd et toutes les autres victimes permettent à
l’auteur français de se hisser plus haut encore pour signer un livre à portée
universelle. Un livre qui non seulement mérite son prix en Orient mais dans le
monde entier.
Elissa HELOU
Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Université Saint-Joseph de Beyrouth
Louis-Philippe Dalembert
Milwaukee Blues
Edition Sabine Wespieser, 2021 (288 pages)
L’étoile échouée
“La justice des dominants, c’est la raison du plus fort. Mieux vaut pas avoir affaire à elle.”
Ah… Les États-Unis…
Cette terre d’accueil, d’espoir, de rêve, d’avenir, de solidarité, de liberté,
d’égalité, où tout le monde peut devenir ce qu’il veut en dépassant sa
situation sociale : le self-made man comme le disent les ricains, l’émancipation
humaine dans toute sa splendeur, saupoudrée du bling-bling hollywoodien et
d’une ambition disneyfiée. Toutes ces paillettes qui donnent envie de
travailler sans repos dans des métiers dégradants juste pour parvenir au sommet
de ladite humanité selon nos amis les Américains… La gloire et l’argent. Ah…
C’est ça les Etats-Unis, c’est ce rêve qui te met des étoiles plein les yeux…
Pour mieux camoufler la misère de ta vie.
L'injustice a toujours
été au cœur de l'œuvre de Louis-Philippe Dalembert. Dans Avant que les
ombres s'effacent (Sabine Wespieser, 2017) l’auteur s’intéresse à la Shoah ;
dans Mur Méditerranée (Sabine Wespieser, 2019) des enfants fuient la
misère de leurs pays pour se réfugier dans la forteresse Europe. Dans Milwaukee
blues c'est le tour de l'injustice faite aux Noirs américains et à
l’illusion du rêve américain.
Ce rêve, Emmett
y a cru jusqu’au bout, jusqu’à son dernier souffle. On ne peut se dire qu’il
avait tort d’y croire ; c’est là tout le tragique de la situation, il avait
tout pour réussir : malgré son teint beaucoup plus bronzé qu’un verre de lait,
il était talentueux, poli, toujours prudent et obéissant vis-à-vis des flics et
même assez charismatique « pour plaire aux jeunes blanches ». Il aurait pu avoir un avenir
resplendissant ! Une histoire digne d’un film hollywoodien ! Mais comme la
réalité est loin de ce fantasme étasunien, ce gamin timide d’un mètre
quatre-vingt-deux fut le dégât collatéral de la machine à illusion ; il fut
emporté par son ambition et guidé par des investisseurs qui lui mettaient des
paillettes plein les yeux.
Loin d’être une
fiction, le roman nous plonge dès les premières pages dans la réalité en évoquant
la tragédie de George Floyd survenue le 25 mai 2020. Le point de vue adopté est
celui du gérant de la supérette obsédé par le regret qu’il a de l’avoir dénoncé :
on peut voir l’impartialité de Dalembert. Néanmoins, c'est la vie de son héros,
une figure imaginaire prénommée Emmett qui emprunte le prénom d’Emmett Till
mort en 1955 dans les mêmes circonstances que George Floyd, qui occupe la suite
du roman. À travers ces figures de victimes, Dalembert nous dévoile la face
cachée de la société américaine mais donne aussi une histoire à Emmett et
George Floyd. Ils ne sont plus des icônes, mais de vrais humains qui avaient
des rêves, des envies, des peurs, des amis, des parents et surtout de
l’ambition.
Néanmoins, l’auteur ne
se laisse pas entraîner par une dénonciation à sens unique : un
manichéisme dangereux qui pourrait diviser. Au contraire, il montre la
complexité des relations humaines au sein d’un même peuple imprégné par son
passé ségrégationniste. Dalembert a lui-même vécu à Milwaukee, il a observé
cette société malade où le racisme fait partie de la culture locale. Milwaukee
blues est un roman choral : il fait parler les concernés, avec leur
langue, leurs mots : l’oralité du récit, le registre familier complet, où
l’anglicisme est roi, montrent la volonté d’épouser le langage du peuple
véritable et non de lisser la langue pour sa beauté académique. La langue chez
Dalembert est une partie intégrante du personnage, elle décrit sa personnalité,
sa culture et surtout son milieu social. Un style qui réussit à capturer
l’argot américain général tout en préservant les spécificités linguistiques de
chacun des personnages. De ce fait, c’est une société gangrenée par le racisme,
la méfiance et surtout le sectarisme de la part de toutes les communautés du
pays qui nous est donnée à voir.
Milwaukee
blues est un long réquisitoire contre le racisme, un hommage aux victimes
mais aussi à la culture noire américaine. En effet, le Blues est au centre du
roman, de l’intitulé aux chansons mentionnées au fil des pages. D’ailleurs,
l’intitulé, emprunté au titre de la chanson de Charlie Poole n’est pas sans
ironie. Car si la chanson parle de la nostalgie de sa ville natale, le livre,
lui, inscrit cette nostalgie dans la perspective d’un retour en arrière pour
Emmett. Il veut revenir à l’enfance insouciante où son rêve n’était pas encore détruit,
comme pour en préserver l’illusion. Mais à son retour, il est assassiné. Milwaukee
blues est l’histoire d’un espoir tué, de la destinée inéluctablement
tragique des Noirs aux Etats-Unis. L’histoire d’Emmett Till et George Floyd est
mise sur le même plan. De 1955 à 2020, on voit bien que rien n’a changé : ni le
racisme ni les rêves.
Mia Hreibi
Faculté des Lettres et des Sciences
humaines,
Université
Saint-Joseph de Beyrouth
Sorj CHALANDON
Enfant de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Un
père manqué
«J’ai besoin de
savoir […] Qu’as-tu fait sous l’occupation ? Pourquoi es-tu devenu un traître,
Papa ? ».
Voilà les questions qui, dès le début et jusqu’à la fin, torturent
le narrateur de ce roman qui parle d'un homme nommé Jean, vivant avec son
fils. Cet homme a trahi son pays et n’a cessé de mentir à son fils à
propos de sa vie personnelle et professionnelle. Père menteur, c’est aussi un
traître et un excentrique violent qui n’a pas su comment aimer son propre fils.
« Tu es un enfant illégitime », « je l'ai vu habillé en
allemand, ton père », ces phrases prononcées par le grand-père vont obséder
l’esprit de l’enfant de 15 ans. Devenu journaliste, ce fils « aliéné et trahi »
part à la recherche de la vérité de son père. Suite au procès d'un criminel
nazi allemand nommé Klaus Barbie – qui était responsable du meurtre et de la
torture de nombreux Juifs – le narrateur a été choisi pour poursuivre
l'affaire. Ainsi, il a pu découvrir que son père avait porté cinq uniformes en
quatre ans. De surcroît, ce père fut quatre fois déserteur de quatre armées
différentes : « Traître un jour, portant le brassard à croix gammée, puis
patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine ». Le fils découvre
également le casier judiciaire de son père, emprisonné en 1944 pour atteinte
à la sécurité nationale ce qui a profondément choqué le
fils. L’officier en charge du cas du père a déclaré qu'il n'y avait aucune
preuve qu'il était un agent des Allemands, mais qu'il était très dangereux pour
la France.
En 1987, le fils décide, après des années de silence, de
se confronter à son père. Il lui jette tous les papiers officiels à la
figure. Devenu presque fou, le père reste sans paroles ni défense et chasse son
fils de la maison.
Composé comme un journal, ce texte de Chalandon combine
deux voies, voire, deux voix : Une histoire personnelle et un événement
historique qui est le procès de Klaus Barbie, en 1987. Entre autobiographie
et mémoire collective, le fils égaré qui rêvait d'uniformes de carnaval et de
fusils trop lourds se déchire dans une tragédie qui ne s’achève pas, voire qui
ne se terminera jamais : « Tu m'aurais avoué tout ça, le soir, en
confident secret. Peut-être n'aurais-je pas compris, mais tu m'aurais parlé,
enfin. Enfin tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais
endossé un bel habit d'homme. Un costume de père ».
Ce roman qui nous apprend beaucoup sur un père « manqué
», un père « salaud » qui n’a pas su comment aimer son fils – « c'est pas
moi enfant de salaud, le salaud qui m'a trahi » – m’a beaucoup touché et
bouleversé. La figure du père habite le narrateur. Certes, ce dernier essaie de
se libérer de ses blessures et de surmonter la tromperie. Il tente libérer son
père aussi de l’emprise du mensonge avec une langue ne cherchant toujours que
la vérité et rien d’autre que la vérité : « Non. Le salaud, c’est l’homme
qui a jeté son fils comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière,
sans la moindre vérité […] Le salaud, c’est le père qui m’a trahi ».
Faculté de langues étrangères, Département de Français,
Université de
Jordanie
Agnès DESARTHE
L’éternel fiancé
Éditions de L’Olivier, 2021 (256 pages)
Un concert musical
C'est un beau roman qui a été écrit par Agnès Desarthe et a été publié en 2021
aux Éditions de l'Olivier. L'histoire commence à la mairie quand le petit
garçon qui s'appelle Étienne a dit à la narratrice : « je t'aime parce que tu
as les yeux ronds » et qu’elle lui a répondu : « je ne t'aime pas parce que tu
as les cheveux de travers ». Quel beau départ pour un roman ! Une déclaration
d’amour très innocente crée toute une vie qui se déroule sans jamais conjurer
l’oubli du premier souvenir, voire du premier amour. Ces quelques secondes au
concert de Noël à l’âge de quatre ans vont durer toute une vie pour la
narratrice qui va toujours avancer sans jamais s’éloigner du point de départ.
Les années passent, et nous, lecteurs, nous suivons une femme depuis ses quatre
ans jusqu'à sa vie d’adulte, mariée, avec des enfants. Une vie toujours interrompue
par la réapparition d’Etienne. Ce dernier devient un autre et crée sa propre
vie avec une autre femme alors que la narratrice avance tout en restant dans ce
souvenir d’enfance. On est alors toujours dans un jeu métafictionnel avec la
narratrice. Il s’agit, en effet, d’un jeu de création d’autre vies et d’autres
trames narratives en parallèle avec l’histoire de base. Avec cette
métafictionnalité, la narratrice se redouble et redouble sa vie et, par
conséquent, sa destinée. La littérature semble bel et bien le seul outil par le
biais duquel on peut vivre une autre vie pour cette narratrice : « Je ne dis
rien de la sensation de plus en plus présente d'avoir une double vie. Celle qui
m'appartient et dans laquelle je me déplace sans joie, et l'autre dont je ne
fais pas partie et qui, néanmoins, me passionne. Une vie à laquelle je ne peux
rien retrancher ni ajouter, que je ne puis ni améliorer ni empirer, dont les
personnages ne pensent rien de moi, dans laquelle il n'y a aucun enjeu ni aucun
risque. Cette autre vie qui m'aspire et ne sera jamais ratée ni accomplie. »
Par ailleurs, « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les
cheveux de travers » va constituer le regret éternel de la narratrice. La
narration va dans tous les sens, avec toujours ce regret comme point de départ
nostalgique et mélancolique. J’ai beaucoup aimé ce roman que je pourrais
qualifier de « musical ». Dès lors, la romancière y tisse une histoire à
l’image d’un concert musical ayant toujours comme fil conducteur ce souvenir
d’un gars disant : « Je t’aime parce que tu as les yeux ronds !».
Faculté de
langues étrangères, Département de Français
Université de
Jordanie
Tanguy Viel
La fille qu’on
appelle
Éditions de
Minuit, 2021 (176 pages)
Les dérives du pouvoir
La fille qu’on appelle est un roman très intéressant de Tanguy Viel.
Laura, fille de Max Le Corre, travaillait comme mannequin. L’histoire commence
avec son retour dans sa ville natale pour chercher un logement et un travail. À
cette fin, et sur les conseils de son père Max, ancien boxeur devenu chauffeur
du maire, elle demande l’aide de Quentin Le Bars, le maire de la ville, qui va
bientôt devenir ministre.
Le Bars, avec la complicité de Bellec – patron du casino
local – va effectivement l’aider à trouver un logement tout en abusant
sexuellement de la jeune fille. Laura devient alors la fille qu’on appelle ; la
fille qu’on appelle quand on veut… quand on souhaite…Quand on a du temps libre
et qu’on veut s’amuser. C’est ainsi que Laura est devenue la victime vulnérable
d’un homme qui use désastreusement de son autorité. Car Le Bars l’utilise pour assouvir
son désir. Max, le père de Laura, ne le saura que tardivement. Une plainte de
la police sera alors déposée contre Le Bars.
Il est vrai que Laura a une part de responsabilité par le
fait d’avoir accepté un tel échange avec le maire. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle le procès n’a pas été dirigé de manière à rendre justice à la
victime. L’affaire a été classée, comme si finalement rien ne s’était passé.
Cependant, on a pu, en tant que lecteur, comprendre l’intériorité de Laura.
Celle-ci, dans sa situation de faiblesse, n’a pas pu dire non au maire et d’une
certaine manière, elle a accepté cette domination sexuelle malgré elle.
La fin du roman est très amère : Max a été condamné
à deux années de prison pour coups et blessures sur personne dépositaire de
l’autorité publique et mise en danger de la sûreté de l’État. La plainte de
Laura a été classée sans suite.
Pour moi, ce roman est magnifique. Il parle d’un sujet
très important portant sur la domination par les autorités et la violation des
droits des personnes vulnérables. L’impunité des hommes politiques et les
dérives du pouvoir sont un phénomène très répandu dans notre société.
Faculté de langues étrangères, Département de Français
Université de
Jordanie
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
Hommage à Georges Floyd
Cette histoire s'inspire d’un fait divers célèbre lequel est le meurtre de
George Floyd en mai 2020 par un policier aux États-Unis. C'est aussi
le titre d'une chanson de Charlie Poole enregistrée en 1930.
C'est l'histoire d'Emmett, un jeune Afro-américain porteur d’un seul rêve :
celui de devenir footballeur professionnel. Dans ce roman, Dalembert déroule
pour nous une sorte de panorama de la vie d'Emmett depuis son enfance aux
ghettos noirs jusqu’à la fin de sa vie sous les pieds d’un policier à travers
les voix de sa famille et de ses amis.
« Je ne peux pas respirer », voici les derniers mots
d’Emmett avant de quitter la vie. Son décès a été provoqué suite à un appel
téléphonique. En effet, le gérant d'une supérette de Franklin Heights au nord
de Milwaukee a composé le 911, craignant que le jeune homme qu'il vient de
servir n’ait utilisé un faux billet. Cela a abouti au décès du suspect, étouffé
par un policier.
Louis-Philippe Dalembert transpose donc l'histoire de
George Floyd à Milwaukee (Wisconsin) sous la figure d’Emmett. Le prénom du
personnage n'a pas été choisi au hasard et renvoie à celui d'un adolescent du
Mississippi, Emmett Till, qui a été battu et assassiné pour avoir osé parler à
une femme blanche en 1955.
Ce récit combine une succession de voix narratives
dessinant le personnage d’Emmett. Chacune à son tour, les voix narratives nous
brossent une image vivante et dépouillée de cet homme ordinaire dont la mort
accablante a bouleversé l’opinion publique. Le Pakistanais qui a donné
l'alerte, les amis d'Emmett, sa famille et ses professeurs ainsi que sa femme
et son ancienne fiancée ont tous témoigné de ce qu’ils ont vécu avec Emmett.
Ce texte rend hommage ainsi à George Floyd, devenu
symbole de l’inégalité raciale aux États-Unis. En ce sens, il est un plaidoyer
à l’égalité et à la tolérance. Il est vrai que le thème du récit est très
noble, pourtant, la fin du roman a été un peu ennuyeuse pour nous.
Farah Khalil et
Sara Amarneh
Faculté de
langues étrangères, Département de Français.
Université de Jordanie
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Les témoins immobiles
« S’ils se taisent, les pierres crieront » … Ces pierres
du vieux mur, qui ont vu passer tant de générations, sont les narratrices de S’adapter
de Clara Dupont-Monod. L’auteur a ainsi confié la narration à des témoins
immobiles mais très attentifs et fidèles. C’est le premier point fort de ce
récit. De fait, on s’attend dès le début à une intrigue qui fait parler même
les pierres. Ces dernières racontent l’histoire d’une famille ébranlée par
l’arrivée d’un enfant handicapé ; un enfant inerte, sans geste, sans parole et
sans regard.
L’écriture du texte est poétique au point qu’on peut
ressentir les émotions exactes ressenties par les membres de la famille, chacun
à part. Un enfant inadapté arrive et la famille a l’obligation de s’adapter. On
passe d’une tête à l’autre et d’un personnage à l’autre sans toutefois avoir
connaissance des noms et des prénoms des personnages : on a « l’aîné », «
la cadette », « l’enfant », « la grand-mère » et les parents.
Le récit est divisé en trois chapitres constituant les
trois points de vue essentiels de « l’aîné », de « la cadette » et enfin de «
l’enfant » ; le quatrième est né après la mort de l’enfant inadapté. On a pu
facilement s’identifier à chacun des personnages et c’est le deuxième point
fort de ce roman. Tout est relaté par les pierres. Nous voyons les choses selon
le point de vue de l’aîné d’abord, qui est entièrement voué à l’enfant à tel point
où il va oublier lui-même. Celui-ci va nous émouvoir et nous amener avec lui à
un monde de fraternité fidèle à l’extrême. Ensuite, c’est l’angle de vue de la
cadette qui est adopté : elle est d’abord jalouse avant de devenir indifférente.
À son tour, la cadette va nous ouvrir les yeux sur un univers qu’on n’a pas pu
vivre avec l’aîné. Car la cadette refuse ce petit rival aux yeux mystérieux qui
accapare l’attention de toute la famille : « Moi, la cadette, je m’oppose sans
cesse. Je me cogne et crie à la révolte contre le destin, je n’entends pas que
les forces en présence sont inégales, je serai perdante mais je m’obstine à
rejeter. Je suis un refus à moi seule ».
Enfin, ce sera le tour du dernier enfant de la famille,
qui est arrivé après le décès de l’enfant inadapté. Celui-ci aussi nous
transporte dans le monde différent et magique d’un enfant innocent, en se
demandant constamment : « Et s’il n’était pas mort, serais-je né quand même ?».
Il s’agit vraiment d’un roman qui fait à l’enfance et à
la fraternité une place importante avec habilité et professionnalisme. En
somme, c’est un roman à lire et à relire.
Faculté de Langues
étrangères, Département de Français.
Université de Jordanie
Christine ANGOT
Le Voyage dans
l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (224pages)
Une infraction distincte
Voilà un roman qui parle de l'indicible familial. Il commence par une
description précise de l'endroit où vit Christine, la narratrice de ce roman :
« L’immeuble faisait environ quatre étages […] Ma chambre se trouvait au
deuxième étage, et donnait sur la rue ». Le point de départ de l’histoire consiste
en une description paisible et un titre qui nous font nous attendre à un voyage
paisible et gai.
Pendant les vacances d’été avec sa mère, la narratrice fait la rencontre de son
père dans un hôtel de Strasbourg, dans l’est de la France. Elle avait 13 ans
lorsque son père a accepté de la reconnaître comme sa fille légitime, ce qui a
fait que Christine Schwartz est devenue Christine Angot.
La relation avec son père ne va pas du tout être ce qu’elle imaginait. Cet
homme élégant et extraordinaire – c’est ainsi qu’elle le voit au début – va se
transformer en un monstre usant sexuellement de sa propre fille. L’adolescente
sera violée par son père pendant des années et des années, avec l’inaction et
la passivité de son entourage. Elle demandait toujours à son père : « qu’on
passe un weekend normal » … normal comme les autres… normal comme cela devrait
l’être. Cet inceste va bouleverser la vie de Christine. Elle se sentira
toujours inférieure aux autres filles de son âge : « je me sentais inférieure
aussi bien aux filles de mon âge ». De plus, l’inceste va la vider complètement
: « Je pensais que je n’avais rien à offrir sexuellement. Qu’une partie
essentielle de ma vie m’avait été retirée ». Tout, dans ce texte d’Angot, va
être décrit d’une manière précise, scénique et presque visuelle, avec la force
de l’écriture d’Angot.
Pour la jeune fille, l’inceste est « une mise en
esclavage ». Elle se sentait dominée, passive et soumise : « Je ne me faisais
pas d’illusion. Je savais que la volonté de mon père s’imposait à moi, que,
seule, je ne pouvais pas lutter contre ». De plus, tout au long du récit, la
narratrice va exprimer son sentiment de culpabilité : « qu'elle aurait pu
changer le cours des choses ». L’absence de témoins et la difficulté de prouver
le « viol par ascendant », l’insupportable possibilité d’un « non-lieu » de
même que la culpabilité vont l’empêcher d’abord de porter plainte : « J’ai
préféré imaginer que j’avais une part de responsabilité plutôt que de me voir
comme quelqu’un qui subit passivement sans rien faire. Je me suis forgé une
culpabilité. »
Ce roman est un signal d’alarme à celles qui subissent
une telle affaire avec un proche de la famille. On y explique comment cela
commence et quelles conséquences cela pourrait entraîner sur la vie de la
victime. C’est aussi un plaidoyer pour protéger les filles subissant l’inceste
par des lois claires : « Le mot "inceste" ne figurait pas dans la
loi. L’acte n’était pas visé spécifiquement par le Code pénal. Il se rattachait
aux dispositions sur le viol en tant que circonstance aggravante, le lien de
parenté ne constituait pas une infraction distincte. Le viol était un délit ».
Il s’agit d’un roman fort, écrit d’une façon
transparente, crue et dépouillée.
Nour Dissi et
Aisha Khalil
Faculté de Langues étrangères, Département de Français,
Université de Jordanie
Sorj
CHALANDON
Enfant
de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Une
quête identitaire : entre réalité et fiction
Écrivain et journaliste français, Sorj Chalandon est connu pour ses travaux de journaliste-reporter du quotidien français Libération. En 1988, il remporte le prix Albert-Londres pour ses reportages valorisés sur l’Irlande du Nord et le procès de Klaus Barbie. En 2005, il signe son premier roman Petit Bonzi qui a reçu maints prix et depuis, ses romans bénéficient d’une belle réception par les lecteurs francophones car ils reflètent le goût de l’auteur pour l’écriture. Dans Enfant de salaud comme dans Le Quatrième mur publié en 2013, cet écrivain-journaliste continue à transmuer son talent de journaliste en un art universel, il joue entre réalité et fiction pour exprimer ses réflexions romanesques à ses lecteurs.
Après
avoir dévoilé dans Profession du père, publié en 2015, les douleurs
vécues durant son enfance, Sorj Chalandon part à la recherche de la vérité dans
son nouveau roman Enfant de salaud. Cette expression est adressée à
Chalandon par son grand-père à l’âge de 10 ans. C’est à ce moment-là qu’il
décide de chercher toute la vérité ! Laquelle ? Celle du parcours de
son père lors de la Seconde Guerre Mondiale. L’écrivain s’engage alors à
divulguer ce que son père lui a dissimulé, à dire l’indicible !
L’auteur
met en scène deux procès réels : celui de Klaus Barbie en 1982 et celui de
son père en 1945. Effectivement, la structure du roman explique la volonté de
l’auteur de mettre en parallèle les deux procès : celui du chef de la
Gestapo, le premier homme jugé pour avoir commis des crimes contre l’Humanité
et celui de son père qui « avait été condamné par la Cour de justice de
Lille à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale pour des "actes
nuisibles à la défense nationale", commis en 1942. » (p. 77). Malgré
l’écart temporel qui s’instaure entre les deux procès, Chalandon mêle la
fiction à la réalité en choisissant de fondre les deux cadres temporels en un
seul. C’est alors par la fiction qu’il nous transmet la réalité des évènements.
Après la découverte des documents juridiques du procès et du parcours tortueux
de son père entre 1940 et 1946, Chalandon stimule notre attente de la
découverte de la vérité contenue dans ces documents.
La
structure du roman explique la volonté de l’auteur de braquer la lumière sur
les deux procès à la fois. D’emblée, la disposition des chapitres et leurs
titres mettent en lumière le rôle primordial
de la temporalité dans le roman de Chalandon. Cette mise en abîme devient donc
pour l’auteur une forme de révolte vis-à-vis des crimes contre l’humanité, d’où
la récurrence des thèmes de la trahison, de l’injustice et de la soumission.
Ces thèmes se développent d’ailleurs à travers les relations entre les
protagonistes. De fait, il nous semble que le thème de la justice est le
macro-thème du roman duquel découlent les autres thèmes, étant donné que le
procès de Barbie occupe une part importante dans l’intrigue. Chalandon raconte
méticuleusement les péripéties de ce procès et rapporte avec émotion les
paroles des témoins victimes des tortures exercées par Klaus Barbie.
En
réalité, Chalandon n’a pu ouvrir le dossier juridique de son père que le 18 mai
2020, ce père qui est mort en 2014 à l’âge de 92 ans à l’hôpital psychiatrique
du Vinatier. Dès lors, il est évident que
l’écrivain joue sur la fiction du roman dans le but d’exprimer sa fureur à
l’égard des deux accusés. Ces deux procès ont tellement marqué sa mémoire qu’il
choisit de les incarner sous une même temporalité. Il veut mettre l’accent sur
le double verdict de son père et de Klaus Barbie, l’« idole » de
celui-ci.
« Pour moi, vos sorts étaient
liés. », écrit-il, p. 209.
En
outre, le contenu du roman s’esquisse à travers sa forme même. Les scènes
d’affrontement et de disputes entre le fils et le père sont des scènes de
fiction. Chalandon n’a jamais eu l’occasion de se confronter à son père. C’est la
raison pour laquelle la narration des évènements réels est souvent interrompue
par des logorrhées de paroles dans de longs monologues où le narrateur verbalise
ses sentiments et réflexions avec une subjectivité claire. D’ailleurs, comme
dans la plupart de ses romans, Chalandon endosse le rôle d’un narrateur
excentrique et particulier. Celui-ci détient une forte charge énonciative. Les scènes
intercalées sont jalonnées de glissements énonciatifs brusques, d’impropriétés langagières
et sont articulées avec une syntaxe disloquée. Son style acéré et haché coupe
la réalité par l’imagination et rehausse l’éclat de sa fureur, amplifiant
l’expression de sa perturbation et son bouleversement face aux paroles et aux détours
insolites empruntés par son père durant la guerre.
En
vrai, l’originalité de ce roman réside dans son contenu et sa forme, qui révèlent
les visées de l’écrivain. Ce dernier mêle la réalité à la fiction afin de
construire un roman à triple enjeu : dénoncer les supercheries et les
mensonges de son père face à la justice, rendre hommage aux victimes de la
Seconde Guerre Mondiale incarcérées par les Allemands et nous amener à nous
remémorer les crimes de Klaus Barbie.
Pour
Chalandon, savoir la vérité c’est découvrir son identité voire comprendre son
statut d’« enfant de salaud ». Ce titre est bouleversant et provocateur.
L’auteur partage avec nous le parcours psychologique lié à la quête de sa
propre identité. « Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la
vie comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la
moindre vérité. […] Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. »,
s’exclame-t-il., p. 260. Cependant, serait-il possible qu’un fils puisse mettre à égalité son père avec le premier homme
accusé de crimes contre l’Humanité ? On a l’impression qu’on assiste à un procès
où le narrateur-fils est lui-même le juge de son père qui l’accuse de trahison.
Avons-nous le droit de blâmer nos parents ? nos similaires ? Peut-être
que oui, peut-être que non. Mais au moins, connaître l’histoire de nos parents
est un droit qui peut nous permettre de mieux vivre pour pouvoir s’aimer et se
construire.
Finalement,
dans ce roman, Sorj Chalandon nous laisse découvrir que seule l’écriture semble
être un refuge, une thérapie qui pourrait nous guérir du mal intérieur.
Diana Skayem
Université Libanaise
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines - Section II
Anne BEREST
La Carte Postale
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Anonyme mais vivante
Anne Berest, écrivaine et scénariste française née le 15 septembre 1979, s’est lancée dans l’écriture de son roman, La Carte Postale, après de nombreuses recherches menées et bien des aventures vécues. Dans ce livre, A. Berest remet en question l’identité juive, fouille dans le passé de ses ancêtres et relève une grande similitude entre sa vie et la leur, eux qui ont vécu en un autre siècle et dans des circonstances différentes.
Le
lundi 6 janvier 2003 est une date marquante dans la vie de l’auteure Anne
Berest et de sa famille. Ce roman rapportant une biographie familiale et des
vies comparées entre passé et présent nous cache plusieurs secrets que nous
découvrirons peu à peu avec l’écrivaine, en même temps narratrice, et sa mère
linguiste, Lélia Picabia.
En
janvier 2003, la famille Berest reçoit une carte postale anonyme qui va faire
naître une crainte dans les esprits. Sur cette carte, il y a quatre prénoms écrits
avec une écriture maladroite et étrange. C’était une carte pour touristes, avec
une photographie de l’Opéra Garnier, le cachet étant celui de la poste du
Louvre, sans nom et avec un timbre à l’envers. La famille se sent menacée, car
Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, les grands-parents maternels de Lélia, sa
tante et son oncle, avaient été déportés deux ans avant sa naissance. Ils sont
morts à Auschwitz en 1942. Le fait que leurs noms resurgissent dans une boîte
aux lettres soixante-et-un ans plus tard est horrifiant. Les parents d’Anne,
Lélia et Pierre rangent cette carte dans un tiroir et ils ne parleront plus de
cet accident si troublant.
Dix
ans passent. Sur le point d’accoucher, Anne demande à sa mère de lui raconter
la vie des quatre prénoms présents sur la carte anonyme. Lélia raconte alors à
sa fille que tout ce qu’elle va entendre est dû à un travail de recherche
méticuleux et basé sur des livres lus, des lettres trouvées et des photos très
anciennes.
Grâce
à l’histoire d’une famille Russe, les Rabinovitch, se raconte aussi la grande
Histoire. Le père de famille Nachman et sa femme Esther vivaient dans un grand luxe
avec leurs enfants : Boris, Sarah, Éphraïm, Emmanuel et Belle. Un jour
Nachman réunit sa famille pour lui demander de quitter la Russie. Les années passent,
Paris était la dernière station, parmi tant d’autres, où la famille d’Ephraïm
habite avant la déportation. Le soir du 13 juillet, la police demande de
récupérer deux des trois enfants d’Ephraïm. Mais pourquoi deux et non pas trois
? Pourquoi Myriam, la mère de Lélia (donc la grand-mère d’Anne Berest) ne
sera-t-elle pas déportée ? Pourquoi est-elle la seule à avoir
survécu ? L’histoire continue pour donner des réponses à toutes les questions
posées par le lecteur.
D’une génération
à une autre, d’un pays à un autre, d’une année à une autre, les aventures racontées
par A. Berest sont à couper le souffle, avant d’arriver à une fin
inattendue !
L’usage des
prolepses et des analepses met en valeur le génie d’Anne Berest qui a pu situer
les actions de manière à garder l’attention du lecteur en alerte malgré la
profusion des paragraphes descriptifs, longs mais captivants. Pour cette
raison, le lecteur reste suspendu au livre, d’autant plus que l’auteure ne fait
part au lecteur du fameux secret caché derrière la carte postale anonyme qu’aux
dernières pages du roman.
Ce roman est
beau, bouleversant, intéressant ; le lecteur pleure, sourit, s’extasie ou
se révolte, il est contrarié, soulagé, triste, heureux, choqué. En même temps, ce livre est
violent surtout lors des descriptions minutieuses de la situation des déportés
juifs et les façons utilisées pour les tuer (viol, humiliation, chambres à gaz …).
C’est un roman unique et
authentique ! Bonne lecture !
Rita Daniel
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines-Section2
Université Libanaise
Mohamed MBOUGAR
SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe
Rey, 2021 (461 pages)
À la recherche du « Rimbaud nègre »
La plus secrète mémoire des hommes, quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr, voit le jour en septembre 2021. En fait, ce volume tient son titre d’un extrait des Détectives sauvages de Roberto Bolaño, qu’il met en avant. Né à Dakar en 1990, Sarr signe un roman labyrinthique et bouleversant, coédité par Philippe Rey et Jimsaan.
En 1938, un
certain T.C Elimane, écrivain sénégalais, fait son entrée dans le milieu
littéraire français avec son roman Le
Labyrinthe de l’inhumain. Ce roman, aussitôt jugé « trop
pessimiste » en Afrique, traite de l’histoire d’un Roi sanguinaire qui
brulait les aînés de son royaume afin d’acquérir le pouvoir absolu. Tout de
suite accusé de plagiat, Elimane tombe dans l’oubli et devient le fantôme qui
hante les archives de la presse française. De fait, plusieurs interrogations
tracassent le lecteur : Est-ce qu’Elimane a réellement existé ? Est-il
un écrivain français déguisé ? Afin d’élucider ce mystère, Diégane Latyr Faye,
le narrateur, sillonne la France et le continent africain. Il se perd dans ce
labyrinthe tortueux et rencontre sur son chemin un groupe de jeunes Africains
qui, eux aussi, font l’éloge de la littérature.
La plus secrète mémoire des hommes est un
roman métafictionnel, où le narrateur s’expose délibérément comme l'auteur de
l'histoire. De ce fait, le lecteur se plonge dans un état de confusion. En
effet, Sarr embrouille son lecteur par ses multiples protagonistes, grâce aux innombrables
évènements palpitants mais aussi grâce à son lexique dense et varié. Effectivement,
en traçant l’enquête de Faye, l’auteur adopte divers genres (journal, lettres,
flash-back). Cette diversité rend l’histoire encore plus passionnante.
C’est un roman
d’aventures captivant qui nous fait pénétrer dans le monde de la littérature. Certainement,
dans ce monde, la littérature est magistrale et majestueuse. Elle est le pays
où chaque écrivain vient se réfugier. Néanmoins, la littérature africaine
connait plusieurs défis lors de sa réception en France.
Par ailleurs, la
grande question que pose cet écrit n’est autre que celle-ci : « que serait un grand livre ? ». Certes, Sarr fait valoir cette idée qui semble être l’une des
problématiques majeures du roman : « un grand livre ne parle jamais que de
rien, et pourtant, tout y est… ». Cependant, lors de la publication d’un
grand livre, surtout d’un livre qui dérange, l’écrivain est confronté à un prix
douloureux : soit il s’emmure dans le silence, soit il s’égare et
disparait à jamais (comme ce fut le cas de Yambo Ouologuem, l’écrivain malien,
après la publication de son roman Le
devoir de violence, en 1968).
Malgré tout ce que
nous pouvons dire au sujet de ce roman hallucinant, ce ne sera jamais assez, parce
que parler d’un « grand livre », aux horizons illimités, reste
toujours dur et compliqué.
Tout écrivain qui
débute sa carrière est invité à pénétrer dans cet univers où le désir d’écrire
surplombe et la passion pour la littérature est au rendez-vous.
Madonna Obeid
Département
de Langue et Littérature Françaises
Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines-Section2
Université Libanaise
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Un enfant handicapé
Clara Dupont-Monod est une femme de lettres et une journaliste française. Après des études littéraires, elle obtient une maîtrise d’ancien français à la Sorbonne. Elle entame son travail dans le domaine du journalisme à l’âge de 24 ans et commence à écrire. Elle publie son premier texte en 1998. Elle a reçu plusieurs prix pour ses œuvres. En 2021 notamment, elle remporte le prix Femina et le prix Landerneau pour S’adapter.
Dans son roman S’adapter, elle nous
parle d’un enfant né inadapté dans une famille qui se compose d’un père, d’une
mère, d’un garçon et d’une fille. L’auteure nous raconte la vie difficile de
cette famille depuis la naissance de l’inadapté jusqu’à sa mort. Celui-ci ne
pouvait ni bouger, ni voir mais pouvait seulement entendre. Elle aborde
également les différentes manières avec lesquelles chaque membre de la famille
le traitait. Enfin elle évoque la naissance d’un nouveau bébé remplaçant la
mort du premier (de l’enfant handicapé).
Par sa plume, l’auteure a pu nous expliquer la
différence entre la manière dont le frère traite le petit et celle de la sœur. En
effet, l’aîné avait un amour particulier pour le petit dernier qui était
vulnérable, ne sachant ni s’exprimer ni bouger aucun membre de son corps. Dès
lors, il s’occupait de lui et déployait beaucoup d’efforts pour le réconforter,
si bien que celui-ci pouvait ressentir l’amour de son frère. La cadette, au
contraire, ne l’aimait pas et sentait qu’il l’avait privé[ESAH1] e de son frère,
et l’enfant était capable de percevoir sa haine.
En écrivant ce roman qui nous touche
profondément, l’auteure s’est inspirée de sa vie réelle, elle qui a eu un frère
handicapé décédé à l’âge de dix ans. Tous les sentiments décrits dans ce roman sont
donc sincères et émanent [ESAH2] d’un cœur
blessé et souffrant. La fluidité et la crédibilité avec lesquelles elle a composé
l’histoire nous poussent à nous plonger dans la lecture. Le choix du
vocabulaire utilisé rend le récit agréable et nous permet de découvrir un
lexique nouveau.
En tournant les pages, nous enrichissons en
effet nos connaissances relatives à la difficulté d’avoir une personne
inadaptée dans notre entourage, nécessitant une aide constante et un traitement
exceptionnel. Nous nous rendons compte qu’avoir à faire avec un handicapé,
c’est aussi avoir un trésor inestimable qui, malgré son handicap, peut être une
source de joie pour l’aîné et ses parents.
Voilà donc un roman triste mais qui se termine
par une joie. Après la mort du petit, après tant de souffrances, Dieu rétribue
la famille par la naissance d’un nouveau bébé normal qui, à son tour, se reprochera
d’avoir pris la place de l’inadapté, cet enfant défunt qu’il prend comme ami et
auquel il parle tous les jours comme s’il était vivant. L’aîné et la cadette ont
grandi. Celle-ci a tout à fait changé, devenant tendre et douce après avoir
goûté à l’amour. Elle est devenue l’amie du petit mais l’aîné au contraire n’est
pas arrivé à oublier son petit frère. À ses yeux, le nouveau frère n’avait pas
d’importance [ESAH3] mais en fin de
compte la famille a retrouvé sa cohésion en acceptant la volonté de Dieu et en n’oubliant
jamais le petit être pur qu’était le défunt.
Tous les événements se passent d’une façon extraordinaire[ESAH4] qui nous fait nous
sentir membre de cette famille et nous donne le pouvoir de comprendre chaque
sentiment et expression. La force de ce roman est de montrer les défis relevés
par une famille ayant en son sein une personne handicapée ; il nous
sensibilise de fait au devoir de respect vis-à-vis de ces êtres humains aux sentiments
fragiles.
Nadine Michel Nakhla
Faculté de Langues (Al-Alsun)
Université de Ain-Shams
[ESAH4]Tous les événements narrés nous font intégrer dans la vie intime de cette famille avec ses peines et ses joies
Louis-Philippe
DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
La
mort du rêve américain
Louis-Philippe DALEMBERT est un écrivain, romancier et poète d’origine haïtienne, qui compose en langue française et créole. Fils d'une institutrice et d'un directeur d'école, il est né à Port-au-Prince le 8 décembre 1962 (Wikipédia). Les premières années de son enfance, il grandit à Bel-Air, une banlieue de la capitale, dans un univers entouré de femmes : les cousines de sa mère, qui s'absente la semaine pour enseigner en province, sa sœur aînée, ses grand-tantes et sa grand-mère maternelle.
De formation littéraire et journalistique, Dalembert
travaille comme journaliste d'abord dans son pays natal avant de partir en 1986
en France poursuivre des études qu'il achève à l'université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle par
un doctorat en littérature comparée sur l'écrivain cubain Alejo
Carpentier, et un diplôme de journalisme à l'École supérieure de journalisme de
Paris.
Louis-Philippe Dalembert
a enseigné dans plusieurs universités aux États-Unis et en Europe,
notamment à l’Université Wisconsin-Milwaukee. Hormis son roman Milwaukee
Blues, il est également l’auteur d’un roman intitulé Le crayon du bon
Dieu n’a pas de gomme.
« Ça ne changera donc jamais ? » s’insurge l’une des
voix de ce roman, inspiré par la triste mort de George Floyd à Minneapolis.
L’auteur dresse par l’intermédiaire d’Emmett – personnage nommé d’après Emmett
Till, tué dans les années 1950 par des racistes sudistes dans l’État du
Mississipi – le portrait de l’archétype noir victime de violences policières.
Emmett en hébreu signifie « vérité », et lorsqu’on
retire le E initial, le mot signifie « mort ». Un prénom certes
prémonitoire qui a permis à l’auteur de raconter sa vérité sur les bavures
policières aux États-Unis et le déterminisme social qui y règne encore
aujourd’hui, malgré l’illusion de l’American Dream.
Selon le type de narration choisi, le roman, subdivisé en trois
parties, donne vie à des personnages issus de milieux sociaux et ethniques
divers, s’exprimant dans des registres de langue différents.
Grâce à la polyphonie des voix de ceux qui ont côtoyé Emmett un
jour, on découvre chapitre après chapitre la personnalité de cet homme
ordinaire, doux et calme, mais peu sûr de lui, se dessinant au gré des
focalisations changeantes, de son enfance à Franklin Heights, quartier en proie
à la désindustrialisation et au banditisme, de ses relations, de son amour et de
son talent pour le football américain, mais aussi de ses rêves avortés à l’université
de nombreuses années avant sa mort tragique.
Le livre s’ouvre avec le récit de l’épicier
pakistanais qui compose le 911, doutant de l’authenticité du billet qu’Emmett vient
de lui tendre. Ensuite, la parole est confiée à son institutrice blanche, une ancienne
militante pleine d’idéaux qui s’est battue pour les droits civiques au milieu
des années 1960 ; à ses deux amis d'enfance Authie et Stockely, fidèles et
attachants ; au coach sportif qui l'accueille comme un fils à un moment où le
football américain aurait pu le sauver ; à l'ex-fiancée blanche qui l'a
tant aimé ; à la mère de sa dernière fille. Même le policier meurtrier, un
personnage détestable mais complexe, rempli de préjugés raciaux et machistes,
prête sa voix au récit.
Dans la dernière partie, « La Marche », le récit
est cette fois à la troisième personne (narrateur omniscient). Un hommage à
Emmett où se rencontrent tous ceux qui l’ont un jour côtoyé, mais aussi la
nouvelle génération qui en a assez, incarnée par une jeune immigrée d’origine
haïtienne et son fiancé, Dan. Le rythme change, s'accélère, s’intensifie car on
ne connait pas l'issue de la marche qui se fait le réceptacle des tensions
raciales dans le pays.
Et puis, il y a ce prêche vibrant et
fédérateur de Ma Robinson, la pasteure amie de la mère d’Emmett, comparée à Martin Luther
King, prônant la réconciliation par-delà des conditions sociales et
ethniques, particulièrement touchant.
J’ai vraiment aimé ce roman, jusqu'à ce
superbe épilogue empreint d'idéalisme et d'humanisme, presque utopique, qui
nous donne espoir en un monde meilleur pour les générations à venir.
Coumba Aicha BOUBA
Département des Études françaises,
Université Sorbonne Abu Dhabi
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Un roman
bouleversant
“Les regrets
éternels n’existent que sur la pierre” nous dit Tristan Maya. En effet, ce sont
les pierres, les cailloux de la cour qui vont ici nous conter la vie
bouleversante d’une famille au cœur des Cévennes. Ils nous racontent l’arrivée
de cet enfant “inadapté”, aveugle, muet, handicapé physique dont on pense qu’il
n’a que quelques années à vivre. Ces pierres nous relatent l’histoire de cette
famille, certes, mais en s’attardant uniquement sur la fratrie, car les parents
n’ont pas leur place dans ce roman, ou du moins juste une place en
arrière-plan. Adopter un point de vue externe pour suivre cette aventure permet
de prendre du recul, puisqu’en effet nous voyons ce que ressentent les
personnages sans jamais réellement entrer dans leur tête, et pourtant,
l’immersion est totale.
Ce roman est découpé en trois chapitres. Chacun
correspond au ressenti d’un enfant : l’aîné, la cadette et le dernier (arrivé
après la mort de son frère). Chacune de ces parties est bien distincte et
expose clairement la multitude de réactions possibles face à un tel événement.
En effet, chaque personne réagit différemment.
Ici, l’aîné sera saisi d’un amour passionnel et
fusionnel pour son frère. Il s’agit pour moi du chapitre le plus émouvant. L’aîné
met alors sa vie entre parenthèses pour offrir à ce petit l’attention qu’il
mérite, passant son temps à lui décrire ce qui l’entoure. Ainsi, certains
passages de ce roman semblent plus être entendus que lus tant les descriptions
sont précises et immersives. L’aîné nous plonge dans le quotidien de cet enfant
aveugle et muet, uniquement sensible aux sons et au toucher, et pour quelques
secondes, nous prenons sa place.
Quant à la cadette, elle nous offre une vision
totalement opposée à celle de son grand frère. La naissance d’un petit frère
lui a finalement dérobé son grand frère. En effet, la dévotion de l’aîné à ce
dernier entraîne son absence auprès de sa sœur cadette. Celle-ci change alors
drastiquement son comportement, devenant plus rebelle et sujette à une haine
compréhensible. Elle éprouve tout un spectre d’émotions : dégoût, peur,
tristesse, colère, appréhension, hésitation. C’est un personnage complexe,
moins attachant à mes yeux, mais je pense cependant que beaucoup peuvent
s’identifier à son parcours. Ce n’est que chez sa grand-mère qu’elle trouvera
refuge, personnage peu présent mais néanmoins mémorable par sa manière de
penser et d’agir face à la vie.
Enfin, après la mort du petit être auquel nous
nous sommes attachés au fil de notre lecture, mort qui permettra à l’aîné et la
cadette de se retrouver non seulement eux-mêmes, mais aussi ensemble, survient
l’arrivée d’un autre enfant : le dernier. Ce dernier, alors presque enfant
unique car ses frères et sœurs ne vivent plus sous le toit familial, se
retrouve à devoir vivre dans l’ombre de son frère disparu. Il parvient, non
sans mal, à se créer une place. Son grand frère au premier abord distant, sa
sœur plus bavarde, ses parents à l’écoute et de nouveau heureux, ce frère
fantôme auquel il s’adresse tel un ami imaginaire. Vivre avec son ombre
derrière soi est une banalité, mais vivre avec deux ombres s’avère davantage compliqué.
Ces trois points de vue différents semblent
parfois décrire trois réalités, trois histoires différentes. Or nous suivons
bien la même famille. Chacun a sa manière singulière de faire face à une même
situation.
Bien que ce ne soit pas l’objet du livre, il me
semble nécessaire d’écrire quelques lignes sur le sujet. Afin de suivre
l’histoire de cette famille dans son intégralité, l’autrice nous dépeint,
surtout dans le premier chapitre, le regard extérieur : celui des familles
“normales” ou encore des institutions. En effet, la naissance d’un enfant
considéré comme « anormal » nécessite des aménagements, la famille demande
donc naturellement de l’aide. Cependant comme souvent, les institutions ne
répondent pas à ces cris de détresse. Le regard que porte le monde sur ce genre
d’histoire est révoltant. Y a-t-il une définition unique et applicable à tous
de la normalité ? La réponse est non, et beaucoup reste encore à faire afin
d’éduquer le monde relativement à cette question.
Pour finir, je ne peux que souhaiter à chacun
de feuilleter ce roman. La plume de son autrice est riche, les émotions et les messages
transmis par son encre viennent s’inscrire en vous. Ces trois chapitres sont un
aveu d’amour pour cet enfant, donnant implicitement une leçon à notre société
normative et à nous-mêmes lecteurs. La richesse de cet ouvrage est incontestable.
Pour conclure, je voudrais donner à entendre,
avec émotion, un passage du troisième chapitre, qui illustre à quel point ce
roman s’adresse à l’ouïe. J’ai choisi de citer le discours du dernier enfant :
“Avec le temps, il devint de plus en plus
sensible. Les couleurs de la montagne faisaient naître en lui des poèmes
insensés. La lumière se transformait en cri. À huit heures du soir en été, elle
était si rasante, si vive, qu’il devait se boucher les oreilles. L’ombre était
un air de violoncelle. Et les parfums, ces damnés parfums capables de
ressusciter des chants évanouis. Son frère avait-il humé les mêmes ? se
demandait-il. Certainement, puisque son odorat fonctionnait. Que respirait-il ?
Il ne le saurait jamais. Il était pris d’une envie irrépressible de décrire ce
qu’il voyait pour son frère. Il se sentait empli d’un pouvoir immense,
transmettre ce que l’on voit, porté par un élan de partage et d’amour.”
Alicia ROSSIGNOL
Département des Études françaises,
Université Sorbonne Abu Dhabi
Anne BEREST
La Carte Postale
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Une survie éblouissante
« Et je me rends compte aujourd’hui que j’avais l’âge de ma mère, le même âge que ma grand-mère, au moment où elles avaient reçu les insultes et les jets de pierres. L’âge de ma fille quand, dans une cour de récréation, on lui avait dit qu’on n’aimait pas les Juifs dans sa famille. Il y avait ce constat que quelque chose se répétait. Mais que faire de ce constat ? Comment ne pas tomber dans des conclusions hâtives et approximatives ? Je ne me sentais pas capable de répondre. »
C'est à cause de cette carte que tout commence. Carte qui « Parmi le courrier, très ordinaire en ce début de mois de janvier, elle était là. La carte postale. Glissée entre les enveloppes, l’air de rien, comme si elle s’était cachée pour passer inaperçue. » Cette carte anonyme reçue par la mère de l'écrivaine pousse celle-ci à mener une enquête afin d'en connaître l'expéditeur dont l'identité est tout à fait inattendue.
Nous sommes ainsi face à une autobiographie ou encore une saga qui nous emmène en voyage pour vivre et éprouver les atrocités commises pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Passionné par les histoires de guerres et de massacres, j'ai survolé un tas de livres traitant de l'époque où les Nazis était les souverains de l'Europe. Cependant, je ne suis jamais tombé sur un tel document, qui décrit très minutieusement les moments d’angoisse et de persécution de cette période de guerre.
S'il y a quelque chose qui pourtant m'a un peu épuisé, ce serait sans aucun doute cette longueur exhaustive et, dans une certaine mesure, un peu ennuyeuse.
Je proclame à voix bien vive que c'est absolument mon premier coup de cœur littéraire, que je recommande avec insistance. Et ce n'est, à mon sens, qu'avec de tels génies que l'on a le droit d'utiliser l'expression "se plonger" au lieu de lire ou feuilleter.
Mohammed Alwaleed
Département de Français,
Facultés des Lettres
Université de Khartoum
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Une mise à l'épreuve de notre capacité d'adaptation
« Derrière eux
palpitait la grande attente des parents blessés, unis en une angoisse, celle d’abîmer
la vie alors qu’ils souhaitent la donner. »
Au
sud de la France, précisément dans les Cévennes, une famille a apporté au monde
un enfant, bon gré mal gré, inadapté : aveugle, muet et paralysé. Un enfant qui
a pu prouver que la vie d'une personne décide forcément de celles des gens qui
l'entourent ; ainsi son frère, l'aîné de la famille, décide de se consacrer aux
soins de son petit frère lourdement abîmé, s'isolant ainsi du monde extérieur.
La
cadette, bien au contraire, ressent une jalousie et un dégoût muets face à
l'enfant qui, selon elle, a usurpé l'intérêt et l'attention dont elle jouissait
avant la naissance de ce dernier.
En
matière de littérature, j'ai appris qu'un roman peut être relaté par un
narrateur, qu’il soit externe ou interne. Dans cette œuvre miraculeuse,
cependant, ce sont les pierres qui nous racontent l'histoire, les pierres, qui
ont non seulement des oreilles et des yeux, mais aussi une bouche, ce qui est vraiment
inouï.
Un
roman très riche en descriptions, en richesse lexicale mais aussi en moralités
à bien retenir. En fait, je n'exagère pas en disant que chacune des pages
mérite citation, et quand on en parle, je me trouve aussi ému que lorsque je me
remémore de celle-ci : « L’insouciance, perverse notion, ne se savoure
qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir. » Car dès que les
parents se rendent compte de l'énorme incapacité de leur enfant, leur vie
devient un drame morose.
Puisqu'on
vit dans un monde duquel l'imperfection est un constituant omniprésent et
primordial, qu'il me soit permis de faire une modeste remarque plus ou moins
osée : bien que j’aie profondément aimé le style, l'histoire et même le
lexique, la richesse des descriptions, qui se transforme en excès de détails foisonnants
qui peut brouiller le message, risque de lasser le lecteur.
À
vrai dire, ces pages, noircies avec l'encre de Clara Dupont-Monod, m'ont particulièrement
aidé à comprendre comment un handicapé est appréhendé par son entourage et
l'emprise qu'il pourrait exercer sur l'existence de ceux et celles qui le
fréquentent.
C'est surtout pour
cette raison que j'ai choisi comme titre de mon article 'Mise à l'épreuve de
notre capacité à s'adapter' inspiré de la citation d'Olivier Rolin : « Une
vie n’est pas que sa propre petite vie individuelle, celle dont on croit
être le détenteur, qui a commencé un jour lointain et finira un autre jour,
plus proche, elle est faite de ces innombrables rencontres, même celles
qui sont restées sans lendemain, mais dont on emporte tout de même
quelque chose comme elles emportent quelque chose de vous. La vie n’est
pas une ligne, une trajectoire, elle est un arbre infiniment ramifié et
feuillu, une chevelure immense. Ces autres vies ont à petits coups forgé
la tienne, et dans ces destins que tu ne connais plus, au Pérou, au
Soudan, en Russie, partout où tu es passé, une part infime de toi continue
à vivre – ou meurt – sans toi. C’est cela, en fin de compte, dont tu veux
essayer de donner une idée – tu viens enfin de le comprendre nettement.
»
Je
recommande forcément, et surtout aux amateurs de beaux textes qui savent
savourer la langue.
Mohammed
Alwaleed
Département de Français,
Facultés
des Lettres
Université de Khartoum
Anne BEREST
La Carte Postale
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Le mystère se révèle au grand jour
L’histoire commence en 2003 lorsque la mère de l’héroïne découvre une lettre anonyme dans la boite aux lettres, où il est écrit quatre prénoms d’ancêtres « Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques ». Toute la famille a essayé de déchiffrer son énigme et de savoir qui en était l’expéditeur : peine perdue, ils ont seulement su que la lettre était très ancienne. Par la suite, la lettre est déposée dans un tiroir et oubliée. Dix ans plus tard, sur le point d’accoucher, leur fille décide de rester avec sa famille dans l’attente du jour J.
C’est à ce
moment-là que sa mère lui a raconté l’histoire de ses ancêtres (les quatre
prénoms de la carte postale). Ce récit est le déclic qui décide Anne à chercher
à percer le mystère de cette carte. Le roman relate l’enquête à laquelle elle
s’est livrée pour remonter jusqu’à l’expéditeur et découvrir l’histoire des
ancêtres de sa mère. À travers cette quête, la romancière a ainsi pu esquisser
le destin de la famille juive Rabinovitch en remontant cent ans en arrière. Elle
revient sur les circonstances de leur fuite depuis la Russie jusqu’en Lettonie
puis en Palestine et enfin à Paris ; les camps de la mort en Allemagne et la
déportation y figurent. À travers l’histoire d’une famille (cinq générations), c’est
l’histoire de toute une humanité qui se trace. Un témoignage à la fois
passionné et passionnant.
Le
roman est très captivant puisqu’il montre l’importance de la famille en premier
lieu. Le fait de chercher à élucider le mystère de la carte postale incite le
lecteur à chercher et à creuser pour en savoir plus sur ses origines, ses aïeux
et son identité. La romancière a raconté l’histoire d’une manière vive, ce qui
aide le lecteur à imaginer les différentes situations socio-politiques, à vivre
la même expérience et à partager avec les héros des moments critiques (de peur,
de souffrance, d’exil et de menace de mort).
De plus, le
lecteur lit et lie les deux histoires avec aisance et sans s’embrouiller. Les
dialogues constituent un facteur crucial dans le roman dans la mesure où ils le
dynamisent. Ce livre est en effet écrit avec une sincérité et une sensibilité
qui touchent le lecteur dès le premier moment de lecture.
Les chapitres
sont courts, rédigés avec un style simple qui raconte les histoires parallèles
avec des transitions simples entre le présent et le passé (des analepses et des
prolepses). En somme, la romancière a pu dessiner le trajet historique de sa
famille en montrant enfin qu’elle est une enfant survivante et qu’il faut se
libérer du poids du passé pour se réconcilier avec le présent.
Sara Nader SAAD
Faculté de Langues (Al-Alsun)
Université Ain-Shams
Sorj
CHALANDON
Enfant
de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Le
traître à mille vies
« J’ai été désolé pour lui et triste pour nous. Je n’étais plus en colère. Fabriquer tellement d’autres vies pour illuminer la sienne. Mentir sur son enfance, sa jeunesse, sa guerre, ses jours et ses nuits, s’inventer des amis prestigieux, des ennemis imaginaires, des métiers de cinéma, une bravoure de héros ».
Depuis sa toute petite enfance, l'auteur a toujours une question qui se bousculait dans sa tête : qu'a été son père à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale sous l'occupation allemande ? Une question à laquelle, si j'ose dire, il regrette d'avoir trouvé la vraie réponse, celle qui fut très tôt révélée par le grand-père du scripteur : « … ton père était de mauvais côté. Tu es un enfant de salaud », une révélation bien morose. Je me contenterai de ces phrases qui peuvent paraître plus ou moins vagues, ce que j’ai sciemment voulu, car faute de quoi, ce serait un atroce divulgâchage.
Ce livre est un fabuleux mélange de deux affaires qui se chevauchent, desquelles l’une, celle du père de l’écrivain est très intime et personnelle, tandis que l’autre, celle du procès de Klaus Barbie, est clairement historique et nationale. Deux affaires entre lesquelles le seul élément partagé est, d’après moi, la culpabilité intolérable.
Il me parait donc assez clair que l’écrivain essaie de nous pousser à faire la comparaison entre son père et Barbie, et par conséquent, à décider qui entre les deux, est le plus cruel ? Et la réponse se révèle bien incontestable : ce que le père de l’écrivain a fait en trahissant son pays, son propre fils et finalement soi-même par la fabrication de mensonges et de fourberies sur sa propre vie - qu’il finit par y croire lui-même, pourrait être, voire, devrait être nommé une trahison complète.
J'aimerais bien féliciter la formidable plume 'Sorj Chalandon' pour avoir, à un moment de gracieuse inspiration, décidé de partager avec le public des lecteurs les moments, les instincts et les tares les plus intimes de sa vie sous une forme dont le moins que l'on puisse dire, est qu’elle est fabuleuse.
À vrai dire, après avoir lu et relu cette histoire hors pair, j'en ai retenu, entre autres, une clé assez essentielle pour mener une vie sereine : il est parfois tellement mieux de ne pas tenter de tout révéler, car cela pourrait très bien entraver l'écoulement d'une vie entière et l'on en passerait le reste dans le chagrin.
Voilà un livre qui a su susciter en moi une infinie auréole de vives émotions, auxquelles il me faudrait peut-être éternité pour répondre, un livre que l'on lit et dont on souhaite qu'il n'ait pas de fin… mais on y parvient bon gré mal gré.
À lire absolument.
Mohammed
ALWALEED
Département de français,
Faculté
des Lettres
Université de Khartoum
Tanguy Viel
La fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021 (176 pages)
Le sale jeu de pouvoir
« Même le diable n’a pas toujours
un costume rouge ni des flammes dans les yeux ».
Le roman commence dans un
commissariat, avec Laura, une jeune fille d'à peine 20 ans, venue porter plainte
contre un certain Quentin Le Bars, ancien maire de ville, nommé très récemment
ministre, l’accusant de ‘l'emprise’ que ce dernier a exercée sur elle. Elle
venait juste de s'installer dans sa ville natale, quand son père, Max le Corre,
ex-champion de boxe en train de porter les derniers coups de sa carrière, et
aussi chauffeur du maire, demande l'aide de ce dernier afin de trouver un
logement à sa fille. Une faveur que le maire n'hésite pas à lui accorder, mais
non par pure charité. En effet, durant des mois, le maire de quarante-huit ans recevra
les faveurs sexuelles de la jeune fille en échange du service ‘gentiment’ rendu
et d’autres encore qu'il lui rendra.
Titulaire du prix Fénelon et du Prix
littéraire de la Vocation pour son roman L'Absolue Perfection du Crime,
du Grand prix RTL-Lire et du Prix François-Mauriac de la région Aquitaine
pour Article 353 du Code pénal, Tanguy Viel est un brillant écrivain,
réputé pour la mise en place d’intrigues complexes, de même que pour ses
réflexions sur des thèmes récurrents tels que les liens familiaux,
les duperies, les inégalités des classes et les difficultés à prendre
l’ascenseur social.
Ce récit représente, pour moi,
une démonstration parfaite des bassesses humaines. Il nous dépeint avec une
âcre transparence, la scène d'un prédateur lubrique, à l'image d'un Saint en
costume et chemise blanche, s'acharnant sur une ex-mannequin de lingerie intime
qui n'est coupable que d'avoir eu le malheur de croiser un jour son chemin. Son
ancienne carrière de mannequin, sa faiblesse, et son consentement initial font
qu'elle n’est pas, pour la loi, une victime parfaite, semblable à des
milliers de femmes, puisqu’elle n'a pas contesté les faits avec suffisamment de
véhémence pour qu'on puisse lui rendre justice. Car le système juridique, qui se
veut juste, condamne doublement les faibles, en raison justement de leurs
faiblesses, tandis qu’il glorifie les cols blancs pour leurs vices, et comme si
ces vices étaient l'unique et le seul moteur de leur ascension vers le sommet
d'échelles sociales.
La lecture de ce roman est
révélatrice de tous les mécanismes, des enjeux de manipulation et de l'abus de
pouvoir. Non que ces mécanismes soient entièrement ignorés des lecteurs, mais
chaque détail, chaque geste et chaque mot employé par ces manipulateurs, à un
certain moment, est à prendre en compte. Le style de paragraphes longs, des
phrases courtes, précises et percutantes, ainsi que la description omniprésente
font que la lecture ressemble ici à une expérience cinématographique, similitude
qui donne une raison supplémentaire en faveur de l’adaptation de roman au grand
écran. C'est absolument à lire !
Aisha Hashim
Département de Français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum, Soudan
Christine
ANGOT
Le Voyage dans l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (279 pages)
Un
mal imprévisible
Encore une fois, nous nous retrouvons face à face avec des pères pervers, des pères que leurs enfants souhaitaient vivement rencontrer, un souhait qu'ils auront cependant profondément regretté. L’autrice rencontre en effet pour la première fois son père qu'elle n'a pas vu depuis sa naissance, mais celui-ci, dès la première entrevue avec sa fille, montre qu’il n’est qu’un salaud : un baiser sur les lèvres de sa fille, puis une série d’évènements qui défilent…
Une histoire, une autobiographie que j'ai savourée et dégustée à plusieurs reprises. Un livre au langage apparemment simple mais à la fois captivant et émouvant, écrit dans un style qui implique puissamment le lecteur dans l'action.
Une affaire que, personnellement, j’ai rarement trouvé abordée en littérature, l’affaire de l’inceste. Celle-ci m’a bien offusqué, néanmoins je me suis retrouvé à continuer la lecture, malgré moi, captivé par l’histoire.
Un tel livre ne pourrait jamais relever d'une pure imagination, mais serait plutôt inspiré d’événements réels.
À lire absolument.
Mohammed
Alwaleed
Université
de Khartoum
Facultés
des Lettres
Département de Français
Agnès DESARTHE
L’éternel fiancé
Éditions de L’Olivier, 2021 (256 pages)
La famille, ce n’est pas brillant-brillant !
Voilà un roman dont la musique
rythme le récit, un roman qui raconte l'histoire d'une fille qui, encore très
petite, assiste au concert de Noël à la mairie avec les autres enfants de la
maternelle accompagnés de leur maîtresse et, au milieu de la houle des solfèges
et des notes de l’orchestre, sent naître un grand amour pour un garçon en
classe de musique.
La narratrice avoue elle-même qu'elle
était au centre, au présent ; à gauche, il y a son passé, à droite, son avenir.
Elle a toujours été entre Étienne, son fiancé éternel depuis l'âge de quatre
ans, celui-là même qu'elle avait rencontré ce jour-là même à la mairie, et
Yves, le père de ses deux enfants, avec qui elle s'apprête à se marier. Placée
toujours entre son propre père, l’homme qui l’a élevée et s’est si bien occupé
d’elle, et Henri, l'homme que sa mère avait préféré à son père et avec qui elle
a décidé de passer le reste de sa vie afin de pouvoir transformer le quotidien
si difficile partagé avec un mari qu'elle a supporté durant quarante ans...
Elle avoue donc elle-même qu'elle
est au milieu de tout cela, au présent, à l'invivable présent. Ce temps inconnu
malgré le violon, les percussions et les auditions composées par l'orchestre
dans la classe de Mme Zoraya Peerlnashty, ce temps que toute la musique sur
terre ignore.
Je sais que la meilleure façon de
rendre hommage à un livre est de le faire à travers des citations. Voici ma préférée,
celle qui, ancrée dans les détails du récit nourrira votre lecture aussi vite
qu'une araignée tissant sa toile, reflétant le désarroi de cette narratrice qui
ne comprend pas comment elle a pu se précipiter vers la nuit sans profiter du
jour, celle qui pour moi résume toute l’histoire :
« ... comment ai-je pu croire que
je déjeunerais là-bas une infinité de jeudis ? Où est passé mon enfance ?... Quand
ai-je eu le temps de grandir et comment ai-je pu ne pas m'en apercevoir au
point d'avoir moi-même des enfants, de me marier ? »
Une histoire émouvante qui
s'inspire des souvenirs d'enfance, d'école et de famille.
Lisez-la! Vous y trouverez
certainement votre bonheur.
Mohammed Isshaq
Faculté des lettres
Département de Français
Université de Khartoum, Soudan
Tanguy
VIEL
La
fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021 (176 pages)
Le
lecteur qu’on interpelle
La
fille qu’on appelle est le dernier roman de Tanguy Viel.
Paru en septembre 2021 aux Éditions de Minuit, c’est une œuvre qui relate le
parcours initiatique d’une jeune fille, Laura Le Corre, que le désir d’argent
et d’ascension sociale attire très tôt dans le monde « des adultes ».
Viel
se fait alors le père, le créateur et le porte-parole de Mlle Le Corre. En
effet, dans un monde plein de call-girls, Viel peint la réalité des filles
prostituées à travers la personne de Laura, la call-girl du roman. D’ailleurs,
c’est la première fois dans les écrits de l’auteur que le héros est une femme ;
en l’occurrence ici, l’héroïne est une prostituée.
Tout
commence lorsque Max Le Corre sollicite l’aide de Quentin Le Bars, maire
d’une petite ville en Bretagne pour trouver un logement à sa fille. L’homme public
profite alors de sa position de force pour établir des rapports avec la jeune
fille qui se laisse séduire sans vraiment apprécier les visites de son
agresseur.
C’est
alors qu’un évènement clé advient : Le Bars est élu ministre. Laura l’appelle.
Dans sa tête, tous les rêves de gloire et de réussite sociale bouillonnent. À
sa grande surprise, Le Bars se montre totalement indifférent à elle, à sa
famille, à sa place dans la société, à ses désirs et ambitions… Bref, il vient assouvir
ses besoins « d’homme » et repart sans même prononcer un mot.
Son
amour propre blessé, notre héroïne prend son courage à deux mains et s’en va
porter plainte.
Le
reste de l’histoire n’est alors qu’une longue déposition de sa part, à travers
laquelle, avec le plus de recul possible, Viel dénonce une société masculine
fondée sur la tromperie où faux-semblant et fourberies dominent.
Il
est à noter que La Fille qu’on appelle n’est pas seulement l’histoire de
Mlle Le Corre. En effet, c’est aussi celle de toute jeune fille ayant vécu au
21e siècle en étant perçue comme inférieure à l’homme. En outre, cette
jeune protagoniste représente la part noire de la personnalité humaine, notre « ça »
en termes freudiens, c’est-à-dire les pulsions inconscientes certes, mais
fondatrices de notre « Moi ».
Reem KhalilDépartement de Langue et de Littérature Françaises,Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, DoyennéUniversité Libanaise
Christine
ANGOT
Le Voyage dans l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (224 pages)
Le
voyage fatidique
Une fois de plus Christine Angot relève le défi d’écrire à propos de son expérience douloureuse dans un roman autobiographique composé de 224 pages. Le Voyage dans l’Est, édité chez Flammarion et publié le 18 aout 2021, reprend un thème fréquemment abordé par l’auteur : l’inceste.
Le
titre est révélateur des lieux où se passe le récit. En effet, le voyage dans
l’Est se révèle être le voyage dans l’Est de la France. Ce voyage fatidique suspendra
la vie d’Angot et la traumatisera à jamais.
Le
roman va s’orienter vers un moment déterminant de l’enfance de l’auteur, en
fait un moment décisif de toute son existence. Christine part en voyage avec sa
mère Rachel à Strasbourg afin de faire la connaissance de son père, Pierre, un
intellectuel qui parle plus de trente langues. Christine qui n’a jamais connu
son père est tout excitée et s’attend à ce que s’établisse une belle relation
père-fille. Cependant, un évènement majeur bouleversera la jeune fille,
celle-ci sera déçue car son rêve d’avoir un père se transforme en cauchemar qui
commence par un baiser sur la bouche et se termine par un inceste qui gâchera sa
vie. Cette instabilité familiale retentira sur tout le parcours d’Angot,
notamment sur ses études de droit qui seront interrompues et remplacées par l’écriture.
De plus, elle sera dans l’incapacité d’entretenir des relations durables toute
sa vie puisqu’elle va passer d’un homme à un autre pour enfin quitter le père
de sa fille.
La
plupart du temps, Angot utilise des phrases courtes et simples. Elle veut
transmettre une épreuve complexe tout en restant compréhensible, elle ne veut
pas embrouiller le lecteur puisque le sujet est déjà pesant. Ajoutons que son style,
consistant à emmêler les évènements c’est-à-dire à les raconter dans un ordre
non chronologique (parfois) est révélateur de l’attitude de la victime
d’inceste qui ne peut pas reconstituer clairement les évènements qui se sont
produits. Le fond se rattache donc bien à la forme.
L’histoire
d’Angot est une histoire dure et étouffante qui mérite d’être respectée. L’écrivaine
a eu le courage de parler de la dureté de la vie dans ses moindres détails et
sans avoir honte.
Le
personnage principal qui est Christine est en fait un personnage universel qui représente
un stéréotype de la victime de l’inceste. « Vous ne savez plus qui vous
êtes, lui, c’est qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant… » (page
190). Nous plongeons directement dans la peau de la proie qui n’a « Rien à
dire », (page 40) ou plutôt qui n’a pas le courage de parler.
Dans
un monde plein d’injustices, l’auteur trouve refuge dans l’écriture.
Effectivement, lorsque Christine est partie pour porter plainte au
commissariat, on lui a dit que les faits étaient anciens, et qu’il y aurait
donc un non-lieu. Suite à cette déclaration, elle s’énerve et laisse tomber l’accusation.
Elle remplace ainsi la parole par l’écriture et offre au lecteur la place du
juge.
Par
ailleurs, nous constatons que ce roman braque la lumière sur un point délicat :
le coupable de l’inceste ici est le père de Christine, c’est un intellectuel
qui s’éloigne du cliché classique de l’inceste (alcoolique, drogué ou autre). Le
fautif ici est un homme qui bénéficie d’un poste respectable dans la société,
ce qui amplifie l’importance du sujet d’inceste : n’importe qui peut en être
victime et n’importe qui peut en être coupable.
Enfin,
ce roman vient nous rappeler que des actes anormaux (ex : l’inceste)
existent toujours et ne doivent pas être occultés. Angot refuse que nous
minimisions l’inceste et nous émeut avec cette phrase : « Vous ne
vous rendez pas compte, de ce que ça fait d’avoir un père qui refuse que vous
soyez sa fille. Pour vous l’inceste, c’est juste un truc sexuel. Vous ne
comprenez pas. Vous ne comprenez pas. » (page 180)
Dans
un roman noir dont la fin nous laisse sur notre faim, elle arrive toutefois à
nous sensibiliser et à nous faire réfléchir.
Maria ABI CHEDID
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines-Section 2
Université Libanaise
Abel QUENTIN
Le Voyant d’Étampes
Éditions de l’Observatoire, 2021 (380 pages)
Pour ne jamais abandonner…
C’est communément connu et répété, les héros
ne portent pas toujours une cape rouge. Ils peuvent être de ceux qui ratent
leur vie à vingt ans mais qui essayent de tout reprendre en main à soixante.
Les guerriers aussi ne tiennent pas que des armes en main. Un crayon peut
terrifier bien plus qu’un fusil. Le sourire après l’échec aussi. Mais que faire
lorsque nous nous trouvons pris au piège, empruntant la même voie du passé,
retombant dans les mêmes échecs ? Que faire lorsque la vie décide de tout à
notre place ? Il n’y a qu’un encouragement qui sépare capituler de
se battre.
Avocat pénaliste et écrivain français, Abel
Quentin présente en 2021, à ses lecteurs, sous le titre de Le Voyant
d’Étampes, son deuxième roman, paru aux éditions de l’Observatoire, œuvre
mettant en scène et en mots un écrivain raté. Raté ! Une seule personne le
séparait de la réussite totale. Une seule rencontre. Un seul témoignage. Ces
quelques mots auraient pu changer le cours de l’histoire… et de sa vie. Jean Roscoff, homme incompris, français, âgé de
soixante-cinq ans, historien, alcoolique, divorcé, retraité, écrivain fictif
raté, « guerrier » des années 80-90, décide de se lancer dans un
projet délaissé depuis quelques années : écrire un roman intitulé Le
Voyant d’Étampes, sur Robert Willow, ce poète
noir, lui aussi fictif, communiste et américain qui n’est adoré et connu que de
lui. L’auteur, Abel Quentin,
nous promène donc dans le monde littéraire de deux écrivains fictifs, Jean
Roscoff et Robert Willow.
Faisant
tout à l’ancienne, le protagoniste,
Roscoff, ne s’attendra pas à la meute de combattants invisibles, cachés
derrière des écrans, à laquelle il devra faire face à cause d’une société
juvénile dévorée par les réseaux sociaux. Outre cela, il n’est qu’en train de
payer le prix des mots qu’il a pu dire et écrire. Pire encore, un détail lui
échappe quant à la migration de Willow de l’Amérique vers la France, chose pour
laquelle il devra payer cher le restant de ses jours. Une fois que le roman voit le jour, un article publié sur un blog traite Roscoff de raciste.
Raciste ? Lui ? Homme blanc ayant fait la marche des beurs en 1983 et
participé à SOS racisme ? Quelle ironie du sort ! Dès cet instant précis,
le personnage principal devra mener une deuxième guerre qui n’opposera que le
Roscoff du présent au Roscoff du passé. Entre le « qui suis-je ? » et
le « qui étais-je ? », un conflit identitaire s’impose. Mais
comme nous ne cesserons jamais de le répéter, à chaque génération ses combats
et à chaque jeunesse ses conflits. Il est question de racisme et d’antiracisme
chez Jean Roscoff mais c’est une guerre contre et pour leur identité sexuelle
que doivent mener les jeunes d’aujourd’hui. En effet, suis-je fille ou
garçon ? Les deux peut-être ? Ou bien ni l’un ni l’autre ?
C’est le
roman des écrivains, le roman des échecs, de quelques réussites, des guerres menées
sur différents plans, des pièges ; c’est le roman des oppositions qu’Abel Quentin
propose à ses lecteurs. Il a créé un personnage guerrier sachant que sa guerre
est perdue d’avance. Pour quoi faire au juste ? Pour encourager au moins
l’un de ses lecteurs à ne jamais baisser les bras ? Peut-être. Pour
braquer la lumière sur le fait que, de nos jours, nous combattons sur différents
fronts ? Sûrement. Effectivement, le vieil homme, Roscoff, ne s’attendait
pas à ce qu’une avalanche de tweets détruise ce qu’il a mis tant d’années à
construire.
Mêlant
ainsi différents thèmes et passant des plus destructeurs comme le cyberharcèlement
aux plus constructeurs comme le rêve et l’imagination, l’auteur promène son
personnage sur le chemin de l’échec et le laisse seul sur le front en face de
combattants plus invisibles que réels.
Jean
Roscoff est un humain et tous les humains sont voués à l’échec. Nous aussi, nous
sommes des humains. Mais une défaite n’est pas synonyme de toute une vie. Mieux
vaut disparaitre guerrier, sur le champ de bataille, qu’abdiquer devant le
premier coup de fusil (disons devant le premier tweet). Roscoff a essayé de faire les choses
correctement, il était même certain que cette fois-là serait la bonne mais nous
n’en serons jamais certains à 100% et, pour ne jamais abandonner, il ne [faut] pas se laisser
distraire par la vie.
Rita-Maria Zghaib
Département de Langue et Littérature Françaises,
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Section 2
Université Libanaise
Anne BEREST
S'adapter
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
La force et le pouvoir des adaptations
Il s’agit d’un roman familial qui sonde le flux de sentiments traversant chaque personne ayant vécu des événements similaires à ceux de cette famille qui comprend cinq personnes : le père, la mère, l’aîné, la cadette et le handicap. Ces personnes ne portent pas de noms : ce sont des caractères et des sentiments touchant le cœur des lecteurs.
En plein cœur des Cévennes, la nature par
ses différentes formes entoure cette famille dont les composants sont si
différents. Après 3 mois, cette même famille découvre que son enfant ne peut ni
voir ni marcher ni parler ni prendre contact avec les autres – autant dire qu’il
s’agit d’un mort qui respire. Mais armés d’un courage unique et malgré les
défis et les problèmes à affronter, le père et la mère font la sourde oreille à
la déprime et à la déception et décident de surmonter tous les obstacles avec
force et endurance.
Grâce
à l’affection et à l’amour inconditionnel de l’aîné, protecteur
de ce petit enfant qui était son bien-aimé, l’enfant handicapé a pu vivre 10
ans au lieu des 3 ans annoncés par les médecins. Cependant, après la perte de son
frère, l’aîné ne parvient pas à s’adapter à cette nouvelle situation. Tout l’amour,
le soin et la sécurité prodigués se transforment en une douleur qui creuse son
âme.
La cadette, quant à elle, avait un rapport
bien différent à son frère handicapé. Elle détestait tout ce qui le concernait,
son incapacité et son odeur ; mais ce qui la gênait encore davantage et
augmentait sa haine pour lui, c’était sa jalousie. Intelligente, obstinée, aimable
et vivante, elle n’arrivera pas, en dépit de ses qualités, à remplir le vide
dans l’âme de l’aîné après la mort de l’enfant handicapé.
Le petit dernier est également l’un des personnages
du roman, mais il ne pourra pas prendre la place de l’enfant handicapé. Curieux
d’en savoir plus sur son frère, il n’aura de cesse de sentir la présence de l’enfant
disparu autour de lui. Il essaiera en vain de mettre fin aux regrets et aux
douleurs de son frère aîné. Sa naissance se
voulait synonyme d’une réconciliation avec le monde.
Ce roman ne
contient ni adjuvants, ni opposants : il y a seulement des héros qui relatent
des récits et partagent des réactions. En suivant cette chaîne jusqu’à la
dernière page, les lecteurs seront aptes à estimer leurs décisions, à
comprendre leur psychologie et à apprendre à respecter les autres, surtout ceux
qui sont « différents ». Aussi, la division des chapitres permet-elle à
ces lecteurs d’observer et d’apprécier des aspects et des points de vue enrichissant
le portrait et l’identité des personnages du roman. C’est pourquoi ce roman est
magnifique, lumineux et surtout très réaliste.
Karen NADER
Faculté AL-ALSUN,
Université
Ain-Shams, Egypte
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus
secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (461 pages)
Une quête humaine labyrinthique
Un livre. Tel est le mot-clé de notre roman. Tout commence par un livre. Depuis que Diégane, un écrivain sénégalais, est entré dans le monde de la littérature, il entendait parlait d’un livre mythique, un chef-d’œuvre, un livre maudit dont on n’est pas même sûr de l’existence. Lorsqu’une écrivaine qu’il admire le lui présente, il ne peut imaginer à quel point l’ouvrage va bouleverser la vie. Fasciné par l’histoire, Diégane se lance sur les traces de son mystérieux auteur.
Dans une quête éblouissante, Diégane cherche à
retrouver ce T. C. Elimane, qualifié
dans le temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale qu’a déclenché
la publication de son œuvre et son accusation de plagiat. Était-ce bien lui, l’auteur
du livre ? Qui est-il ? Pourquoi a-t-il disparu ? A-t-il été faussement accusé
du plagiat ? Que lui est-il arrivé ? Tous s’interrogent, et tous émettent des
hypothèses.
Mille mystères dont Diégane attend la résolution.
Débutant du Sénégal, passant par l’Argentine, arrivant enfin en France, Diégane
se trouve face à de grandes tragédies, comme le colonialisme ou la Shoah.
Durant son trajet, le héros rencontre de jeunes auteurs africains de sa
génération, et il incite chacun d’entre eux à lire ce roman. Chacun de ces
écrivains joue un rôle relativement à l’aventure de Diégane, les témoignages se
croisent et les pièces de puzzles tentent de s’imbriquer.
Comme le dit un traducteur dans le livre, ce roman
ne parle de rien. Parce qu’il ne faut jamais expliquer de quoi parle un grand livre.
Inspiré par la vie de l’auteur malien Yambo Ouologuem, lauréat du prix Renaudot
en 1968, qui lui a été retiré en raison d’accusations de plagiat, l’œuvre
soulève des interrogations identitaires, pose des questions littéraires, historique
et politique. Il s’agit d’un hommage à la littérature africaine et la narration
labyrinthique de ce roman, surprenant dans son thème, rend parfaitement compte
de l’histoire complexe des relations franco-africaines.
Les personnages de l’œuvre, dont les portraits
sont brossés au cœur du roman, prennent corps, en semblant de plus en plus
réels. Chaque mot vous invite à vous inspirer de ce roman, à engager une profonde
méditation, tout en restant intrigué par l’énigme, le cœur palpitant en attente
d’en connaître la réponse. Tous les sujets abordés font de l’œuvre un ballet,
où de multiples danseurs se croisent et s’effleurent élégamment, et pendant lequel
vous ne vous ennuierez jamais.
Ghadir Tamer
Département de
Français
Faculté Al-Alsun,
Université Ain-Shams
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
Rêve d’un Noir fanant
Un roman puissant sur l’inégalité entre Noirs et Blancs qui, dès les premières pages, nous laisse bouche bée avec des sentiments mitigés devant l’inhumanité.
Les États-Unis, pays où tous les rêves peuvent
être réalisés, n’en échappent pas moins au racisme, phénomène éternel auquel
nous n’arrivons pas à mettre fin, car il y reste ancré depuis l’époque
coloniale et la période de l’esclavage – surtout le racisme antinoir.
Il n’y a pas si longtemps, le monde entier a
été secoué par les vidéos terribles et insupportables qui ont circulé sur
Internet. C’était un spectacle révoltant d’iniquité, de violence et d’atrocité
donnant la chair de poule à toute
personne regardant ces vidéos. Un afro-américain plaqué au sol sur le ventre
hurle : « je ne peux plus respirer ! », immobilisé par un policier blanc exerçant une forte pression du genou sur sa nuque.
Responsable du meurtre de George Floyd en mai
2020 et du lancement du mouvement mondial « Black lives matter », le gérant
pakistanais de la superette de Franklin Heights, un quartier au nord de
Milwaukee, ne dort plus. Sa vie a été bouleversée depuis qu’il a composé le
nine one one pour un faux billet. Le hiatus causé par la scène pathétique de la
mort de son client de passage noir et ses cris déchirants de souffrance a
suscité de nouveau la lutte contre le racisme aux quatre coins du monde.
Louis- Philippe Dalembert, ému par cet
incident marquant, nous plonge à fond dans les
amples détails de la vie d'Emmett, le héros. Il brosse l’attristant tableau de
l’agonie du rêve étasunien auquel un jeune Noir s’attache jusqu’au dernier
souffle. Maintenir une vie digne et ordinaire est tout ce que voulait cette perle
noire pleine de volonté qui se brisera, subissant le même sort que George
Floyd.
À travers les yeux de plusieurs personnages,
l’écrivain a réussi à nous faire vivre l’itinéraire plein d’obstacles d’Emmett
et à nous attacher à ce personnage, de telle sorte que nous sommes touchés par
sa mort comme par celle de George Floyd qui a frappé d’horreur la planète
entière.
« L’esprit le plus bénin devient le plus
buté, lorsque par l’injustice il se sent révolté » énonce Publilius Syrus.
Cette citation confirme que ce livre n’est pas seulement un roman mais une revendication
de justice et d’égalité qui rend hommage à toutes
les victimes de discrimination.
Ce roman qui laissera certainement une
empreinte indélébile dans l’esprit de chaque lecteur est un exemple frappant de
l’extrême injustice qui règne sur le monde où nous vivons. À travers un style
unique et empathique, l’écrivain nous raconte la misère et la peine des
victimes de la ségrégation raciale pour produire un roman spectaculaire et
universel à l’humanité.
Nada Amr Emad
Département
de Français
Faculté de Langues (Al-Alsun),
Université de Ain-Shams, Egypte
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Une souffrance latente
Voilà un roman d’apparence simple mais d’un contenu fort émouvant. Peut-on accepter de bon gré de tout ce que nous impose le destin ? Doit-on combattre pour une vie meilleure ou au contraire rester les bras croisés face à des événements malheureux ? Avoir un enfant pas comme les autres est-il une bénédiction ou une malédiction ? Telles sont les questions que suscitent chez tout lecteur S’adapter. Un roman qui décrit la souffrance de toute famille dont l’un des membres est malade ou souffre d’un handicap ; le roman reflète en effet la souffrance de la famille de l’écrivaine qui avait un frère handicapé mort à l’âge de dix ans. Elle a pu par excellence décrire les sentiments de tous les membres de la famille.
Le frère aîné a pu facilement s’adapter à cette nouvelle
vie qui a commencé avec la naissance du frère handicapé. Il était presque le personnage
principal dans la vie de ce dernier. Malheureusement, son existence a été bouleversée
après le départ de son petit frère. Sombrant dans la mélancolie, il n’a effectivement
pas pu reprendre le cours de sa vie quotidienne après la perte de son
frère.
La cadette, oubliée par la famille parce que tout le
monde ne prend soin que du petit, représente pleinement la jalousie et la haine.
Elle va chercher refuge chez sa grand-mère. La mort de cette dernière bouleverse
également sa vie mais elle réussit à s’adapter à tous les changements survenant
dans son parcours.
Le dernier enfant, né après la mort du frère handicapé, a
lui aussi parfois ressenti de la mélancolie. Il aurait voulu avoir connu son frère
décédé et est attristé par la dépression de ce grand frère qui n’a pas pu créer
de relation d’amitié avec lui et évitait les discussions avec lui. Or ce rejet est
terriblement blessant. À l’inverse, la cadette lui ouvre les bras et devient rapidement
son amie intime.
L’écrivaine
nʼa pas seulement voulu décrire la vie dʼune famille ayant un enfant handicapé mais
aussi lʼadaptation des personnes qui ont à vivre avec ce genre de problème dans
la vie. Elle a pu dessiner les différentes formes de réactions des gens contre
les inadaptations sociales, car tel est bien l’objet d’étude dans ce roman.
Maria
AKMAL
Département de Français
Faculté Al-Alsun,
Université Ain-Shams, Egypte
Sorj
CHALANDON
Enfant
de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Le premier traître
« Ton père pendant la guerre, il était du
mauvais côté ». Cette réalité fut révélée à l’auteur par son grand-père
lorsqu’il n’avait que dix ans. Depuis, ce fardeau le poursuivra tout au long de
sa vie.
Durant
son enfance, Sorj Chalandon écoutait son père raconter ses supposées épopées au
sein de la Résistance. Des années après, il lui rapporte cet aveu terrible du
grand-père, mais se heurte à son déni. Adulte, il reçoit un message de sa part.
Ayant passé quelques jours à l’hôpital, il commence à parler alors de manière
tragique, tel un mourant, évoquant ses copains morts en Ukraine ou en Russie.
Depuis, le narrateur assiste amèrement aux récits que son père lui conte de ses
années aux côtés des Allemands. Seulement voilà : cela non plus n’était
pas complètement vrai. Bien plus tard, il parvient à récupérer le casier
judiciaire – dont il avait longtemps ignoré l’existence – de son géniteur qui
aurait été condamné à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale
durant l’épuration. Ainsi commence le procès du père, juxtaposé au procès de
Klaus Barbie auquel l’auteur a assisté en 1987. D’une part, nous découvrons petit
à petit ce casier avec le narrateur et le suivons dans sa quête de la vérité, d’autre
part nous assistons aux témoignages des victimes de Barbie.
Sorj Chalandon découvre en fait le
casier en 2020. Il fait cependant le choix de déplacer le temps de cette
découverte en 1987, au moment du procès du criminel nazi : la petite
histoire entre ainsi en collision avec la grande Histoire.
Ce n’est pas la première fois que Sorj
Salandon choisit de traiter de la mythomanie de son père dans un de ses livres.
Dans ce roman, c’est avec une
sincérité crue que l’auteur nous dévoile toute la vérité. Faisant face à cette
réalité violente, à cette profonde trahison, il ne demande rien d’autre qu’un
simple aveu, une confidence qui ne sente pas le mensonge, cherchant à regagner
sa confiance en ce père si insaisissable. Même s’il connaissait la vérité, et
savait que son père, pendant la guerre, a été partout et nulle part, errant de
camp en camp, il voulait l’entendre de lui. Le lecteur ressent ce besoin
désespéré du narrateur, qui tente à plusieurs reprises de se confronter ce père
(qui semble presque croire au passé qu’il s’est inventé), afin d’obtenir une
simple confession de sa part. Et alors, dit le narrateur, « je ne serais
plus enfant de salaud. »
En parallèle, tout en restant
fidèle aux faits, il retrace les scènes judiciaires du procès et fait revivre
de façon très touchante les victimes du Boucher de Lyon, leur redonnant la
parole, ravivant leur mémoire. Leurs témoignages, notamment celui de la rafle
des quarante-quatre enfants de la Maison d’Izieu, sont d’une puissance et d’une
sensibilité qui ne nous laissent pas indifférents.
Avec un style bouleversant et très touchant, Sorj
Chalandon mélange l’intime à travers sa relation avec son père qu’il considère
comme son « premier traitre », et l’universel par le biais du procès
de Klaus Barbie qui fait appel à l’humanité de chacun, en entraînant le lecteur
dans une tornade d’émotions inoubliables.
Nisrine Chaaban,
Université Saint-Joseph, Beyrouth
Anne Berest
La Carte
postale
Éditions Grasset, 2021, (512 pages)
À travers l’histoire des Rabinovitch
Faire le tour de la France pour Anne Berest ou
encore récupérer, pour Lélia sa mère, d’anciennes archives concernant sa
famille déportée à Auschwitz n’aurait jamais été possible sans la volonté de retrouver
l’auteur d’une carte postale anonyme où sont inscrits les quatre noms de leurs ancêtres.
Ephraïm, Emma, Jacques et Noémie… des destins qui font froid dans le dos. Ces Juifs
ont été victimes de la Seconde Guerre mondiale, un conflit dévastateur. Pitié, émotions
fortes mais aussi tendresse sont suscités par ce récit. L’Histoire s’incruste
dans l’histoire des Rabinovitch.
Alors que le roman familial biographique est
un thème récurrent de ses œuvres, notre autrice s’engage à se confronter à un
passé douloureux et à reconstituer l’histoire particulière des Juifs dans les
années quarante. C’est bien le sang maternel des Rabinovitch qui coule aussi
dans ses veines. Myriam, la grand-mère d’Anne, échappe aux camps
d’extermination tandis que son père, sa mère, son frère et sa sœur suivront le
destin malheureux de nombreux Juifs à travers toute l’Europe. L’histoire de ces
héros est un témoignage des crimes commis lors de la Seconde Guerre mondiale. Restée
des années dans l’attente d’une nouvelle de sa famille, Myriam incarne l’image
du désespoir et de la nostalgie, sentiments universels qui forcent
l’identification. L’éloignement de sa famille, la perte d’un proche donnent
l’impression que c’est toute l’humanité qui disparaît.
La Carte postale d’Anne Berest est un petit bijou de la littérature pour
ses divers enjeux. Comme l’aurait fait un vrai historien, Anne Berest adopte une
rédaction qui mêle actualité, dialogues et péripéties. Le roman transporte
le lecteur vers une époque connue du monde entier mais qui regorge encore de bien
des mystères. Une lecture qui nous fait voyager et parvient à nous faire vivre
intensément le moment, rien qu’en parcourant les lignes d’écritures. « L’indifférence concerne tout le monde.
Envers qui, aujourd’hui, es-tu indifférente ? » Racisme, intolérance pour les différences
de religions et de cultures, toutes ces postures ne sont-elles pas toujours les raisons pour
lesquelles les conflits persistent dans nos sociétés ? Les actes de
Hitler, la fin des Rabinovitch ou le souvenir de la terreur qui hantent à tout
jamais les survivants de l’histoire évoquent ce que le monde vit encore aujourd’hui.
Les conflits demeurent, des peuples sont toujours discriminés, les massacres
existent encore dans les régions occidentales et orientales ; une bonne
raison pour laquelle ce roman tient sa place dans l’actualité. Ce n’est pas à un
simple voyage dans le temps qu’invite cette lecture ; réflexions et
projections dans ce passé nostalgique pourraient bien nous transporter vers un
futur probablement prévisible.
Darine El Sayed Ali
Université Saint-Joseph, Saïda
Clara
Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions Stocks, 2021 (200 pages)
Les pierres
qui nous écoutent
« Elle
accepta. Accepter, c’était moins douloureux que de se sentir exclue ».
Accepter et s'adapter sont les mots qui créent cette histoire, qui nous transporte
dans un monde différent et marginalisé dont les personnages cherchent les
moyens de s’adapter à une société qui ne les comprend pas.
Le roman S’Adapter
de Clara Dupond-Monot nous entraîne dans la vie d’une famille qui accueille un
enfant handicapé. Cet enfant, sans parole, sans regard, sans geste, qui peut
seulement écouter et sentir, va devenir le centre d’attention de toute la
famille, suscitant de l’amour, mais aussi de la haine et du chagrin.
Dans cette
histoire touchante, nous rencontrons les différentes formes d’adaptation à la
cohabitation avec un enfant handicapé ; chaque membre de la famille essaie
d’apprendre à vivre avec cette différence, mais c’est surtout l’enfant qui
apprend aux autres.
Les parents
sont toujours paisibles et patients, essayant de faire de leur mieux. Mais
comment leurs enfants supportent-ils cette vie ? Les pierres le savent. Ce sont
les pierres qui tiennent lieu de narrateurs, devenant les témoins immobiles et
attentifs de cette aventure, « attachés aux enfants, […], qui sont souvent
les oubliés d’une histoire ». Les pierres créent ainsi le lien entre la
famille et l'environnement montagneux. Elles observent et comprennent les
enfants, L’aîné, La cadette et Le dernier, comme on les appelle dans le livre.
L’aîné va
vite prendre le rôle de l’enfant protecteur, dont la mission est de s’occuper
de son petit frère handicapé et faible. Toutefois, la cadette ne sera pas
capable d’en faire autant. Pour elle, cet enfant est un berceau auquel elle ne
parle pas et dont elle ne s’occupe aucunement. L’enfant handicapé ne va pas
vivre longtemps et la naissance du dernier enfant aura lieu après sa mort. Celui-ci
rencontrera des difficultés pour vivre avec le statut d’enfant qui remplace le
fantôme de ce frère disparu et pourtant si présent.
L’auteure
retrace l’histoire de la famille, dans les collines montagneuses, auprès des
rivières, où « la montagne est sorcière ou princesse médiévale, ogre doux,
dieu antique ou bête méchante ». Cette montagne va dès lors devenir un
refuge pour la famille, l'aidant à s’adapter, à se réfugier dans le calme, à
l'abri de toute perturbation ou jugement.
Clara
Dupond-Monot nous dépeint la vie quotidienne de cette famille, sans situer
l’histoire à une époque ou dans un espace précis. Le temps et le lieu restent
inconnus, tout comme les noms de ses héros. Elle nous révèle un monde qui
oscille entre la vie de résilience et le renoncement, où les personnages
peuvent s’échapper et se réfugier auprès des montagnes et des pierres qui les
entourent.
C’est un
univers caché sous nos yeux. La langue poétique de l’écrivaine fait l’éloge de
la nature qui devient la protectrice de ces individus exclus et résilients.
Résilients et, enfin, grâce à la nature, adaptés.
Terezie Ponesicka
Université
Saint-Joseph, Beyrouth
Tanguy VIEL
La fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021 (176 pages)
Mon corps, ma propriété, pas une monnaie
Le vingt-et-unième siècle nous est servi sur un plateau en or accompagné d’une portion de progrès astronomiques mais cependant amèrement assaisonné de perte de valeurs humaines.
Tanguy Viel dans son roman La fille qu’on
appelle braque la lumière sur l’un des grands problèmes moraux de la
société actuelle : l’exploitation des mineurs. Ce problème existe depuis
la nuit des temps, mais avec le grand pas franchi par la technologie, il ne
cesse de s’accroître.
En effet l’héroïne du roman, Laura Le Corre,
est introduite au monde des adultes à l’âge de seize ans. Elle est remarquée
pour sa figure féminine à un très jeune âge. On lui propose alors de poser pour
quelques photos en échange d’argent. Ces quelques sessions de photos naïves
tournent très rapidement en des photos de magazines et de publicités pour adultes.
Bientôt, Laura devient la star des affiches publicitaires sensuelles dans les
faubourgs. Le pire reste à venir. À l’âge de vingt ans elle décide de retourner
s’installer dans sa ville natale près de son père. Ce dernier, chauffeur du
maire, voulant répondre au besoin de sa fille, demande à son employeur une
faveur : lui assurer un logement pour Laura. Le maire Quentin Le Bars
accepte volontiers, tout en décidant d’en tirer profit et d’entretenir des
relations avec la fille. Pour lui, cela semble raisonnable, étant donné qu’« elle
existe déjà dans ce monde ». Laura prend à son tour le parti de tirer
profit de ces relations et devient l’amante du maire qui est élu ministre des
affaires maritimes par la suite. Après un moment, Laura décide de porter
plainte contre le maire.
Ce roman publié le 2 septembre 2021 se compose
de 176 pages et est divisé en deux grandes parties. La première partie formée
de 10 chapitres correspond à la narration des évènements, entre analepses et
prolepses. La deuxième partie, constituée de 11 chapitres, correspond plutôt
aux points de vue des différents personnages. Ce roman ne manque pas d’effets
cinématographiques et de suspense. Mais
ce qui rend vraiment ce roman exceptionnel est le fait que l’auteur ne porte
aucun jugement face à la problématique : il ne blâme aucun personnage, reste
objectif et laisse les personnages s’exprimer librement. D’ailleurs, les seuls
jugements portés sont ceux des personnages eux-mêmes, stéréotypes de notre
société.
La cause défendue par Viel dans ce roman ne
peut pas laisser le lecteur indifférent : le corps de Laura n’est pas à
vendre. Son corps n’est pas non plus l’objet de satisfaction des hommes. Sa
figure féminine n’est pas une simple photo nue parmi tant d’autres servant à
des fins érotiques. Une erreur qu’elle a commise étant mineure, sans expérience
et dépourvue de toute orientation, ne devrait pas l’entrainer à la perte de son
intimité et, au sens figuré, à « partager la propriété de son corps »
avec d’autres personnes. Une mineure ne doit pas être confrontée à une telle
option : offrir son corps pour assurer sa vie.
Au dilemme entre les deux avis, « préservez
vos filles » et « éduquez vos garçons », je réponds par
« protégez vos enfants ».
Fatima Kanaan
Département de Langue et Littérature Françaises,
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines-Section 2
Université Libanaise
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
« Je ne peux pas respirer ! Je ne
peux pas… »
Martin Luther King « (had) a dream » de liberté et d’égalité, qui éradiquerait toute injustice et oppression. Un rêve qui conjoindrait Noirs et Blancs à « la table de la fraternité », main dans la main. Mais les feux de l’injustice brûlent toujours. La liberté est enchaînée ; elle étouffe. L’une des deux mains tourne ce rêve en dérision et écrase sa sœur jusqu’à l’étouffement. En un Caïn craintif et jaloux, elle la redoute et l’élimine.
Dans un livre que le blues traverse de
bout en bout, Louis-Philippe Dalembert s’inspire du meurtre tragique de Georges
Floyd, en 2020, pour donner le jour à Milwaukee Blues – édité par Sabine
Wespieser Éditeur et paru le 26 août 2021.
Si l’auteur a l’habitude de lier son écriture
à son expérience personnelle, son enfance et ses voyages, il a recours cette
fois-ci à l’Histoire, à une série de meurtres racisés et répétés au fil du
temps. En d’autres termes, il relate, grosso modo, l’histoire des
« Africain(s)-Étasunien(s) ».
Dans l’Ouest des États-Unis, au cœur du quartier
de Milwaukee, évoluent des personnages fictifs dont le principal est Emmett,
victime du racisme d’un policier blanc, voire de toute une institution. Le
roman s’ouvre sur la hantise du regret ressenti par le gérant pakistanais de la
supérette de Franklin-Heights – quartier au nord de Milwaukee – qui compose le
911, croyant que son client aurait essayé « d’écouler un faux
billet ». Ce jeune homme des ghettos noirs, revenu à sa ville natale après
l’effondrement de son rêve de footballeur et devenu père célibataire désargenté,
suffoque et meurt sous le genou de l’agent. Toute sa vie remonte à la surface
de la conscience lorsque Dalembert, d’un chapitre à l’autre, donne la parole à
tous ceux qui l’ont connu pour relater son histoire, même à celui qui lui prit
la vie, cloîtré à son domicile, ne regrettant pourtant pas son acte brutal. À
cette occasion, une révolte est organisée.
À travers des personnages imaginés, Dalembert
met à nu la réalité des conditions sociales des gens de couleur, assujettis par
la corruption et l’inégalité. Le rêve étasunien devient alors cauchemar.
Cet opus unit auteur et lecteur en un chorus
qui entonne une playlist évoquant le spleen des personnages.
Effectivement, Dalembert nourrit son roman d’une multitude d’airs de blues, de
jazz et de gospel qui confère à l’écriture une musicalité mélancolique, voire
même révoltée, et qui permet une certaine fusion des langues.
L’écrivain invite le lecteur à se dresser
contre la constante brutalité antinoir, à étouffer les flammes de la
ségrégation raciale, à broyer les discordes d’une éducation sinueuse qui
perdure depuis des siècles, pour que la tolérance et l’égalité l’emportent et
répandent leur lueur splendide.
Chloé El Asmar
Département de
Langue et Littérature françaises
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines, section 2
Université Libanaise
Mohammed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (448 pages)
Prisonnier du purgatoire
Publié en 2021 chez les Éditions Philippe Rey, La plus secrète mémoire des hommes a connu un grand succès dans les milieux littéraires et obtenu de grandes consécrations. Après Terre ceinte, Silence du chœur et De purs hommes, le présent roman est la quatrième aventure de Mohammed Mbougar Sarr dans l'univers de la littérature. Le livre du jeune sénégalais raconte l'histoire d’un jeune écrivain, Diégane, qui, en découvrant un livre intitulé Le labyrinthe de l’inhumain, le trouve magnifique et pénètre dans son monde mystérieux, ce qui bouleverse sa vie et le conduit vers un vrai labyrinthe. Écrit par T.C Élimane, Le labyrinthe de l’inhumain a cependant été accusé de plagiat. Lui aussi sénégalais, Élimane abandonne l’écriture, mène une vie de fantôme et entre dans un labyrinthe identitaire qui révise l’histoire du Sénégal colonisé et postcolonisé. En d'autres termes, inspirée de la réalité et de la vie d'un écrivain malien, Yambo Ouologuem, l'histoire de La plus secrète mémoire des hommes se déroule autour de la colonisation des pays africains et de ses empreintes sur la vie et le destin des habitants de ces pays.
Pour parler de cette histoire douloureuse, le jeune
Mbougar Sarr fouille dans divers événements du monde contemporain et tente
d’élaborer un tableau englobant l’histoire contemporaine en retraçant notamment
les conséquences de la colonisation.
Il faut souligner que le jeune écrivain n’a négligé aucun
aspect de la création littéraire: il prête attention à la psychologie des
personnages tout en dépeignant minutieusement les circonstances sociales. C'est
une alliance impeccable de la forme et du contenu. En effet, pour bien dessiner
la vie et le destin d’Élimane, Mohammed Mbougar Sarr recourt à une forme
labyrinthique au service des troubles et des mélancolies de son héros.
D'ailleurs, dans chaque embranchement de ce labyrinthe,
le roman nous offre divers points de vue sur la question de la colonisation. En
fait, ce labyrinthe est le point de jonction de regards multiples posés sur la
colonisation et la situation des immigrants. Les personnages de différentes
nationalités prennent part à la narration du destin d’Élimane et montent à la
tribune pour dévoiler leurs rapports avec cet écrivain disparu. Chaque
narration modifie l'image de la précédente. Autrement dit, à chaque chapitre,
l’image du pays colonisé change, selon la posture de son narrateur envers
Élimane, considéré comme le véritable enfant et représentant de la colonisation.
Dès lors, cette hétérogénéité de l'image fait du livre un
collage de divers regards. Les personnages apparaissent les uns après les
autres, comme sur une scène de théâtre, pour assembler les pièces du puzzle
identitaire d'Élimane. En d'autres termes, ce dernier devient la figure
concrétisée et humanisée de la colonisation. Chacun des personnages, qu’il soit
occidental ou africain, établit un rapport spécifique avec Élimane qui est
emprisonné dans un entre-deux. Aussi leurs relations avec Élimane révèlent-elles
leurs regards sur la colonisation. C'est pour cette raison que plusieurs images,
ou plus précisément plusieurs idéologies, s'y reflètent.
Ainsi, parmi
toutes ces images offertes du colonisé et de la colonisation, ce qui est considérable
est l'image centrale du colonisé, toujours connu comme un Autre. Cette image
localisée au cœur du labyrinthe, c'est l'image d'un hybride (terme de Homi Bhabha
par excellence) qui n'appartient ni au pays colonisateur, ni à son pays natal.
De cette façon, en attribuant une figure fantomatique à son personnage
principal, l'écrivain trace une carte de son odyssée et ainsi, le décrit comme
un sans-abri. En d'autres termes, dans le dernier roman de Mohammed Mbougar Sarr,
la question de l'hybridité, très courante chez les auteurs de la colonisation, s’adapte
à la forme exceptionnelle que lui confère l’écrivain. Cette importance extrême
accordée à la forme et à la "pure littérature", le style subtilement
travaillé, ainsi que les ambitions de son jeune auteur se positionnant avec
puissance comme une avant-garde, font de cette œuvre, l'une des plus remarquables
de son genre. Cet écart esthétique pris à l’égard des ouvrages des autres
écrivains traitant de la colonisation, situe l'auteur, depuis sa jeunesse, parmi
les grandes figures de la littérature francophone africaine, comme Kourouma ou
Ben Jelloun, et assurera, pour des années, la pérennité de son empreinte dans
l'histoire de la littérature francophone.
Hanieh
Raeiszadeh
Département de Langue et Littérature
françaises
Université de Téhéran
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (448 pages)
Un caléidoscope narratif au féminin
La publication de La plus secrète mémoire des hommes ouvre un nouvel horizon au jeune romancier sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr. Contrairement à De purs hommes (2018), son roman précédent, qui est marqué par ses obsessions d’écrivain africain et par le discours postcolonial (« l’Orient-l’Occident », « La France- Le Sénégal »), son œuvre récente s’en détache, se veut plus problématique et fait preuve d’une maturité littéraire et intellectuelle. La plus secrète mémoire des hommes s’inscrit dans la lignée de la biographie fictionnelle au sens large du terme, car c’est une biographie fictionnelle à multiples facettes ou, si l’on peut dire, caléidoscopique. D’abord parce qu’il se met en quête de deux figures, Elimane et Yambo Ouologuem, l’une inspirant l’autre. Ensuite, parce que cette recherche prend appui sur une vision du monde et sur le point de vue de cinq figures féminines, à savoir la mystérieuse Siga D., Brigitte Bollème, Thérèse Jacob, la poétesse haïtienne et la marraine Maam Dib. Étant relativement problématiques en tant que visages féminins, elles reconstituent chacune le puzzle de l’aventure elimanienne. Mais enfin, le jeu caléidoscopique se complète par la quête ultime, celle du statut du romancier au sens universel du terme ; c’est-à-dire libérée des frontières historiques, géographiques, politiques et idéologiques, et présentée à travers le narrateur principal du roman, Diégane Latyre Faye.
Le roman débute
sur la détresse littéraire et intellectuelle engendrée par son premier roman, Anatomie
du vide. Afin d’y remédier, il reprend la quête de T. C. Elimane,
abandonnée lors de sa prime jeunesse. À l’origine de cette reprise, il y a la soudaine
rencontre nocturne avec Siga, la grande écrivaine sénégalaise et la cousine
d’Elimane, qui s’est détachée de ses racines familiales et identitaires tout
comme son cousin. Ainsi, Diégane et Siga entretiennent un débat passionnant sur
le statut du romancier et Siga récite à Diégane quelques vers de Labyrinthe
de l’inhumain. Compatriote de Diégane, celui qu’on appelle le Rimbaud nègre s’impose très
vite comme un dieu de la poésie dont la finesse, la culture et l’expression
littéraire rivalisent avec celui des grands classiques français. Or, condamné pour
plagiat, son Labyrinthe de l’inhumain se heurte vite au jugement partial des critiques et connaît
en conséquence l’échec. Par la suite, Elimane s’enferme dans le silence et la
solitude jusqu’à ce que la mort l’emporte.
À travers l’histoire de Siga, héritée de son père, Diégane parvient à
identifier les raisons du départ fortuit d’Élimane pour la France, à la suite
de son père qui a quitté sa famille et disparaît à jamais. Cette
première rencontre ne sera pourtant pas la dernière : elle sera suivie d’une
série de rencontres où Siga se transforme en porte-parole de Brigitte Bollème, Thérèse
Jacob et la poétesse haïtienne qui chacune ont connu une partie du parcours
d’Élimane : la première était engagée dans le débat médiatique pour et
contre Labyrinthe de l’inhumain. Éditeurs d’Élimane, Thérèse et Charles
n’ont pas échappé à cette déconvenue qui conduit à la fermeture de leur maison
d’édition et à leur séparation définitive avec Élimane que celui-ci semble
toujours regretter. Siga cite également l’histoire que lui a déjà racontée la
poétesse haïtienne qui a connu un autre Élimane, celui d’après la détresse du
jeune écrivain errant en Amérique du sud à la recherche de quelqu’un que ni la
poétesse ni le lecteur ne parviennent enfin à connaître. Dans son récit, Siga fait aussi
allusion à l’une de ses marraines, l’une des tantes d’Élimane, que Diégane
rencontrera à la fin du roman : celle-ci lui raconte le retour fortuit d’Élimane
chez sa famille, lui qui a déjà perdu sa mère et son oncle. Elle lui relate les
dernières années d’Élimane devenu voyant et bohème jusqu’à sa mort.
Le roman tient son originalité de nombreux points, dont l’un des plus
importants est sa narration caléidoscopique : l’existence et la
personnalité d’Élimane traversent cinq points de vue féminins dont l’ensemble
constitue un caléidoscope narratif-énonciatif. Celui-ci fascine le lecteur
jusqu’à ce qu’il se perde complètement entre les narratrices et les
énonciatrices. Or, l’essentiel c’est que le vrai Élimane, l’homme et le poète,
échappe largement à toute narration et à tout discours, si bien que l’ensemble
du roman ne reste qu’une hypothèse. Cette structure fait penser à L’Albatros
de Baudelaire, poème dans lequel ce dernier idéalise le « poète »
tout en décrivant symboliquement son extrême solitude et son inaccessibilité.
Sur le plan thématique, le roman doit être considéré comme une rupture
presque définitive avec l’écriture postcoloniale que les prédécesseurs du
romancier ont longtemps pratiquée. Par la mise en œuvre de la figure d’Élimane,
le roman tente de transgresser les contours du discours postcolonial et de
rejoindre la décolonisation : le fait même de rendre hommage à Élimane
pour son originalité et de l’accuser ensuite en tant que plagiaire montre à
quel point le stéréotype d’africanité lui pèse. Élimane n’est pas apprécié ou
accusé pour son talent mais pour la couleur de sa peau. La société occidentale
continue de tracer des limites au romancier africain, ses contraintes
idéologiques ont seulement changé d’apparence : l’écrivain africain peut
certes réussir mais dans la mesure où il n’empiète pas sur les écrivains
français et ne dépasse pas les frontières géographiques, historiques,
politiques et idéologiques de son pays et de son continent. En termes proustiens, le « moi
créateur » du romancier africain reste ainsi en proie à son « moi
social », son talent et son humanité en proie à son africanité. C’est le
positionnement que Mohamed Mbougar Sarr a défendu lui-même après avoir été
lauréat du prix Goncourt 2021 espérant que l’attribution de ce prix n’aurait
d’autre raison que la passion pure de la littérature et l’amour de l’humanité
sans tenir compte d’aucune forme d’idéologie dont celles-ci peuvent être
victimes.
Nadjmeh AKBARI
Département de Langue et Littérature
françaises
Université de Téhéran
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (171 pages)
Vivre, c’est s’adapter
Il était une fois des familles qui vivaient
dans un petit village. Il y avait des pères, des mères, des petits enfants...
des familles heureuses avec leurs propres préoccupations dans une ambiance
chaleureuse. « Un jour dans une famille, est né un enfant inadapté »,
incapable de communiquer, de pleurer, de rire et de penser comme les autres
enfants. Un enfant avec une vie quasi végétative … un enfant handicapé ! Cet
enfant-là va changer l'ordre des choses avec son odeur particulière, son regard
vide et ses pyjamas violets et doux. C’est le commencement d’une histoire amère
et douce.
S’adapter n’est pas l’histoire des parents qui ont des enfants
handicapés. Dans ce roman, Clara Dupont-Monod se concentre sur le monde
enfantin. Elle parle des enfants et de leur réaction relativement à un enfant
gravement atteint d’incapacité. Divisant l’histoire en trois parties
distinctes, l’autrice partage les points de vue de l’aîné, de la cadette et du
dernier. Chacun d’entre eux a sa propre manière de réagir. L’aîné sacrifie son
existence en protégeant son petit frère. La cadette ayant un caractère rebelle commence
à haïr l’existence de cet être qui accapare l’attention de tout le monde. Le petit
dernier, qui est né après la disparition de son frère inadapté, essaie de se
trouver une place dans l’ombre de l’enfant décédé mais toujours
omniprésent. Les narrateurs sont les pierres et les personnages n’ont pas de
noms propres. Les rochers observent les visages simples de ces petits héros,
ils pénètrent dans leurs points de vue et sondent leurs sentiments fragiles
afin de nous éduquer, nous, adultes. Avec des descriptions touchantes et
précises, l'autrice parvient à émouvoir les cœurs en abordant les épreuves que
les familles d'enfants handicapés ont endurées et nous convie ainsi à un long moment
de réflexion sur nos propres comportements.
Mina Sharif
Département
de Langue et Littérature françaises
Université de Téhéran
Sorj CHALANDON
Enfant
de salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
"Hymne à l'enfance"
Pour chaque enfant, le père a un statut sacré. Il est le symbole de la pureté, de l'abnégation et de la gentillesse. Il peut être un père chaleureux comme le Père Noël ou le symbole du courage comme Jean Valjean ou peut-être même qu'il fera tout pour rendre ses enfants heureux… comme le Père Goriot ! Mais que peut faire un enfant quand son père est un caméléon ? Existe-t-il un conte au monde sur un papa qui improvise et gâche la vérité afin de cacher son vrai visage sous plusieurs masques qui seront démasqués ? Existe-t-il une histoire au monde sur un adulte qui a perdu ses années d’enfance parmi les infinis mensonges de son père ?
Que peut-on ressentir lorsqu'un enfant se voit appeler « enfant de
salaud » par quelqu'un qui lui est si cher ? Combien
de temps le chagrin durera-t-il lorsque cette personne se trouve être son
propre grand-père ? Comment ce cœur
brisé pourra-t-il continuer à battre dans ce corps déchiré ?
Enfant de salaud, écrit par Sorj Chalandon, est un roman sur l'histoire et la mémoire. Au milieu des
lignes, derrière les mots et dans la blancheur des pages, les blessés portent
les blessures des guerres mentales et physiques. Il y a des douleurs causées
par ceux qu'on appelle les proches et l’on est alors dans ces moments où il n'y
a plus personne sur qui l’on peut compter.
Nous sommes en 1987. Le narrateur a 35 ans ; il a pris sa
décision : il veut savoir ce que son père a fait pendant la guerre et
l’Occupation. C’est un
chroniqueur judiciaire qui se trouve à Lyon pour couvrir le procès de Klaus
Barbie. Nous l'accompagnons dans cette recherche pour découvrir la vérité sans
ornement ni masque.
Mina Sharifi
Département
de Langue et Littérature française
Université de Téhéran, Iran
Mohammed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire
des hommes
Éditions Philippe
Rey, 2021 (448 pages)
La littérature est un labyrinthe de l’inhumain
T. C. Elimane (et nous ne
saurons pas de sitôt la signification de ces deux initiales mystérieuses), un écrivain
sénégalais, n’a écrit qu’un seul livre : Le labyrinthe de l’inhumain,
paru en 1938. Au début, le livre a été salué comme le chef-d’œuvre d’un génie
mélanoderme que l’on ne tarde pas à baptiser « Rimbaud nègre ».
Ensuite, on découvre qu’il s’agit d’un plagiat aussi vaste qu’habile : quelques-uns
des plus grands textes de l’histoire de la littérature tissés dans un
labyrinthe adroitement construit. Enfin, à cause de ce plagiat, on condamne conjointement
l’écrivain et la maison de publication, et le tribunal ordonne de retirer de la
vente tous les exemplaires et de les détruire. L’écrivain, lui aussi, disparait
comme le livre. En fait, il n’est jamais apparu : on n’a jamais rien su à
son sujet sauf le peu qu’en disent les quelques lignes sur la quatrième de
couverture. Car celui-ci n’accepte jamais aucune interview ni ne se présente
devant les médias. Il reste dans l’ombre, et il se perd dans l’ombre. Il n’a
jamais écrit, non plus, un deuxième ouvrage.
Diégane Latyr Faye, le
narrateur à la première personne, en quelque sorte le premier personnage
du livre[1],
est un jeune sénégalais, étudiant en littérature française à Paris, qui rêve de
devenir romancier et a, en fait, publié un premier roman intitulé Anatomie
du vide. Il tombe sur le nom d’Elimane pour la première fois durant ses
années de lycée au Sénégal, grâce à un manuel portant sur les écrivains noirs.
Or, il n’arrive pas à se procurer le livre, ni à obtenir plus d’informations.
Elimane lui reste donc une énigme insoluble, une obsession restant à
l’arrière-plan de sa vie. Une fois en France, il reprend ses recherches,
espérant trouver plus, mais en vain. En fait, ce ne sont pas ses enquêtes
personnelles dans les bibliothèques et chez les bouquinistes qui vont
l’approcher de l’histoire véritable d’Elimane, mais sa rencontre fortuite avec
une écrivaine, elle également sénégalaise, connue pour ses œuvres extrêmement
érotiques et anarchistes, Siga D., surnommée Araignée-Mère dans le texte. Elle
possède, à l’étonnement du jeune étudiant-écrivain, un exemplaire du labyrinthe
de l’inhumain, le premier qu’il ait vu, qu’il prend dans ses mains comme un
totem (et également un tabou – Freud et Siga D. nous donnent à y croire
tous les deux). La lecture du livre bouleverse Diégane ; mais au lieu de
satisfaire son désir, cette connaissance assoiffe terriblement le pauvre jeune
initié. Siga D. lui demande de la rejoindre à Amsterdam pour écouter ce qu’elle
a à dire au sujet d’Elimane. Nous allons donc accompagner Diégane et rester à
ses côtés jusqu’à la dernière étape de cette odyssée à travers le monde de la
littérature.
J’ai choisi de lire ce
roman parce que j’ai vu partout sur Internet qu’on le compare aux travaux de
Bolaño. Loin d’être déçu, j’ai découvert dans ce roman des appropriations
toutes personnelles de motifs, techniques et thèmes propres aux œuvres de
Bolaño par le jeune écrivain sénégalais. Diégane, comme la plupart des
narrateurs et des personnages de Bolaño, est un littéraire à court de
ressources. Il se trouve constamment au seuil d’une grande découverte qui va
peut-être le bouleverser, et même bouleverser aussi le monde dans son
intégralité, à l’instar d’une révélation apocalyptique. Cette problématisation
perpétuelle de tout ce qu’il vit et éprouve donne au texte sa force de jeunesse
incomparable, texte où les phrases nous heurtent comme autant d’explosions
perceptives et intellectuelles. Quoiqu’il s’agisse d’une sorte de roman
policier où ce qui nous incite à poursuivre notre lecture doit être la
persistance du mystère sur lequel l’écrivain ne nous donne d’informations qu’au
fur et à mesure, ce qui m’a vraiment sidéré dans ce livre, ce sont surtout les
images originales et brillantes que l’auteur interpose à chaque instant entre
nous et la réalité. D’ailleurs, ce goût pour les images devient parfois chez lui
une sorte de faiblesse pour les formules frappantes dont il remplit exagérément
le texte. Or Sarr est maître d’une technique qui compense cet aspect parfois un
peu trop pompeux de son texte : les scènes les plus sentimentales et les
épisodes les plus pathétiques s’adoucissent la plupart du temps intellectuellement
grâce à la mise en doute de la véracité ou de l’authenticité de ce qui est dit
par l’un des personnages, souvent Diégane ; comme une technique de
distanciation brechtienne qui nous garde du glissement dans un point de vue à
sens unique, tout en préservant le sérieux et la gravité de l’affaire. La
polyphonie fournit à cette technique l’habitat naturel où elle peut prospérer
en toute liberté, mais aussi à l’œuvre son épaisseur qui la rend si proche de
la réalité.
Le narrateur commence son
récit avec des questions. Les informations qu’il nous donne sur le sujet
d’Elimane, celles que nous découvrons avec lui au cours de ce voyage double –
le voyage de Diégane étant reflété et répliqué par celui du lecteur –, attisent
le feu de notre curiosité au lieu d’étancher notre soif de savoir :
quoiqu’elles résolvent quelques-uns des problèmes que nous nous sommes posés
jusqu’ici, elles provoquent pourtant deux, trois ou mille temps d’autres. On aurait
dit une Hydre dont chacune des têtes coupées est aussitôt remplacée par trois
autres. Chaque chemin parcouru, loin de nous amener à la destination simultanément
espérée et redoutée, aboutit à un carrefour où il bifurque en d’autres voies. D’où
la structure baroque de ce texte qui traverse des âges et des continents dans
l’ampleur imposante de son monde diégétique ; d’où aussi la prolifération
des discours rapportés emboîtés qui ne vont pas sans rappeler les Mille et
une nuits. Au risque de perdre son chemin dans le labyrinthe des citations
gigognes, le lecteur va se plonger, accompagné de Diégane, ce jeune écrivain
versatile qui réjouit par un mélange unique de jubilation et d’amertume, dans
les profondeurs les plus reculées de la mémoire des hommes, ou plus exactement,
des femmes, car la plupart du roman se compose des récits racontés par ces
êtres si chers à la littérature et auxquels elle est si chère.
Le texte est si facile à
lire qu’il coule à travers le lecteur, tantôt comme un ruisselet qui chante,
tantôt comme un fleuve torrentiel. Les longs paragraphes se lisent sans aucune
difficulté, les événements se succèdent comme si l’histoire dévalait une pente.
Des éléments presque fantastiques s’introduisent dans certains endroits sans
menacer la vraisemblance de l’histoire, puisqu’elle reste pour la plupart dans
la facilité merveilleuse avec laquelle le roman progresse (les pouvoirs
magiques d’Ousseynou Koumakh, pour prendre seulement un exemple). D’abord,
c’est la proximité du texte avec le langage parlé qui lui donne cette
lisibilité agréable. La plupart du texte est composée des discours rapportés
des personnages. Siga D. parle beaucoup, et à travers sa parole, nous donne à
entendre les paroles des autres hommes et femmes longtemps disparus. De
surcroît, Diégane écrit lui-même avec un style proche de l’oralité. Il se veut
sincère et honnête. Tout en étant romancier par vocation, il se méfie de la
littérature, avant tout en se moquant de ce mot : « vocation ».
La littérature n’est pas un temple sacré à ses yeux, ni un jeu d’enfant, mais
surtout une énigme dont il n’arrive pas à définir les contours. Il hésite entre
le littéraire et le non-littéraire. Lorsqu’il se croit le plus sincère, il se découvre
soudain caché derrière un masque d’écriture ; lorsqu’il se livre à la
littérature et semble ne pas voir qu’elle, il met à nu des parties de son
existence qu’il n’avait pas connu lui-même jusqu’alors. Sa parole est donc
littéraire, mais c’est toujours une parole, une voix, d’un certain timbre et
d’une certaine matérialité sonore, palpable et humaine, présente et proche.
Ensuite, Sarr sait insuffler à son écriture un rythme grâce aux répétitions,
aux reprises et à l’attention qu’il prête à la longueur des différentes
parties. Tout comme Céline, il n’imite pas le langage parlé ; il le
réinvente. Ses phrases sont parfois très longues, ce qui n’arrive pas
d’habitude dans les paroles, mais les parties diverses se succèdent si
naturellement et se relient entre eux avec une telle fluidité qu’il ne nous
semble pas invraisemblable que quelqu’un les ait prononcées. Rappelons-nous,
par exemple, de cette phrase par laquelle Ousseynou Koumakh essaie de décrire
l’impression que la ville a laissée sur lui :
« On
causait du temps, on priait pour que le mauvais hivernage annoncé soit
contrarié par les ancêtres, on louait le Serigne faiseur de miracles qui
arriverait bientôt en ville, on décrivait le roulement de fesses d’une fameuse
Salimata Diallo, puis on parlait du prochain combat de lutte, de tel génie qui
avait emporté un enfant dans la mer, des sacrifices qu’il fallait faire à la
déesse pour qu’elle n’en prenne pas d’autres, des fresques amoureuses du
gouverneur blanc qu’on avait retrouvé ivre, la moustache tissée à la toison
pubienne d’une dryanké locale, de la mansuétude divine, de la fatalité
du destin des hommes ».
Trois sortes de répétitions
dominent la progression textuelle chez Sarr. Premièrement, il avance par la
modulation des mots, la reprise des parties de mots et de voyelles ou de
groupes de voyelles. Deuxièmement, il utilise les séries de synonymes ou de
mots quasi synonymes :
« Élitiste !
Réac ! Méprisant ! Bête ! Essentialiste ! Aigri !
Intolérant ! Snobinard ! Réducteur ! Fasciste !
Intello ! Caricatural ! Jaloux ! Cérébral !
Hypocrite ! »
« …
d’autres poètes, d’autres maîtres du verbe, des aèdes, des magiciennes et des
mages, des porteuses de parole, des maïeuticiens de la langue, des griots
royaux, des créatrices de rythmes, des diseuses de poèmes gymniques, d’autres
bergers du silence. »
Troisièmement, on peut entendre dans la répétition de
certaines structures phrastiques le roulement des batteries, ce qui ne va pas
sans rappeler quelques poèmes de son compatriote, Léopold Sédar Senghor :
« …
et nous affirmions qu’ils n’avaient pas pris le risque d’être provisoirement
dans la marge poétique, et nous leur reprochions de s’être caricaturés et
fourvoyés dans les prétentions mortes de l’engagement comme dans les
parnasseries un peu bourgeoises de l’écrivain-tout-court, et nous incriminions
leur réalisme exsangue qui se contentait de reproduire le monde sans
l’interpréter ou le recréer, et nous vomissions leur égoïsme dissimulé sous le
droit à la liberté de l’artiste, et nous fauchions à larges andains les têtes
de nos prédécesseurs qui avaient écrit beaucoup de romans injuriant la
littérature par leur banalité, et nous prononcions des sentences de mort contre
ceux qui avaient renoncé à se demander ensemble ce que signifiait être dans
leur situation littéraire, impuissants à créer les conditions pour des
esthétiques novatrices dans nos textes, trop paresseux pour penser et se penser
par la littérature, trop asservis aux prix littéraires, aux flatteries, aux
dîners mondains, aux festivals, aux chèques, aux circuits pour chercher à
grimer ou gripper la littérature convenable, trop mauvais lecteurs ou trop
copains pour se lire mutuellement et se dire avec courage ce qui n’allait pas,
trop pusillanimes pour oser une rupture par le roman, par la poésie, par rien
d’autre ».
On voit comment le texte passe de la répétition d’une
structure (nous + verbe en terminaison –ions) à une autre (trop + adjectif),
puis à une autre encore (aux + nom en pluriel). La longueur des différentes parties
de la phrase est mesurée et calculée, aboutissant à un texte agréable à lire à
haute voix et à être entendu. En somme, il sait très bien comment ne pas perdre
le souffle durant de longues unités de lecture. Épopée dans la forme et conte
dans le contenu, ce roman prête attention à son lecteur plus qu’aucun
texte : il nous interpelle directement ; il nous interroge, mais
surtout nous sollicite. C’est un texte très chaud qui risque de vous brûler de
son feu noir.
L’écrivain s’y rapproche
du conteur, cette figure littéraire mystérieuse qui se tient à
l’entrecroisement de la voix humaine, du conte et de la mémoire. Les
personnages ne sont pas maîtres de leurs mémoires ; les mémoires parlent à
travers eux. Comme Elimane qui sait très bien que la littérature est un plagiat
avoué. Il a donc donné aux textes qu’il a lus et qui ont laissé leur empreinte
ineffaçable sur lui l’occasion de s’écrire à travers sa plume, de revivre dans
son œuvre. La mémoire est une sorte de répétition, comme l’histoire. Par
conséquent, il n’est pas étonnant de trouver partout des reprises, des
symétries, des répliques et des échos dans ce monde baroque. La genèse de la
structure consiste en une sorte de battement. Les contes sont des mémoires
mille fois ressassées, donc broyées, mélangées, réduites à l’essentiel,
c’est-à-dire au néant, puis reconstruites derechef, des mémoires mille fois
oubliées et remémorées, oubliées et ré-imaginées, refoulées et revenues, qui
passent aujourd’hui, au hasard, par la bouche de l’auteur. La voix n’est jamais
la voix d’une personne ; c’est toujours un amalgame, un
conglomérat, une agglomération ; lorsque Siga D. parle, nous entendons
également la voix de son père, celle de la poétesse haïtienne, celle de
Brigitte Bellème, etc. La voix est donc une forme de mémoire. Et le conte,
c’est la voix de la mémoire, le bruit des mémoires, le brouhaha des esprits du
passé, passé au crible du temps. Sarr le conteur laisse le soin aux voix des
mémoires de jouer la batterie de mots.
Une façon efficace de
formuler l’aporie qui possède et hante le narrateur serait de s’interroger :
la littérature ou la réalité ? Son intérêt dans Elimane est peut-être dû à
ce problème beaucoup plus fondamental. D’où le balancement entre le sublime et
l’abject, le valeureux et l’insignifiant, le respect et le mépris, l’adoration
et l’amertume. On dirait que ce texte nous fournit l’exemple hébétant d’une
épopée vulgaire, ou d’une vulgarité épique. Tour à tour criant à l’unisson avec
Sartre qui disait « En face d’un enfant qui meurt, La nausée ne
fait pas le poids[2] »
et hurlant en chœur avec Huysmans qui demandait « Que vaut la mort d’un enfant
face à une œuvre d’art ?[3] »,
Diégane va et vient entre les deux pôles pour éprouver sa foi en la littérature
ou s’en méfier. Or il ne s’agit pas d’un simple choix : cette attitude ne
nous pose pas un problème, mais la solution. Il ne s’agit pas de prendre
son parti : le parti pris est cette même versatilité. La
littérature a de la valeur parce qu’elle peut se courber devant la réalité qui
en est plus grande. La force de la littérature réside exactement dans son
impuissance face à la réalité. La meilleure façon de témoigner de la réalité,
la façon qui nous rend le plus apte à la décrire, la façon qui nous en donne la
conception la plus fine et la plus complète, c’est de s’y mêler comme si l’on
n’allait plus jamais écrire même un seul mot. Il ne suffirait pas de faire
semblant de ne plus jamais vouloir écrire ; il faut ne plus jamais le vouloir
véritablement, au risque de vraiment ne plus jamais écrire. Écrire s’anéantit.
La littérature se détruit.
L’ambivalence de Diégane
ne serait pas étonnante, d’ailleurs, si l’on prêtait attention à l’objet de chacune
de ses attitudes : la vulgarité le rend capable de dépasser la vanité
humaine, de se tenir au-dessus de sa mesure dont il s’est fait un critère
absolu, afin de respecter le sublime, c’est-à-dire ce qui en est beaucoup plus
grand, ce qui le dépasse. C’est parfois la littérature, mais surtout l’univers.
La littérature l’est dans la mesure où elle dépasse l’humain, où elle se fait
le lieu de manifestation de l’inhumain, où elle se transforme en labyrinthe
de l’inhumain.
Daruch Chahinrad
Département de Langue et Littérature
françaises
Université de Téhéran, Iran
[1] « En quelque sorte » désigne que l’on peut
considérer Elimane, alternativement, comme le personnage principal.
[2] Jean-Paul
Sartre, interview par Jacqueline Piatier, Le Monde, 18 avril 1964.
[3] Cité dans Que
peut la littérature ? Paris, 1965.
Anne BEREST
S'adapter
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
S'adapter est un choix
Ce sont ces vieilles pierres autour de la maison qui narrent, ici, et aucun des protagonistes ne porte un nom.
Un jour, dans une famille des Cévennes, est né un enfant différent,
inadapté, voué à une courte vie. Il s’agit donc de l'histoire d’un petit frère
fantôme, traçant une frontière invisible entre sa famille et les autres, et de sa
place dans la famille et dans la fratrie. L’auteure représente la rencontre de
l’enfant successivement avec l'aîné, la cadette et le petit dernier qui ne l’a
jamais connu mais qui a été marqué par le souvenir de sa disparition au point d’en être
traumatisé.
C'est aussi l'histoire d'un amour fraternel entre l'aîné et le petit handicapé ;
cet aîné qui s'investit totalement au service de son frère. Ce dévouement le
sépare de ses camarades de classe, l’isole et finit par le confronter à la
désocialisation. Quant à la cadette, elle éprouve dégoût, colère et rejet
vis-à-vis de cet enfant handicapé aspirant au soutien et à l’amour de ses
parents. En se réfugiant auprès de sa grand-mère, la cadette montre sa volonté
de survivre malgré tout. Enfin, le dernier enfant, qui est censé remplacer le
pauvre handicapé décédé, vit dans l'ombre des fantômes familiaux tout en
portant la renaissance d'un présent hors de la mémoire.
Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent de cette
histoire qui nous a appris beaucoup de choses : il ne faut jamais vraiment
s’attacher à quelqu'un et personne ne nous appartient. L'aîné est ainsi resté prisonnier
dans la cage du passé.
"La
fragilité engendre la brutalité comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne
l'est pas assez ".
Je vous conseille fortement de lire ce livre lumineux et éblouissant.
L'écriture en est magnifique et favorise les émotions. Chaque mot sonne juste
mais demande de l'attention pour parvenir à saisir les sous-entendus
émotionnels et moraux. C'est un coup de cœur dont je me souviendrai longtemps.
Ce roman peut être considéré comme un miroir reflétant la vie de chacun de nous
et il touche à l’humanité.
Finalement, je vous laisse avec la phrase de la mère qui clôture ce
livre magnifique :
« Un blessé, une frondeuse, un inadapté et un
sorcier. Joli travail. »
Youmna Ahmed
Département de
Français
Faculté de Langues (Al-Alsun), Université de Ain Shams, Egypte
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus secrète
mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (461 pages)
Quand on joue le rôle de la « victime »
Diégane Latyr Faye, un jeune écrivain sénégalais vivant à
Paris va découvrir un livre mythique qui est Le labyrinthe de l’inhumain,
publié en 1938 et dont l’auteur est T.C. Elimane. Fasciné par ce texte
mystérieux, Faye se met à la recherche de cet auteur et de son texte. Le titre du roman et son incipit m’ont incité
à aller plus loin dans la lecture : « Et un jour l’œuvre meurt, comme meurent
toutes les choses, comme le Soleil s’éteindra, et la Terre, et le Système
solaire et la Galaxie et la plus secrète mémoire des hommes ». Cette citation
de Bolano prépare le lecteur à une aventure littéraire des plus intéressantes.
Or, le parcours de ce jeune écrivain, à l’instar des « itinéraires
qui peuvent être beaux ou terribles, pavés des fleurs ou d’ossements », et surtout
les rencontres et les relations d’amour qu’il a vécu avec toutes les femmes de
passage dans ce labyrinthe bizarre m’ont fait perdre le fil de sa quête de
base. L’auteur croit bon de mêler l’écriture à la vie : « On peut. C’est ça,
vivre en écrivain. Faire de tout moment de la vie un moment d’écriture. Tout
voir avec les yeux d’un écrivain ». Cela fait que le style ennuyeux de la
narration, les détours sexuels interminables du narrateur et le registre
familier ont affaibli notre identification au texte.
À la fin du roman, Diégane nous dévoile la raison de la
disparition d'Élimane. Ce dernier s'est suicidé à cause des politiques racistes
qui empêchaient les Africains sénégalais – en particulier – d'exceller dans
l'écriture. Ce sentiment d’angoisse existentielle quant au besoin « d’exceller
» et à la peur de « mourir sans laisser des traces » se trouve d’ailleurs chez
le narrateur dès le début de son histoire : « Parce que nous éprouvons, comme
tous les écrivains sans doute, l’angoisse de ne rien trouver et de ne rien
laisser, et qu’au fond c’étaient nous-mêmes que nous critiquions, c’était notre
crainte de ne pas être à la hauteur que nous exprimions, car nous sentons dans
une caverne sans issue et nous avions peur d’y mourir faits comme des rats ».
Je me suis attendue en effet à un roman grandiose, mais
j’ai été très déçue. J’estime que « Jouer le rôle de la victime » de l’écrivain
a affaibli de plus en plus le texte : « Nous avions ensuite longuement commenté
les ambigüités parfois confortables, souvent humiliantes, de notre situation
d’écrivains africains (ou d’origine africaine) dans le champ littéraire français.
Un peu injustement, et parce qu’ils étaient des cibles évidentes et faciles,
nous accablons nos aînés, les auteurs africains des générations précédentes ;
nous les tenions pour responsables du mal qui nous frappaient ». Je trouve que
ce roman n’est pas intéressant du tout. Je n’ai pas du tout aimé.
Rua'a Sa'ad
Département de Français,
Faculté de Langues étrangères
Université de Jordanie
Anne BEREST
La Carte
Postale
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Traces
Dans son roman, Anne Berest ne nous
le cache pas : comme ceux qui nous précèdent, nous laisserons place à ceux qui
nous suivront. Rien n’est éternel. Cette réalisation s’accompagne d’un intense
sentiment de responsabilité, d’une quasi-urgence : comment faire compter ce
temps qui s’écoule ? Ces vies qui s’épuisent ? L’écrivain trouve par ce livre
le moyen d’immortaliser l’histoire de son arbre de famille, un arbre qu’elle va
reconstituer à quatre mains avec sa mère. Par sa plume honnête à la sensibilité
désarmante, elle parvient à ranimer pendant un moment fugace mais vivide, ses
ancêtres aux vies riches, éteints dans la souffrance de la Shoah, lors d’une
poignante réunion de famille à laquelle elle invite gracieusement le lecteur à
participer.
Qu’est-ce qui inspire donc cette
rencontre à travers les générations ? Au départ, la grossesse d’Anne, qui
réveille en elle l’envie d’en savoir davantage sur sa grand-mère Myriam, son
arrière-grand-mère Emma, et toutes ces figures maternelles qui, avant elle,
mirent au monde la vie. Sur le point d’accoucher de sa fille Clara, l’auteur se
réfugiera auprès de sa propre mère Lélia, fille de Myriam, qui peindra pour
elle un véritable album familial touchant et douloureux, faisant intervenir
dans ses récits, des témoins encore vivants d’un temps antérieur : des lettres,
des journaux intimes, des rapports médicaux et policiers, documents
méticuleusement collectionnés, et preuves palpables que ces incroyables
histoires qui s’y dévoilent sont bel et bien réelles… Ces témoins de papier
racontent la vie des Rabinovitch, ancêtres de l’écrivain, depuis Nachman, le
plus ancien, jusqu’à sa petite fille Myriam, grand-mère de l’écrivain. Fille
d’Ephraïm et d’Emma, sœur de Noémie et de Jacques, elle est l’unique survivante
de sa famille, ayant échappé à la déportation de justesse, alors que ses
parents, sa sœur et son frère, ont trouvé la mort dans les camps de
concentration nazis. Si le riche récit de Lélia s’achève lorsqu’elle perd la
trace de Myriam, un incident affligeant qui touche Clara à l’école va pousser
Anne à poursuivre les recherches de sa mère. Incapable psychologiquement de
discuter avec sa fille de ce qui lui est arrivé, elle va soudain se souvenir de
cette fameuse carte postale reçue par ses parents seize ans plus tôt. Postée
dix ans après son écriture et auréolée de mystère, perçue à l’époque comme une
sorte de menace, cette lettre éveille chez Anne le besoin absolu de retrouver
son auteur. Même s’il faut pour cela aller voir un détective privé ou discuter
avec un criminologue. La réalité dans ce roman nous apparait en effet comme
étant mille fois plus captivante que les fictions les plus épicées… Ainsi,
l’auteur se lance dans des descriptions marquantes du nazisme et du traitement
inhumain que subissent les membres de sa famille faits prisonniers par les Allemands,
contrebalançant l’horreur de la guerre par le récit de fuites incroyables,
notamment celle de Myriam qu’on cache dans un coffre de voiture à double fond
pour l’aider à s’échapper. Si l’histoire des personnages raconte l’Histoire de
la shoah, elle dénonce aussi l’antisémitisme encore vivace de nos jours. Cette
persécution des Juifs semble itérative, puisqu’elle touche tour à tour plusieurs
personnages de différentes générations. L’œuvre de Berest est à la fois engagée
et informative, brossant le portrait de toute une culture. Pour le lecteur
amoureux de détails, c’est l’occasion d’aller à la découverte de toutes ces
riches traditions et des symboles religieux judaïques : Les tsitsits,
les papillotes, le phylactère, le cholent, ou encore certaines fêtes comme la
Pessah censée rappeler aux juifs qu’il faut se méfier du confort : « En Égypte,
insistait Nachman, les Juifs étaient esclaves, c’est-à dire : logés et nourris
[…] La liberté, elle, […] s’acquiert dans la douleur. L’eau salée que nous
posons sur la table le soir de Pessah représente les larmes de ceux qui se
défont de leurs chaînes […] Mon fils, écoute-moi, dès que tu sentiras le miel
se poser sur tes lèvres, demande-toi : de quoi, de qui, suis-je l’esclave ? »
(p. 13).
Il faut aussi mentionner ces
phénomènes étranges que vivent Anne, sa sœur Claire, ou sa mère, et qui
feraient fléchir le lecteur le plus cynique. Lorsqu’Anne ressent la subite et
dominante envie de rentrer au lycée Fénelon, ce même lycée que sa grand-mère
avait rêvé d’intégrer avant elle. Ou lorsque Claire devient du jour au
lendemain bénévole à la Croix-Rouge, à l’âge où son ancêtre Noémie revêtait
l’habit de soignante dans un camp de concentration allemand. De même pour Lélia,
qui retrouve intuitivement la maison de ses grands-parents qu’elle n’a pourtant
jamais visitée auparavant... Ces phénomènes que la science tente de cerner en
leur donnant le nom de “mémoire des cellules” révèlent un lien plus fort que la
mort et témoignent de l’existence d’un temps cyclique où les lignes sont floues
entre passé et présent et où les descendants répètent sans s’en rendre compte les
actions de leurs ancêtres. Le lecteur ne peut s’empêcher de se demander lui
aussi, lesquelles de ses actions sont guidées par des mémoires ancestrales...
Que dire alors de ce livre ?
Innovateur ? Poignant ? Profond ? Ce ne sont que de pauvres adjectifs, qui sont
bien pâles face à cette tâche impossible : décrire toute l’ampleur de l’émotion
que suscite le récit. Une émotion humaine, imprégnée de l’implacabilité du
temps qui passe, et de la valeur des liens de sang que ni le temps ni la mort
ne peuvent totalement rompre. Une émotion intime et secrète que nous ne pouvons
décrire, mais dont nous pouvons faire l’expérience en nous lançant aux côtés
d’Anne et de sa mère dans leur enquête… A. Berest est d’autant plus authentique
qu’elle écrit sans prétention aucune, ni fioritures, comme si elle racontait au
lecteur son histoire de vive voix, ainsi qu’elle l’a entendue sans doute de la
bouche de sa mère. Sa simplicité n’est jamais froideur mais sincérité, et ses
courts chapitres révèlent l’urgence qu’elle ressent de tout coucher sur papier.
Véritable coup de cœur, ce livre insuffle au lecteur la brûlante envie de
partir lui aussi à la rencontre de ses ascendants, d’aller serrer chaudement la
main de ses grands-parents, de ses arrière-grands-parents même, d’écouter leurs
voix d’outre-tombe… À une époque où le Liban subit le pire, et où ses habitants
se voient pour la plupart déracinés, éparpillés à travers différentes contrées,
comment ne pas ressentir le besoin de retourner vers ses origines ? Comment ne
pas détacher son regard un moment des branches et des feuilles de l’arbre
familial et se mettre à creuser dans le sol opaque du passé pour y retrouver
ses racines ?
Rackelle Tebechrany
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines-Section 2
Université Libanaise
Agnès DESARTHE
L’Éternel Fiancé
Éditions de l’Olivier, 2021 (256 pages)
Le cœur éternel
Le lecteur croit donc
que ce roman retrace l'histoire d'amoureux que
seul l'amour unit pour toujours. Sans doute, la joie étoufferait les
peurs qui nourrissent leurs douleurs pour que l'âme jouisse de la lumière par le sortilège de l'amour.
Cher lecteur, il ne faut jamais juger un livre à son
titre !
Aimer est un acte éternel, certes. Pour cela, la
narratrice ouvre son roman par l'évènement qui lui tient le plus à cœur : lorsqu'elle n’a
encore que quatre ans, un petit garçon lui déclare son amour durant un concert de
Noël. Depuis, cette petite fille grandit, l'étincelle allumée dans son cœur
aussi. Elle construit sa place parmi ses deux sœurs et ses parents à la
maison. Rien au monde ne compte à ses yeux que « l'amour de [ses]
parents, la compagnie de [ses] sœurs, la chaleur rassurante du foyer ».
La narratrice revoit son prince charmant plusieurs fois dans sa vie. En revanche, ils ne sont
jamais en couple et elle ne vit pas une vie aussi parfaite qu'elle en a l'air.
À l’adolescence, la jeune fille fait face à de
nombreux problèmes et défis. Sa mère quitte le foyer. Ce départ est refusé par
la narratrice. Celle-ci s’indigne : « Comment peut-elle partir
puisque nous sommes ensemble pour toujours ? » Effectivement, la jeune fille
reste pour toujours avec sa mère, peut-être pas physiquement, mais certainement mentalement.
Petit à petit, le lien solide qui soutenait la famille se déchire. Les filles et
leur père formaient une troupe de musiciens à la maison. Le violon, qui enflammait
le flambeau de la maison d'antan, s'éteint.
Le "fiancé", Étienne, se marie et fonde quant
à lui sa famille. La narratrice s'attache à lui et le cherche dans tous les recoins de sa vie. Cependant, elle ne le retrouve
jamais. Elle se marie, mais pas avec lui. Elle devient sa confidente, mais
jamais son amante. Elle rêve de lui jour et
nuit tandis que lui l'oublie. Ce jeune homme lui raconte ses peines et ses malheurs à la suite de la mort de
sa femme. La narratrice l'écoute avec patience. Néanmoins, Étienne ne sera jamais la clef de la délivrance
de la narratrice, la délivrance des sentiments qui l'accablent et la font sourire en même temps. Le fiancé reste donc fiancé,
jamais de manière officielle : c’est le statut qu’il a dans le cœur de la
narratrice.
Le roman raconte donc
la vie d’une protagoniste qui ne retrouve jamais son vrai amour et qui vit ou
survit entre son amour pour sa mère perdue et son amour pour cet amoureux
perdu. Mais il ne faut jamais sous-estimer le rôle que joue le dénouement
dans la narration ! Pourquoi n’a-t-elle alors pas mentionné son propre
prénom ? Ce prénom, il reste en effet inconnu. Elle n'évoque même pas le
nom de famille de ses sœurs. Mais les choix que nous
faisons montrent qui nous sommes vraiment et c'est ce qui compte le plus.
En feuilletant les
pages de ce roman, l’excitation est au menu mais elle ne nous entraîne jamais
dans l'illusion de la perfection. D’ailleurs,
lors du 25ème festival des Lettres d'automne, durant une programmation scolaire, un
élève demande à l'auteur : « qui je
suis quand je lis ? » Elle lui répond qu’elle,
en lisant, est tour à tour le personnage, l'auteur, le mot, l'aventure. La perfection ne se
trouve dans aucun de ses termes-là, non ? Elle n'est peut-être pas présente
mais ce qui compte vraiment, c'est l’authentique
réalité qui, elle, est plus que parfaite.
Angela Aad
Département de Langue et Littérature Française
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Clara Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Pourquoi
s’adapter ?
Journaliste,
chroniqueuse et écrivaine française, Clara Dupont-Monod publie cette année son
roman intitulé S’adapter. Les personnages souvent héroïques, moyenâgeux
et hors norme y sont confrontés à la naissance d’un enfant différent, qu’un mur
épais sépare des autres enfants de son âge, un enfant fragile et dépendant. Ce
nouveau-né prend toutefois sa place au sein d’une famille cévenole, menant
chaque membre à s’adapter à son existence, chacun à sa manière.
En effet, l’histoire se
déroule dans les Cévennes, au sud de la France, entre les montagnes. Les
pierres de ce village qui ont accompagné Clara Dupont-Monod au cours de ce
chapitre de sa vie, qui a duré 10 ans, ont joué le rôle d’une caméra,
transmettant fidèlement une réalité qui nous entoure, nous permettant de
plonger dans l’univers intime et social d’une famille française.
C’est vrai que les
parents mouraient de chagrin en silence après la révélation du médecin en ce
qui concerne l’état de leur fils, cependant cette fiction littéraire est animée
par trois protagonistes, les deux frères et la sœur de l’enfant inadapté,
occupant chacun une partie de cette œuvre. Dans la première partie du roman, le
lecteur fait la connaissance de l’aîné qui, après quelques vaines tentatives
pour s’en détourner, finit par s’attacher à son frère malade et développe un
amour compassionnel pour lui ; aussi la disparition de l’enfant lui
cause-t-elle un chagrin profond. La deuxième partie s’ouvre sur la cadette qui,
étouffée par la colère, refuse violemment la présence « d’un point fixe » à la
maison, ainsi que l’attention que son frère aîné accorde à l’enfant. À la suite
de la mort de l’enfant inadapté, naît le benjamin de la famille, qui portera
sur ses épaules le poids de la renaissance. Il reste dès lors partagé entre son
désir de vivre et celui d’en savoir davantage sur l’enfant disparu.
Clara Dupont-Monod a
souvent été victime des regards des autres et de leurs critiques qui alourdissent
le cœur, au sujet de cet enfant, fautif de rien. Cela a permis à l’écrivaine
d’apprécier la notion de différence et de l’offrir au lecteur avec toutes ces
facettes, surtout grâce à ce livre aux forts accents autobiographiques.
L’utilisation de phrases
courtes et d’un vocabulaire riche relatant les détails des évènements et la
profondeur des sentiments permet au lecteur de se mettre dans la peau de chaque
personnage. L’écrivaine a réussi à attiser la curiosité du lecteur, pour
essayer de répondre à la question suivante : « lorsque l’on doit s’adapter à
une personne inadaptée, lequel des deux est en fait le plus inadapté ? »
Cette œuvre m’a donné une
leçon : on est tous pareils, même si les yeux de l’autre sont aveugles, se
noyer dedans dessine les traits de l’amour. En lisant ce roman, on rit, on
pleure, on est attristé, on est ému, on est surpris, bref on vit et on en est
ravi ! Cet enfant inadapté, un trésor envoyé par Dieu, avec des yeux errants
dans le vague, nous apprend à voir la vie sous un autre jour.
Maria Abou Jaoudeh
Département de Langue et
Littérature françaises
Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines
Clara Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Vers la
normalisation des « anormalités »
« Être
normal » n’est qu’une expression stéréotypée caractérisant un ensemble de
personnes inconscientes de leurs dissimilitudes parfaitement uniques. On se
demande alors sur quoi l’on se base afin de catégoriser les personnes ainsi. En
effet, l’humanité impose des « normes » dans le but de classer les Hommes en
diverses catégories. C’est une « adaptation » qui semble « anormale » aux yeux
de Clara Dupont-Monod, autrice de plusieurs romans historiques, notamment Nestor
rend les armes et La Révolte. C’est ce qui la pousse à composer un
roman tout à fait différent dans lequel elle dénonce cette « anomalie sociale
». Tout comme le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme, le handicap,
l’autisme, la trisomie et autres dysfonctionnements restent toujours des sujets
tabous et délicats. De ce fait, la romancière puise dans son quotidien, des
événements en rapport avec son frère « inadapté », mort à dix ans. Elle partage
ainsi avec son lecteur la souffrance de toute une famille et manifeste, malgré
tout, un amour incontestable envers cet être différent, mais unique au monde.
L’histoire se déroule
durant les années 80 au Sud de la France, plus précisément dans les Cévennes. «
L’aîné », « La cadette » et « Le dernier » sont tour à tour personnages principaux.
Dans les trois courts récits intitulés ainsi, les pierres du village se
permettent de raconter trois histoires différentes mais qui se recoupent en un
même récit traumatisant : celle d’un frère « inadapté ». Les narrateurs,
impliqués dans l’histoire, créent une ambiance de film dont la voix-off nous
rappelle leur présence, à chaque fois qu’on l’entend.
Les divers
dysfonctionnements que présente le petit vont bouleverser la vie de son frère
et de sa sœur. Tous les deux éviteront d’aborder le sujet entre amis et même en
famille, fuyant ainsi la réalité amère qui s’est installée au sein de leur
foyer depuis l’arrivée du petit. Ayant pris conscience de la situation de son
petit frère, l’aîné se met en mode protecteur. Il tente de lui faire découvrir
le monde qui l’entoure tout en le protégeant, contrairement à la cadette qui ne
manifeste que répugnance envers la créature inoffensive. L’aîné reprochera à sa
sœur son indifférence et sa négligence. Ce dernier devient alors plus autonome
et plus mature que les jeunes garçons de son âge qui n’ont pas autant de
responsabilités à assumer. De ce fait, le lecteur est témoin d’une sensibilité
profonde et d’un grand amour entre les deux frères.
À travers l’écriture de
ce roman en particulier, la journaliste se console en apaisant la douleur de
toutes les familles qui ont traversé les mêmes épreuves. Originaire des
Cévennes, elle implante un cadre spatial identique à son histoire, entrainant
ainsi son lecteur vers le Sud de la France, dans une nature magnifiquement imposante.
Cette exploration se fait en cours de lecture à tâtons. Transporté de la sorte
par les petites découvertes du frère « inadapté », le lecteur entrevoit la
mère-nature sous un angle parfaitement différent du sien. Cette magie s’est en
effet instaurée dès l’incipit. Dans un style fluide et accessible à tout
public, la romancière entame son récit par des phrases introductrices faisant
écho aux contes de fées : « Un jour dans une famille est né un enfant
inadapté. » Cette simplicité du style se mélange avec la force du vocabulaire
des sentiments et l’absence des noms propres, ce qui contribue à rendre le
texte plus accessible et même plus bouleversant. En effet, le lecteur, à bout
de souffle, s’identifie facilement aux personnages ou reconnaît des visages d’êtres
ayant fait face aux mêmes dilemmes et fatalités.
Quant aux lecteurs
habitués à d’autres intrigues romanesques ou à des lectures plus intenses, ce
livre pourra les émouvoir certainement en tant que frère ou sœur, père ou mère
ou même en tant que futurs parents. Le style en est si simple que tout lecteur
peut facilement lire ce roman en un seul jet. Cependant, on est loin de goûter
au plaisir de la lecture puisque la fin est prédictible et plutôt décevante.
N’est-ce pas là un miroir que l’auteur promène au cœur de ses souffrances pour
refléter les grandes déceptions de la vie ?
À la manière de Pierre
Michon dans son œuvre Vies Minuscules, Clara Dupont-Monod tente de faire
vivre ces petites vies dans trois récits brefs, narrés par les pierres du village.
Le lecteur se pose alors diverses questions autour du destin de la famille et
surtout autour des troubles psychologiques que peut causer l’arrivée d’un petit
dernier, suite à la mort de « l’inadapté ». De sa plume « adaptée » à une telle
histoire d’une brûlante réalité, Clara Dupont-Monod transporte son lecteur par
des émotions fortes, réelles, révélant sa grandeur d’âme et son authenticité
sans pareil dans une telle situation poignante.
Nathalie Ghaouche
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences humaines-Section
2
Université
Libanaise
La Carte postale
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Une carte postale : origine d’un arbre généalogique
Anne Berest, écrivaine et scénariste, nous procure un roman haletant et passionnant sur la transmission entre les générations. Pour la romancière, tout commence par l’observation d’une carte postale. Cette dernière paraît comme l’élément déclencheur des souvenirs d’antan. Une carte anonyme fait en effet irruption dans la boîte aux lettres de la famille d’Anne Berest en 2003 et devient le vecteur des faits, le déclic de la situation et le catalyseur de la véritable découverte dans le roman.
Cette découverte
permet à la narratrice de revoir le passé de ses ancêtres, quatre aïeux
assassinés en 1942 à Auschwitz, le plus grand camp de concentration de la
Deuxième Guerre mondiale. Et il faut dire que tout ce qu’Anne Berest apprend,
au fur et à mesure, l’aide à combattre ses démons, à mieux identifier sa
personnalité, son héritage, son présent, sa vie, bref son identité ! Une
façon de se réapproprier ses origines, ainsi que sa religion. L’écrivaine cherche
à comprendre enfin ce qu’est « être juive ». Une réflexion profonde à
scruter et au sujet de laquelle elle avoue sincèrement à la page 257 de son
roman : « Je suis juive mais je ne connais rien de cette
culture ».
En fait, Anne Berest décide
de mener l’enquête dès le départ avec l’appui et sous les directives de sa mère
Leila. Celle-ci est soi-disant « la Sachante » de l’épopée ;
c’est elle qui détient avec une grande lucidité le savoir et les réminiscences
du passé et la fille est « la disciple ou l’ignorante » qui reçoit, écoute,
raisonne, imagine, suit, cherche, apprend et surtout compare les recoupements
pour résoudre le rébus et pour reconstruire le sens de cette obscure carte
postale. Nous avons donc affaire à deux femmes complices obnubilées par une
seule pensée, engagées dans une même conversation et empruntant la même voie :
celle de la découverte d’une saga familiale. L’objectif escompté : aboutir à un
seul point d’arrivée.
Quant aux ancêtres de
la romancière, ce sont Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques. Nous apprenons qu’il
s’agit des Juifs qui vivaient d’abord en Russie avant de se déplacer en
plusieurs endroits au fil de l’histoire. En somme, c’était une famille errante
engloutie dans les camps d’extermination nazis, une famille surtout marquée par
la Shoah, les malheurs de la guerre et les destins tragiques. La carte postale est
donc la reconstitution de leur périple.
L’histoire est
humaine par excellence car les destins racontés pourraient trouver des
ressemblances ailleurs avec des similitudes de parcours. La romancière constate : « Nous
étions tous une grande famille, qu’importe notre couleur de peau, notre pays d’origine,
nous étions tous reliés les uns aux autres par notre humanité. […] » (p. 260).
Le lecteur trouve même le mot « humanité » écrit en italique au sein
du récit, ce qui accentue son importance cruciale.
Quant au style de la romancière,
il est simple, magnifique, accessible et très souvent poétique. Elle use
beaucoup de comparaisons et de métaphores comme : « On ramassait le
courrier par terre, comme des fruits mûrs tombés de l’arbre » (p. 6).
En outre, nous avons
des phrases excellement formulées, parfois même des proverbes, notamment
lorsque la romancière tente d’informer sur le statut des Juifs d’autrefois, lorsqu’ils
étaient assimilés à des indéterminés, des indésirables et des apatrides. Les
Juifs étaient vus par le monde et surtout par les Allemands comme une race
inferieure, ils étaient toujours persécutés, subissant des agressions humiliantes
qui étaient orchestrées par les nazis. L’écrivaine écrit à ce propos :« Le
ghetto devient un tombeau à ciel ouvert » (p.122), « On te pousse à mentir,
puis on te traite de menteur » (p.106)
Dans l’ensemble du
roman, le lecteur constate la virtuosité d’Anne Berest et sa plume fascinante.
Nous apprécions la large gamme d’énoncés illustrant la grande sagesse de
l’écrivaine comme : « Tu sais, on peut définir le hasard sous trois
angles. Soit il sert à définir des événements merveilleux, soit des événements aléatoires,
soit des événements accidentels … » (p. 109).
Ce livre est une enquête
présentée avec sobriété. Bref, c’est exactement le mot qui résume l’œuvre
d’Anne Berest : une véritable enquête sur la tragédie familiale de ses ancêtres.
Il s’agit aussi d’un émouvant témoignage, un voyage littéraire très riche ayant
un arrière-fond historique et humain.
C’est toute
l’histoire de sa famille maternelle qu’Anne Berest retrace, de la Russie à la
France et de l’avant-guerre à nos jours. Le mystère de la carte postale a ainsi
donné une tension forte au texte. En se lançant dans un récit qui est quasiment
un polar, la narratrice s’est lancée aussi dans une enquête personnelle :
identitaire et familiale. À vous donc de découvrir et de savourer le récit sensible
et vivant de La Carte postale. Bonne lecture…
Yara EID MOHAMED
Département de Langue
et de Littérature Françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Le
Voyage dans l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (279
pages)
Adieu à l’innocence
“Le
Voyage dans l’Est” : tel est le titre du nouveau roman auto-fictif
de Christine Angot, paru le 18 août 2021 chez Flammarion, et où elle essaye
de traduire par les mots son traumatisme d’enfance, d’adolescence puis de femme
adulte.
Effectivement,
contrairement à ce que pourrait suggérer le titre de ce roman, celui-ci est
loin d’être un roman d’aventures, tout comme l’enfance de l’écrivaine, et parallèlement
celle de l’héroïne, sont loin d’être traditionnelles.
Alors
qu’elle était partie en voyage avec sa mère, à l’âge de 13 ans, vers l’Est de
la France, « une poupée dans les bras » (p. 16), pour
rencontrer son père pour la première fois, cette écolière, à qui l’écrivaine
donne le même prénom que le sien, connaît l’horreur de l’inceste. « Le
mot inceste s’est immédiatement formé dans ma tête » (p. 17)
annonce-t-elle dès le premier chapitre.
La rencontre avec son père longuement attendu et que Christine décrit initialement
en ces termes : « Je n’avais jamais vu ce genre d’hommes qu’à la
télévision et au cinéma » (p. 9) tourne rapidement en un cauchemar « Il
a fait un pas en avant, et m’a embrassée sur la bouche. » (p. 17)
Cet homme plurilingue, éduqué, cultivé, appartenant à l’élite sociale et qui
représente le portrait de la perfection ne deviendra pour sa fille qu’un rappel
de son incapacité : « Ce que je ressentais aurait mérité d’être
exprimé si je n’en étais capable. » (p. 40), de son infériorité :
« Je me sentais inférieure. » (p. 83) et de sa vie ruinée :
« Sachant que j’avais perdu le contrôle de ma vie, que mon avenir était
gangrené, et mon destin irréversible » (p. 90). La chambre d’hôtel « remplie
de lumière » (p. 9) à la rencontre du père, ne tardera pas à devenir
le cadre de souvenirs amers, et le sentiment d’« orgueil » (p. 10) qu’elle
a éprouvé après leur premier dîner ne tardera pas à se transformer en mépris, en
« déception » (p. 19) et en dégoût.
Néanmoins,
la valeur du « Voyage dans l’Est » ne s’arrête pas à la simple narration
de ce drame familial par désir de se libérer. Christine Angot ne cherche pas uniquement
à extérioriser ses sentiments par le truchement de l’écriture, comme elle le
faisait dans certains de ses romans précédents, à savoir L’Inceste
(1999), Une Semaine de Vacances (2012) et Un Amour Impossible (2015).
Elle dépasse les répercussions de ce choc émotionnel sur sa vie personnelle,
pour aborder le rôle que jouent le silence et l’inaction de la société dans
l’aggravation de ce crime. La mère de l’écrivaine aussi bien que son copain
puis son mari, quoiqu’au courant des actes du père, ne défendent pas Christine
contre ce père abusif et manipulateur : « Marc, que j’avais pris comme
sauveur, se trouvait intégré au dispositif de mon père. » (p. 90) ;
« Ma mère n’a pas saisi la justice. » (p. 92). Angot n’a pas
peur de raconter l’indicible et de critiquer de front tous ceux qui ont
contribué à ce trauma qui a ravagé sa vie, y compris elle-même « Je me
disais que j’avais fait des erreurs, et recensais les torts que je devais
m’attribuer. » (p. 49)
Aussi,
l’autrice se révolte-t-elle contre le pouvoir ultime du patriarcat et de l’abus
de l’autorité masculine : « Vous ne vous rendez pas compte, de ce que
ça fait d’avoir un père qui refuse que vous soyez sa fille [...] Vous ne
comprenez pas. C’est le pouvoir ultime du patriarcat. [...] Le signe, absolu,
d’un pouvoir privé qui s’exerce sur un cercle, et qui est respecté au-delà du
cercle, par tous ceux qui s’inclinent devant le rapport d’autorité. » (p.
180)
Elle
insiste sur l’impossibilité de relativiser l’inceste et souligne le pouvoir de
la parole en exprimant son regret de ne pas avoir dénoncé son père à la police
lorsqu’elle avait encore la possibilité de le faire. Pour Christine Angot, le
viol et l’inceste ne peuvent être perçus qu’en tant que crimes quelles que
soient les circonstances où ils se déroulent : « Ça reste des
viols par ascendant, madame. » (p. 170) Elle avoue, en effet, que tous
les arguments et prétextes qu’elle donnait à son père étaient illogiques et
« tirés par les cheveux » (p. 44).
Somme
toute, Christine Angot est une écrivaine habile qui a réussi à bien transmettre
son message par son style simple et fluide caractérisé par la fréquence des
descriptions, leur précision et souvent leur aspect choquant et bouleversant. Elle
réussit à développer chez son lecteur un sentiment de nausée mais aussi de rage
et de révolte contre le mutisme de sa société.
Maria
Hanée Salama
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
La fratrie
Alaa Raad Yassine
Département de Français
Université de Bagdad
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
L'humanité la plus élevée
Toutefois, et
même après avoir su qu'il est handicapé, elle ne l'a pas abandonné, mais a pris
soin de lui et l'a traité avec douceur parce qu'il fait partie de la famille,
parce que les sentiments du père et de la mère sont infiniment bienveillants.
La mère, surtout, ne peut pas abandonner son enfant, quoi qu’il en soit. De
plus, le fils aîné et la grand-mère ont également joué un rôle dans la prise en
charge de l'enfant. En somme, c’est au plus haut degré de tendresse que veut s’élever
Clara Dupont-Monod par cette expérience : “On ne saura rien des courants
qui, à cet instant, traversent le cœur d’une mère.”
Fatima Ahmed
Département de Français
Université de Bagdad
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock,
2021 (200 pages)
Inadapté
Mais à travers cette histoire pleine de difficultés, quel message veut passer Clara Dupont- Monod ? À quoi voudrait-elle arriver ? Que se cache-t-il derrière cette expérience difficile ? L'œuvre met l'accent sur l'importance et la leçon à tirer des situations difficiles, comme la situation endurée par cette famille, mêlée à des sentiments de douleur, de honte et de colère et qui tente pourtant de s'adapter à cette condition pénible. Néanmoins ce que l’on pensait n’être qu’une expérience difficile, qui ne ferait bénéficier de rien, est en fait une leçon de courage où l’on apprend beaucoup, y compris la leçon de l'importance du temps que nous passons en famille.
Noora Mustafa Abd Almajeed
Département de français
Université de
Bagdad
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Cadeau
À elle, il ne restait rien, aucune énergie pour la porter », disent les pierres de la maison.
Tiba Tariq Mohammed
Département de Français
Université de Bagdad
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Différent !
Zinah Isam Drewil
Département de français
Université de Bagdad
Louis-Philippe
DALEMBERT
Milwaukee
Blues
Éditions Sabine
Wespieser (293 pages)
I can't breathe,
Ça ne date
pas d'hier
Ayant composé le
nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un
quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de
visages noirs hurlant ‘Je ne peux plus respirer’. Jamais il n’aurait dû
appeler le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop
tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort
effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d’un policier.
Louis-Philippe
Dalembert s’inspire pour cet ample et bouleversant roman de l’abominable
assassinat de George Floyd en 2020 à Minneapolis aux États-Unis. Mais c’est la
vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett comme Emmett Till, un
adolescent du Mississippi qui a été arrêté, enlevé, battu et assassiné pour
avoir osé parler à une femme blanche en 1955.
Dalembert
transpose subséquemment l'histoire de Floyd de Minneapolis à Milwaukee,
Wisconsin, puis choisit tout consciemment 'Emmett' comme nom de son
personnage principal, y faisant ainsi référence.
Si l’on considère le
fait que le nom 'Emmett' signifie 'vérité' en hébreu, on peut mesurer la
subtilité avec laquelle l'auteur tente de sensibiliser le lecteur à un mal
quasi-universel. Un mal qui a été inventé plus ou moins tardivement par l'homme
et qui, paradoxalement, se met à se métamorphoser de plus belle et à se répandre
de génération en génération, traversant les limites physiques d’un continent à l’autre
et les frontières temporelles d'une époque à la suivante, à l'instar d'un virus
qui se 'génétise', devenant héréditaire.
L'auteur trouve un
moyen particulièrement efficace pour composer l'image complète du protagoniste en
mettant la lumière successivement sur chacun des personnages ayant fréquenté
Emmett, et donnant à chacun sa propre tribune pour présenter l’histoire : il y a
d'abord l’homme qui a appelé la police pour alerter du danger que constituerait
Emmett, mettant ainsi fin à sa brève existence, hanté dès lors par la
culpabilité ; puis il y a l'institutrice blanche, pleine de tendresse et
de bienveillance ; ensuite, ses deux amis d'enfance bien fidèles ; son
coach de foot qui le considère comme son fils et l'encourage sans cesse. Enfin,
il y a son ex-fiancée blanche qu’il a aimée. Tous ces personnages sont fortement
incarnés en vue de faire valoir l’étendue de la corruption (humaine) que le
racisme a exercée dans la vie d'Emmett.
À la faveur de ce
récit à angles multiples, différents éclairages sont portés sur ce qui s’est
passé et l’on se rend compte que cette mort est profondément injuste. C’est
pourtant le reflet de ce que vivent actuellement les Afro-américains aux États-Unis.
Il y a aussi une invitation très explicite à mettre fin à l’époque de l’esclavagisme
où toute peau autre que blanche était considérée comme inférieure.
Un roman
passionnant, ample et intense, consacré à une affaire largement polémique : la
ségrégation. Cette déformation qui a affecté l'humanité depuis un bon bout de
temps et qui, bien que largement abordée en littérature, tant ancienne que
contemporaine, reste nonobstant un sujet tabou mais toujours d’actualité.
En réalité, bien
que ce livre suscite en nous d'innombrables vrais sentiments, il donne aussi
l'occasion de faire halte pour se poser des questions logiquement fondamentales
ou plutôt pour formuler des 'pourquoi' qui n'ont toujours pas de 'parce
que' raisonnables : ‘Pourquoi un Blanc se sent-il supérieur à un Noir
? Et pourquoi un Noir subit-il une infériorité face à un Blanc ?’ Alors qu'en
réalité les deux, Noir et Blanc, n'ont pas eu à choisir la couleur de leur
peau, et que ce n’est pas le teint de sa peau qui façonne un être humain.
Supposons même que
Floyd ou Emmett aient été des délinquants du premier degré et qu'ils aient bien
mérité la peine de mort ; n'aurait-il pas été plus juste de les condamner à
l’issue d’un procès équitable dans une cour de justice devant un juge avec le
droit à se défendre ? Et un autre questionnement surgit, probablement étrange
pour quelques-uns mais assez justifiable pour beaucoup d'autres : selon des
statistiques, il y a annuellement des dizaines de Noirs qui se font abattre de
manière atroce par des Blancs et, de l'autre côté, des dizaines de Blancs qui
se font aussi tuer par des Noirs. La question est désormais claire : pourquoi
les médias ont mis en évidence l'affaire Floyd et non pas une autre ?
Par l’évocation
de l’affaire Floyd, nous n’assistons pas au récit d’une personne qui s’est
injustement fait étouffer à mort, car Floyd, ce n’est pas une personne, mais
bien de toute une population considérable dans le monde. Si l'on se donne la
peine seulement d'imaginer que ce qui est arrivé à Floyd ou Emmett, pourrait
arriver à tout individu, même à ceux qui se croient à l’abri des malentendus et
injustices du racisme, aussi bien qu’à toi cher/chère lecteur/-trice en train
de lire cette histoire, nous avons de bonnes raisons d’avoir des craintes !
Il n’y a de
meilleur moyen de terminer qu’avec des paroles profondément émouvantes aussi
bien qu’impitoyablement réelles : « on ne peut pas peindre du
blanc sur du blanc ; ni du noir sur du noir ; chacun a besoin de
l’autre pour se révéler ».
Mohammed
Alwaleed
Département
de Français
Faculté
des Lettres
Université
de Khartoum, Soudan
Agnès DESARTHE
L'éternel fiancé
Éditions de l'Olivier, 2021 (259 pages)
Un passage agité
« Nous
étions le monde et mon regard demeurait comme myope au reste de
l’univers. »
Malgré le titre du roman, c'est loin d’être la vérité. Parce
que ce fiancé, de son côté, dans l'énorme salle de mariage, ne se souvient pas
du moment où il a confessé son amour à la narratrice. Était-ce parce qu'il a
été rejeté à cause de ses cheveux, ou parce que ses yeux n'étaient pas assez
attentifs pour se souvenir de leurs rencontres régulières ou intermittentes ?
C'est le rejet initial suivi de regrets ressentis tout au
long de la vie de la narratrice, malgré l’osmose de cette vie avec les rythmes
de l'orchestre, et des événements intimes et sombres. Voilà l’oscillation entre le passé et le
présent que nous fait vivre Agnès Desarthe, qui sait rendre le poids et la
gravité des événements avec de la légèreté et la tendresse de sentiments infiniment
délicats.
Desarthe a su rendre son roman unique avec ses
contradictions, l'absurdité des événements et l'entrelacement des histoires et
des personnages. Elle a peint un tableau sensoriel qui nous permet d’entendre
la musique et d’expérimenter ce que la narratrice vit, s'assurant de ne pas
nommer la narratrice.
Ce partage émotionnel rend la relation avec les lecteurs
étrange ; bien qu’ils interagissent avec une personne inconnue, ils ressentent
l’impression de faire avec elle corps commun, espérant qu'elle sera libérée de
sa passion pour ce fiancé oublieux, qui a piégé cette narratrice inconnue dans
l'exil de l'oubli.
Ce roman laisse penser que l'amour et le courage de prendre
des décisions à son égard sont les principales préoccupations dans la vie. Cependant,
il va plus loin. En effet, il nous conduit
à “sentir” le temps et la vie qui passent, alors que nous ignorons la vitesse
qui nous mène vers notre destin, comment nos décisions nous façonnent, alors
que le temps s’écoule tout en jouant la symphonie de la vie : « Il
y a un paradoxe dans la musique : le temps de la vie file comme la musique, on
ne peut pas l’arrêter. Cependant lorsqu’on pratique la musique, on peut
reprendre quelques mesures avant et se corriger » comme nous le confie
Agnès Desarthe.
En commençant un roman, le lecteur ne sait pas s’il va
l’achever, car c'est très aléatoire, mais dans L’éternel fiancé,
le lecteur se trouve absorbé par les détails de l'histoire et retient son
souffle pour savoir si le moment crucial de la rencontre des deux fiancés aura
jamais lieu.
Un livre à lire certainement et à recommander aux amis.
Sana’a Nour
Eldaiem
Département de Français
Faculté des Lettres
Sorj CHALANDON
Enfant de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Un
théâtre paternel fantasque dans les coulisses du procès de Klaus Barbie
Chalandon,
né à Tunis le 16 mai 1952, est un auteur contemporain qui est parvenu à mettre
la barre très haut par la richesse de ses oeuvres littéraires où prédomine un
souci autobiographique combiné à une fiction engageante. Menant une double
carrière de membre de presse judicière et d’écrivain, il a laissé dans cette œuvre une trace de journalisme
faisant écho au procès de Klaus Barbie
: un article qui, avec deux autres, lui a valu le prix Albert-Londres en 1988. Mettant le jour à
des chefs-d’œuvre littéraires, sa plume a effectivement été récompensée maintes
fois par des prix majeurs dont le prix
Médicis en 2006, le Grand prix
du roman de l’Académie française en
2011, le prix Goncourt des lycéens
en 2013… Le vécu de notre auteur s’incarne davantage dans une quête de la paternité,
un sujet qui revient souvent dans ses romans.
Avec Enfant de Salaud, paru aux éditions Grasset, dans la collection Littérature
française, publié le 18 août 2021, notre écrivain raconte sa recherche de la
vérité relative à un père aussi lunatique que perfide, inspirée par le procès
d’un criminel nazi, le fameux Klaus Barbie. Son roman figure même dans la
première sélection du Goncourt 2021.
Sorj Chalandon prête son
identité de journaliste à un narrateur anonyme qui a perdu le nord. Le lectorat
se surprend en effet à lire son journal intime précisément daté, assez
confidentiel. Couvrant le procès de Klaus Barbie, chef de la section IV de la
Gestapo de Lyon, accusé d’avoir arrêté, torturé, déporté et tué 83 Juifs de
l’Union Générale des Israelites de France, le protagoniste se demande ce que
faisait son père, au passé énigmatique, durant l’Occupation.
Pendant son enfance, la
figure paternelle lui a toujours servi de modèle : son père lui racontait
des épopées sur la guerre et s’idéalisait en tant que résistant héroïque. Or,
alors qu’il n’a que dix ans, son grand-père lui avoue qu’il est un « enfant
de Salaud » et que durant la guerre, son père se trouvait dans le mauvais camp
puisqu’il l’a repéré un jour en uniforme allemand. Et le voilà, ayant atteint
la maturité, s’interrogeant au sujet de cette affirmation et cherchant à en savoir
davantage. C’est durant le procès de Klaus Barbie qu’il va se rendre compte que
le dossier judiciaire de son père se trouve parmi les archives départementales
du nord et, puisque le père n’a pas l’intention de lui révéler la vérité, il se
déterminera à la dévoiler lui-même.
Dès lors, notre auteur
nous engage dans une quête bouleversante qui divulgue une jeunesse saturée de
perfidie et de lâcheté où le père se cache derrière un masque lunatique et
manipulateur : « Le salaud, c’est le
père qui m’a trahi ». Le fils ne voulait au fond qu’une chose : que
son père lui raconte, pour une fois, la vérité. Ce père n’était autre que
« l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace,
sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité ».
Tous ces faits vont déclencher
un dénouement intense, brutal, dramatique, et presque imprévu.
Dans ce roman
exceptionnel, Chalandon nous livre ainsi l’histoire d’un homme qui se nourrit
lui-même de mensonges et dont la jeunesse ressemble à ces pièces de puzzle qui
s’encastrent les unes dans les autres créant l’image d’un père traître et
faussaire. Le lecteur reste suspendu aux lèvres de ce personnage dont la
personnalité est tellement exagérée qu’elle en prend des allures caricaturales.
Il s’invente à tous les coups « une
parade flamboyante dont il [tu]est [es] le héros et eux, les spectateurs »,
fabrique des épopées où il s’admire pour son héroïsme, se crée un univers
propre à lui-même ; parce que sa réalité lui est très blessante, il se met
à déguster ses propres mensonges. Il s’agit dès lors du portrait complexe d’un
homme malade qui cherche à étancher sa soif d’héroïsme par un bovarysme
saisissant.
« Tu
as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois
un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario.”
Effectivement, la
richesse de l’œuvre ne se limite pas au cadre d’une personnalité épique. Notre
écrivain brave les frontières littéraires pour offrir à son lecteur un récit
exotique, où s’entrecroisent diverses tonalités. Le roman s’ouvre par un
lyrisme poétique ; les sentiments du narrateur sont mis au jour avec une
nuance outrée et touchante, tandis qu’il revisite les lieux où l’on parquait
les enfants juifs enlevés sous les ordres de Klaus Barbie. Néanmoins, quand le
père se met à raconter ses exploits, l’épique nous laisse ébahis face à un père
qui se console par sa version personnelle de l’Odyssée, agrémentée d’une note
homérique. Quand le fils prend connaissance du dossier de son père, on se
dirait presque face à un roman d’aventures, tant les péripéties sont multiples.
D’ailleurs le roman finit par glisser vers le dramatique : chaque épisode
de la vie du père évoque un coup de théâtre brutal. À la fin de ce voyage mené
avec un style mesuré, à fleur de peau, intime, mais surtout prodigieux,
Chalandon épate son lectorat. Il nous laisse émus, les larmes aux yeux, les
poings crispés, dans un tragique violent et vague.
Sorj Chalandon nous a donc offert un livre baroque, loin d’être classique
et si distingué qu’il mérite une consécration égale à celle des œuvres
littéraires contemporaines. Le lecteur savoure un cocktail linguistique où se trouvent
réunis l’esprit poétique, l’aventure et le réalisme pour faire place à un
véritable chef d’œuvre. Hâtez-vous alors chez votre libraire pour partager ce
plaisir inédit !
Joanne Tartak
Département de Langue et de Littérature françaises, Section Tripoli
Anne BEREST
La Carte Postale
Éditions Grasset,
2021 (512 pages)
Un émoi familial inhabituel
L’auteure Anne Berest consacre son nouveau roman à la découverte du
pénible et poignant destin de ses aïeux. Leur parcours pathétique et pitoyable
prend fin avec la divulgation du mystère.
Actrice, écrivaine, scénariste et metteur en scène,
née en 1979, Anne Berest publie son premier roman La fille de son père
en 2010. Ainsi, elle rédige en collaboration avec sa sœur Claire Berest Gabriële.
Elle est membre du Collectif 50/50 qui a pour but de promouvoir l’égalité des
femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel.
Anne Berest remporte plusieurs prix tel que « le
Prix du Public pour Mytho (série télévisée) réalisé par Fabrice Gober » en
2019 et « le Prix de l'Héroïne Madame Figaro 2018 dans la catégorie
Essai pour Gabriële co-écrit avec Claire Berest. »
La
carte postale d’Anne Berest est un roman énigmatique par excellence,
courant sur cinq générations, qui permet au lecteur de créer un monde juste
pour lui et de plonger dans l’imaginaire. Dotée d’une plume assez délicate et
d’une écriture simple mais touchante, notre écrivaine aspire à nous choquer au
fur et à mesure de sa narration tout en nous décrivant minutieusement la vie de
ses ancêtres. Elle nous happe et subjugue en racontant, en parallèle, le récit
du passé et celui de l’enquête. Ce chef-d’œuvre est un roman
autobiographique, d’aventures, d’amour, de mort, de violence…
Au
premier abord, le titre « La carte postale » ne nous donne pas
l’impression d’une énigme si profonde que cela, d’un mystère bien caché.
Comment une carte postale pourrait-elle entamer un malaise si profond ? Aucun
lectorat ne pourrait en effet anticiper un contenu si stressant, une vérité
mystérieuse aussi bouleversante. Tout a
donc commencé avec une lettre anonyme jetée dans la boite aux lettres des « Berest
» en un jour hivernal. Plus tard, après de nombreuses années, face à un
évènement passé vécu avec la fille de l’autrice, la décision de rechercher le
destinateur de cette lettre est brusquement prise. Anne amorce donc des quêtes
diverses. Durant son parcours, sa mère Lélia l’aide beaucoup grâce aux
documents accumulés tout au long de ses recherches sur les origines de sa
famille. Chaque détail est primordial dans le déroulement de l’histoire ;
nous ne nous ennuyons dans aucun passage. Elle saura le nom de ses
grands-parents juifs, les Rabinovitch et les voyages qu’ils ont effectués, de
pays en pays, durant la deuxième Guerre mondiale, dans le but de fuir les
persécutions et la haine contre les Juifs. Elle mentionne notamment les
déconvenues qu’ils ont subies. Elle ravive le souvenir des Rabinovitch tout en
collant les pièces de ce passé naufragé. Dans ce roman, il s’agit donc d’une
histoire aussi palpitante que vertigineuse, dans laquelle l’auteure nous peint
avec beaucoup de verve le caractère de ses aïeux et leur bravoure face à leur terrible
vécu. Les secrets en guise de dévoilement, l’un après l’autre, provoquent
chacun une blessure dans le cœur. Nous saurons alors la souffrance des Juifs
dans les champs de concentration, des passages descriptifs nous expliquent
l’atrocité de leur vie, comment les Allemands les laissaient mourir de soif et
de faim, comment ils les harcelaient, les laissaient nus… Malheureusement, la
famille de Myriam (grand-mère de l’auteure) subit ce funeste destin, et
soudainement elle ne reçoit plus aucune nouvelle de ses parents. Malgré cette
amertume, Myriam ne perd jamais l’espoir. Elle aime tant sa famille qu’elle
n’arrive pas à admettre que quelque chose de tragique leur est arrivé. Elle croit alors constamment qu’un jour, ils
reviendront et se sent coupable d’avoir laissé son frère et sa sœur partir seuls
avec les soldats. Ses parents, son frère Jacques et sa sœur Noémie lui manquent
énormément. Lorsqu’elle découvre un étranger du même âge de Jacques, elle
entreprend de l’aider juste pour cette cause : « Mon
frère a le même âge que toi, dit Myriam au garçon. Viens dans la cuisine, je
vais te trouver quelque chose à manger. Myriam prend soin de lui, comme elle
espère que quelqu’un, quelque part, s’occupe de Jacques. Elle prépare un
morceau de pain et du fromage, puis pose sur ses épaules la couverture en laine
de François ».
À la suite de leur mort, elle entre dans un silence étourdissant
qui irrite le lecteur mais nous ne pouvons pas cependant lui reprocher cela ;
les gens du passé ne veulent plus se rappeler du passé, faisant comme s’ils ne
l’ont pas vécu, ils veulent se tourner uniquement vers les lendemains. Aussi, en
dépit de tout ce désarroi, trouvons-nous dans ce roman un amour triangulaire
troublant : c’est celui de la protagoniste Myriam avec ses premier et
deuxième époux.
Quant à Anne, elle fait la connaissance grâce à son parcours, de la
judaïté, elle qui est pourtant juive, et non pratiquante. Issue d’une famille
laïque, elle saura ce que c’est qu’être « juive », un mot qui l’a accompagnée,
affectée et outragée toute sa vie. De surcroit, l’antisémitisme est mentionné
régulièrement, ce qui va mener la narratrice à affirmer : « Nous
étions tous une grande famille, qu’importe notre couleur de peau, notre pays
d’origine, nous étions tous reliés les uns aux autres par notre humanité. Mais
au milieu de ce discours des Lumières qu’on m’enseignait, il y avait ce mot qui
revenait comme un astre noir, comme une constellation bizarre, qui revêtait un
halo de mystère. Juif ».
En effet, cette histoire est un
passé qui s’étend encore à notre présent. Jusqu’à maintenant nous rencontrons
le racisme partout, que ça soit antisémitisme ou autre. Personne ne mérite
vraiment de vivre cette peur, cette anxiété.
Nous sommes tous des humains, que
nous soyons Juifs, Musulmans… Ni la couleur, ni la religion, ni la
confession ne doivent nous séparer. En
outre, la guerre n’est pas une solution, elle est un désastre et rien d’autre.
Il n’y a aucune religion qui nous pousse à tuer. Toutes les religions poussent
à la solidarité, à l’amour, au respect, à la paix… Enfin, ce chef-d’œuvre s’achève par la
révélation de l’expéditeur anonyme. C’est le choc qui fait monter la
larme au coin de l’œil.
Un bel hommage à sa famille, un beau recollement d’un passé barricadé !
On peut en tirer une certaine morale : respecter autrui, être vigilant,
peser ses mots et bien réfléchir avant de parler, car chaque mot qu’on prononce
peut avoir un impact important sur la vie de quelqu’un. Et comme a mentionné
notre chère auteure Anne Berest dans un interview à France info : «
Toute forme de racisme, toute forme de xénophobie, doit être combattue ».
Sara
Khalil
Département
de Langue et de Littérature françaises, Section 3
Tanguy VIEL
La fille qu’on
appelle
Éditions de
Minuit, 2021 (176 pages)
Une série dramatique turque
Tanguy Viel, né le 27
décembre 1973 à Brest, est un écrivain français.
Après une enfance en Bretagne, il vit successivement à Bourges, Tours puis
Nantes avant de venir s'installer près d'Orléans. Il a été pensionnaire de la
Villa Médicis en 2003-2004. Publié dès son premier ouvrage par les éditions de
Minuit, il a reçu le prix Fénelon et le prix littéraire de la vocation pour son
roman L'Absolue Perfection du crime, le Grand prix RTL-Lire et le Prix
François-Mauriac de la région Aquitaine pour Article 353 du Code pénal.
Il publie ce roman le 2 septembre 2021, aux éditions de Minuit où il a fait
paraître quasiment tous ses romans dont Le Black Note (1998). Viel a
connu un succès exceptionnel dans les médias et auprès du public en gagnant
plusieurs prix.
La trahison, l’amour,
le pouvoir, la carrière, les intérêts... sont des molécules traitées dans le
roman La fille qu'on appelle, fondant une trame dramatique pleine de
suspense et d'excitation. Chaque personnage se présente comme héros de sa
propre histoire, vivant dans sa bulle personnelle, déclinant son âme singulière.
Également, ce même personnage joue un rôle essentiel et complémentaire dans
l'histoire de l'autre. Toutes les actions de ce roman commencent par
l'apparence de cette "fille" désignée du nom de Laura Le Corre.
L'histoire débute par sa description, son portrait vestimentaire, l'auteur mettant
particulièrement en exergue sa beauté. Laura Le Corre décide, de haut de ses
vingt ans, de revenir vivre dans la même ville que son père Max Le Corre, chauffeur
du maire de cette ville,
Quentin le Bars lui
demande d’aider sa fille à trouver un logement. Avec l'aide de Franck Bellec,
le propriétaire du casino, le Bars lui a assuré une place : Bellec est le passé
de Max, celui qui a aidé Max dans sa carrière de boxeur. Cependant, le maire de
la ville a décidé d’un compromis : une relation sexuelle avec la fille de son
chauffeur. Ici se révèle l'adjuvant de Laura, Hélène Bellec, la sœur de Franck.
Elle a entretenu avec Max une relation amoureuse, ce qui a détruit son mariage
avec sa femme Marielle. Hélène éprouve de la sympathie pour Laura et essaie de
l'aider et d'avertir son père. Le maire de la ville devient Ministre des
affaires maritimes et cela dérange Laura : elle sent dès lors qu'elle n'est
qu'un objet sexuel pour lui, notamment lorsqu'elle lui demande, durant leur
dernier rendez-vous, d'aider son père. Laura dépose donc une plainte contre
lui. Mais personne ne la croit à cause de la force masculine, politique et
sociale de son amant. Tout au long du roman Laura entretient un dialogue avec
les deux policiers. L'argent et le pouvoir gagnent toujours la bataille. En
définitive, l'auteur, Tanguy Viel, dans son roman composé de 176 pages, règne
sur le trône de la description.
Dans ce roman, les
passages descriptifs interfèrent avec les différents volets narratifs pour
ajouter de l’esthétique et de la beauté au roman, comme en témoigne cet
extrait : "Dans cette ville c'est ainsi : les jours de grand marnage
la mer se tient là, à même niveau exactement que la ville qui s'étend en
arrière, au point que depuis la route on pourrait la toucher quand par temps
calme on la croirait d'asphalte et marcherait sur elle comme sur une
esplanade". De plus, l'auteur forge des personnages exceptionnels qui reflètent
la réalité de la vie. Beaucoup d'intrigues se trouvent dans ce roman, répondant
à la liberté du choix des personnages : le passé de Max et comment il a tout perdu,
Hélène et Max, Laura et le Bars et enfin le partenariat entre Bellec et Max qui
exhibe la vie d'une star. L'ajout des deux policiers du début à la fin de ce
roman apporte un goût spécifique de suspense et de mystère avant de nous
laisser découvrir la raison de ce dialogue. À partir de ce point, Viel a joué
sur le plan psychologique et nous a fait entrer dans l’âme et les réflexions de
ses personnages, comme Laura dans cet extrait : "C'est l'image que j'ai
eue à ce moment-là, l'image de toutes ces pages que je tenais dans mes mains et
qu'il était trop tard pour déchirer devant lui, trop tard pour lui demander de
partir maintenant, lui, le maire de la ville, non, je vous dis, c’était
signé". Partant de l’expérience qu'elle a vécue, l’idée de consentement et
son importance capitale se dessinent pour elle peu à peu. Tanguy Viel se montre
féministe, évoquant constamment les conditions de la femme dans notre société
et prenant la part de Laura dans ce roman. Il soutient donc la liberté
individuelle, la liberté d'expression lorsqu'il pousse Laura à déposer une
plainte.
Bref, La fille
qu'on appelle, de l’écrivain contemporain Tanguy Viel, est le miroir de
notre vie. Je vous encourage à le lire pour vivre la réalité et ses problèmes
afin d’entrevoir une part de la solution. Finalement, le but primordial de
l’écrivain est le divertissement et ce roman se donne à voir comme une série
turque que la plupart aimerait.
Hanine Abou Amché
Département de
Langue et Littérature Françaises,
Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines-Section 3
Université
Libanaise
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
Après la chute
Dans son roman
le plus récent, Dalembert s’inspire de la réalité tout en racontant l’hagiographie
d’un homme des ghettos noirs assassiné par un policier blanc, à travers
plusieurs narrateurs témoins de sa vie.
Louis Philippe DALEMBERT
est une figure marquante de la littérature contemporaine mondiale. Originaire
d’Haïti, l’écrivain est né le 8 décembre 1962 à Port-au-Prince. Mais il grandit
à Bel-Air, un quartier populaire parmi les femmes car son père est décédé
quelques mois après sa naissance. Il est issu d’une famille cultivée cependant
que leur situation matérielle est indigente. Dalembert est diplômé de l’École Nationale
Supérieure de Port-au-Prince et devient journaliste. Puis, il part à Paris pour
élaborer une thèse de littérature comparée sur l’écrivain cubain Alejo Carpentier
à la Sorbonne Nouvelle. Il se définit lui-même comme un vagabond parce qu’il
est un grand voyageur et prend connaissance de plusieurs cultures. De fait, il
insère la thématique du vagabondage dans la majorité de ses œuvres. Mais il
existe un autre thème fréquent dans les œuvres de Dalembert qui est l'Ancien
Testament de la Bible, présence due à son éducation familiale religieuse. Ce
polyglotte habite actuellement entre Paris, Berlin et son pays natal et n’écrit
qu’en français ou en créole.
Avec Milwaukee
Blues, paru aux éditions Sabine Wespieser le 26.8.2021, nous sommes face à
une représentation du mal au XXIème siècle, inspirée par le drame de
Georges Floyd en mai 2020: une œuvre qui figure dans la première sélection du
Goncourt 2021.
D’abord
Louis-Philippe Dalembert ne participe pas à la narration. Il est omniscient et donne
la parole aux personnages. Il produit un récit réaliste tout en précisant le
cadre spatial où se déroule l’incident à travers la voix d’un gérant pakistanais.
C’est le premier témoin qui a obéi à la loi des peuples et appelle la police à
cause d’un billet de banque suspect. Il s’agit ainsi dans l’incipit d’illustrer
le meurtre du héros, étouffé sous le genou d’un policier blanc. L’action est filmée
et la nouvelle est diffusée à la télévision et sur Internet. C’est l’élément déclencheur
du roman.
Ensuite, dans ce
roman exceptionnel, Louis-Philippe Dalembert nous livre l’hagiographie d’un
homme qui se nourrit de l’amour de son entourage. Comme tout le monde, le héros
a fait la connaissance de personnes qui l’ont soutenu dans sa vie : sa mère
pieuse, son institutrice, son coach, sa fiancée, ses amis d’enfance et même ses
collègues dans le campus. En effet, cet amour est la conséquence de la volonté d’évoluer.
À l’aide de certaines personnes et spécifiquement du coach, la passion pour le
ballon ovale sera garante d’un avenir florissant. Mais malheureusement un
accident l’immobilise pour quelques mois. Or il n’y a rien après le sommet à
part tomber. De même, le caractère timide du héros joue le rôle principal dans
le bouleversement de l’histoire.
Ainsi, cette œuvre
peut être considérée comme un roman d’apprentissage. Les lecteurs adolescents prendront
en considération la morale de l’histoire qui est : il faut redoubler d’efforts
après une chute pour ne pas manquer la gloire.
À l’opposé, il existe
également des obstacles dans la vie. Le premier, c’est l’absence du père. En
fait, le père a une place importante dans la vie du fils, mais malheureusement,
dans l’œuvre il s’enfuit. Le deuxième, c’est la trahison de la fiancée qui le
quitte pour un autre. Finalement, c’est le destin qui conduit le héros à une
mort horrible.
Louis-Philippe
Dalembert nous a donc offert un livre attirant, loin d’être classique et véritablement
distingué. Le lecteur savoure un ensemble langagier où se combinent la musique folklorique
des Afro-Américains, la foi dans une humanité meilleure et le réalisme pour donner
naissance à un véritable chef d’œuvre. Allez-y, chers lecteurs, ne manquez pas
de lire ce roman éloquent !
Carine Kassem
Département de
Langue et Littérature Françaises,
Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, Section 3
Université
Libanaise
Clara Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Le petit casse-tête
« S'adapter » est un roman de Clara Dupont-Monod, journaliste,
chroniqueuse et romancière. Avec « S’adapter », elle partage
un véritable témoignage d’amour envers sa fratrie, intime et sincère.
Ce livre publié le 25 Août 2021, a été lu avec
émotion et envie et a remporté le prix Femina 2021.
Ce livre parle d’une famille cévenole dont la
vie est bouleversée par la naissance d'un enfant handicapé, mettant en
lumière la réaction de chacun de ses membres face à cette situation : les parents,
l’aîné, la cadette et le benjamin.
L'écrivaine s'est appuyée dans son roman sur
un style simple et un vocabulaire facile et a raconté les événements d'une
manière fluide, une histoire que des milliers de familles ont déjà vécue,
chacune à leur manière. Avec son roman « S’adapter »,
l’auteure Clara Dupont-Monod a conquis le cœur du jeune public.
En se basant sur l’histoire, narrée par les
pierres rousses de la cour (« nous, les pierres rousses de la cour, qui
faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants »), nous
constatons une certaine réalité qui apparaît clairement par la transmission des
sentiments et les moindres détails fournis aux lecteurs. La nature domine tout
le long du roman, ainsi que les thèmes de la fratrie, de la fidélité, du handicap
et de l'enfance.
La différence entre les personnages –
caractères, comportements – dans leur attitude envers l’enfant inadapté met en
avant le contraste de la nature humaine. D'une part, les parents se sont
retrouvés dans une situation embarrassante et assez inhabituelle ; ils ont
eu du mal à accepter l'amère vérité et ils ont été submergés par la peur. Cela
est normal pour des parents qui rêvent d'une belle et saine famille et
cherchent à se rassurer, mais d'autre part, ils ont réagi avec mépris et
sarcasme envers leur enfant malade, comme en atteste cette réplique du père :
« les dépenses de l'handicapé sont très peu ». Ne témoignant que peu
d’intérêt pour lui, ils l'ont interné dans un lieu de soins – « dans la
maison de la prairie avec les sœurs » – et se sont déchargés de leur
responsabilité en la faisant endosser à son frère. L'échec des parents à assurer
leurs devoirs et à tenir leur rôle est amplifié par l’attitude de la cadette
qui, bien que les filles soient connues pour leur gentillesse et leur
tendresse, a refusé la différence de son frère, notant que sa famille ne parle
jamais du frère inadapté aux autres enfants, ce qui l'a poussée à se rapprocher
de sa grand-mère car elle a trouvé en elle ce qu'elle a perdu au sein de sa
famille. Les parents ont donc rejeté la responsabilité de l’handicapé sur
l'aîné, qui symbolise la fidélité et l’abnégation dans l'histoire puisqu’il a
pris soin de son frère tout en ressentant de la culpabilité vis-à-vis de lui.
Quant au petit dernier, il est né avec cette
peur de la famille qu’il soit handicapé comme son frère décédé : « la
mère a réalisé le test de l'orange sur lui ». Il vit dans un monde
fantastique, pensant toujours à son frère et à l'état dans lequel sa famille
vivait avant sa naissance, jusqu'à ce qu'il se considère comme le fantôme de
son frère. À ce stade, un rôle important pour les parents apparaît, qui est de transmettre
ces informations à l'enfant sans lui faire de mal, de sorte qu'ils doivent
faire attention à ne pas affecter négativement son psychisme et à adopter une
manière correcte et précise de communiquer avec lui à ce sujet.
Ce roman est très intéressant, parce que « S’adapter »
est une parenthèse de lecture nécessaire sur une expérience humaine qui mérite
d’être partagée. L’écriture est sensible sans jamais basculer dans le pathos,
elle est simplement sincère, un rayon de lumière sur la montagne après un orage
dévastateur.
La famille est un sujet inépuisable et universel,
terrible ou merveilleux ; en ces temps troublés, chaque lecteur y trouvera
un écho, du courage et de la résilience, car parfois du chaos naît une nouvelle
lumière.
Ces enfants avec ces troubles sont comme une
énigme, un casse-tête que nous devons nous efforcer de résoudre car ils le
méritent : ce sont des êtres humains qui ont des droits comme nous dont le
plus élémentaire est d'être accepté.
C'est vraiment un livre qui mérite d'être lu
et qu’on s'y approfondisse.
Alaa Abdallah
Département de Langue et Littérature Françaises,
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines-Section 3
Université Libanaise
La Carte
postale
Éditions Grasset, 2021, (512 pages)
Le mal d’être juif
Anne Berest, née en 1979, est un écrivaine et scénariste
française dont la huitième œuvre est intitulée La Carte Postale. Ce
dernier est l’histoire tragique et triste d'une famille juive dont les membres sont
morts lors de la Shoah à Auschwitz. Le roman commence par la réception d’une
carte postale dans la boite aux lettres de ses parents, carte au dos de
laquelle ont été écrits quatre noms, l'un en-dessous de l'autre : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Ce sont les
grands-parents, l’oncle et la tante de la mère d’Anne, qui sont tous morts.
L'écrivaine en tant que narratrice du récit mène elle-même
une enquête afin de découvrir l’expéditeur de la carte. Tout commence par les
histoires racontées par Lélia, la mère de narratrice. L’une d’elles est
l’histoire de la famille Rabinovitch, qui a voyagé en Europe en 1920. Tous
juifs, leur destination finale est la France. Ils passent cependant quelques années
en Russie, Lettonie, Palestine et Pologne. Emma et Ephraïm, la mère et le père,
Noémie et Jacques, les enfants, mais aussi Myriam, l'aînée. C'est cette
dernière qui a pu échapper à ce triste destin. L'enquête nous éclaire sur les
recherches menées relativement aux menaces qui pèsent sur une personne quand
elle est juive. Au commencement, les Juifs ont été éloignés du public et des
restrictions leur ont été imposées dans leur vie quotidienne. Plus encore, leurs
âmes ont été violées à Auschwitz. Myriam, après la guerre, devient solitaire,
mais malgré sa dépression, elle poursuit son existence dans un village.
Les dernières années, la maladie d’Alzheimer l’envahit. Pourtant,
pour que ces membres d’une même famille ne s’oublient pas et que leurs
souvenirs et surtout leur destin ne soient cachés à leurs descendants, elle
décide d’agir. Ainsi, c’est elle qui demande à son infirmière de lui promettre
d'envoyer cette carte postale, dès qu'elle partirait chez sa fille, Lélia. Mais,
par malchance, et avant même que l’infirmière ne procède à l'envoi, Myriam quitte
ce monde. Dès lors, tous ces événements seront racontés par Lélia et Anne (Anne
Berest).
On oscille douloureusement entre le temps passé et le présent,
en pénétrant dans les vies privées. À la lecture de ce roman, le lecteur découvre
visuellement ce qui se passe grâce à l'art de la description de l’autrice. En
effet, les descriptions sont tellement bien faites qu’elles évoquent et
transmettent viscéralement les difficultés d’être juif. L’autrice cherche à
décrire la vie que les Juifs ont vécue et évoque les millions de vies qui ont
été exilées aux miroirs noirs. Chaque personnage aura eu un destin bouleversant
malgré son innocence.
Le roman contribue à rappeler intensément que l'obscurité
de l'antisémitisme et la menace qui plane encore sur le monde relève d’une
pensée pathologique qui veut discriminer la race juive.
Anne Berest a pu atteindre cet objectif et reconstituer
parfaitement l’atmosphère de ces années de persécution. À travers son écriture,
des sentiments profonds sont réactivés. Elle a cherché à recomposer avec
justesse les éléments d'une vie, de la naissance à la disparition.
Myriam est ainsi plongée dans le silence et la tristesse.
Les visages de Noémie et Jacques sont pleins d’une crainte dominée par l’idée
de mort, dans le train qui les mène à Auschwitz, environnés par le silence
pesant des Juifs, silence qui seul crie l’injustice qu’ils subissent. Effectivement,
la plus grande qualité littéraire de ce roman réside dans le fait que l’autrice
réussit une bonne démonstration de la vérité des maux sourds qui sont imperméables
pour ceux qui n’ont pas vécu cette expérience, dans ce monde déchiré. Enfin,
Anne Berest a écrit avec délicatesse cette histoire, sans exagération ni
pathos.
Mohammad Reza Azizi
Département de Français,
Faculté des Langues Étrangères
Université d'Ispahan, Iran
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions
Philippe Rey, 2021 (461 pages)
Le Labyrinthe du monde
Mohammad
Mbougar Sarr est un écrivain contemporain francophone qui a écrit ce livre pour
nous montrer qu’un jour arrivera où nous découvrirons le secret de tous. De
purs hommes en 2018, Silence du chœur en 2017, Terre Ceinte
paru chez Présence africaine en 2015, sont les autres œuvres composées
par le même auteur.
La plus secrète mémoire des hommes est
un roman en partie épistolaire. Ce livre se met en valeur l’humanité, la juge,
la préjuge et aussi il valorise la vie des noirs et qu’ils ne sont pas parfois accueillis
dans les différentes sociétés, comme un écrivain, professeur ou parfois comme
un citoyen. Ce livre traite de la guerre, la problématique des femmes (la
violence contre elles et de ne pas avoir une valeur précieuse dans la société).
Cette
histoire est concernant un écrivain perdu qui s’appelle Elimane, un écrivain
africain qui a écrit le livre intitulé ’’ Labyrinthe de l’inhumain ‘’ très
valeureux et mystérieux et notre personnage principal, Diégan, est en train de
le chercher et il essaie de comprendre son secret caché. En suivant ce chemin,
il a rencontré beaucoup d’écrivains avec des idées contre et pour ce livre qui l’ont
aidé à trouver Elimane. Il a passé beaucoup d’aventures dans les différents pays
et a vécu les moments assez difficiles qui le rendent découragé mais il existe
quelque chose dans ce livre qui ne lui permet pas de céder. À la fin, il a trouvé
Elimane de vrai prénom, Madag qui était mort mais il lui avait laissé une
lettre :
Le Labyrinthe de l’inhumain et tout le souci
qu’il m’a apporté n’ont pas suffi à me préserver de la faiblesse d’écrire. Je
ne suis simplement plus arrivé à le faire. D’où mon amertume progressive, ces
dernières années, devant tout livre achevé. Il me renvoyait à ma propre impuissance
à finir le mien. Je vois d’ici que tu comprennes maintenant ce que je souhaite
et attends de toi. J’aimerais savoir si tu accepteras mon humble prière, la
prière d’un fantôme du passé. J’aimerais que tu publies ce manuscrit, au moins
ce qui peut être publié. J’aimerais voir la fin de mon histoire, mais je suis
fatigué. J’atteins, du temps où je t’écris, les limites de ma vision. Elle se
brouille au moment où tu finis cette phrase.
C’est le
moment où Diégan a découvert le secret de tous et il va continuer à écrire.
Écrire et écrire pour être un grand auteur en âme pur et un livre qui a pu avoir
quelque chose à dire et suivre la moralité, la patience et qu’on doit entendre
les différentes idées et suivre notre chemin pour qu’on puisse comprendre la
vérité si on doute. Il ne faut pas tout accepter avant de comprendre la vérité.
L’être humain doit accepter la parité entre les noirs et les blancs, les femmes
et les hommes, les races, etc..
À mon avis
c’est une histoire forte intéressante, compliquée et en même temps
compréhensible, qui nous montre les empêchements des vies des noirs et que
personne ne les croit de faire de grands choses. Ce livre a de grandes choses à
dire comme les violences contre les femmes, la souffrance de la guerre pour les
gens et le jeu de politique mais avant tout c’est une histoire avec beaucoup de
mystère qui est vraiment attirant et chaque mot a quelque chose à dire, une
leçon de la vie.
Mehrnoush
Ganjali
Département
de français,
Faculté des
langues étrangères,
Université
d’Ispahan, Iran
Tanguy VIEL
La fille qu’on
appelle
Éditions de
Minuit, 2021 (176 pages)
La fille qu’on appelle, le roman qui se lit en apnée : un combat de Boxe contre l’humanité ?
Tanguy Viel,
auteur déjà connu pour avoir écrit des livres comme L’Absolue Perfection du
crime et Article 353 du Code pénal, retourne avec son nouveau roman La
fille qu’on appelle à sa région d’origine, la Bretagne, pour envoyer
quelques coups au visage de l’homme d’aujourd’hui !
La fille qu’on
appelle n’est autre qu’une call-girl.
En faisant une petite recherche dans Le petit Robert, on trouve cette simple
définition : « Prostituée que l’on appelle par téléphone ». C’est le surnom
que le personnage principal, Laura, utilise quand elle décrit pour quelques
agents de police ses vêtements, ceux qu’elle portait le jour du rendez-vous
avec le maire de la ville : « Oui, a-t-elle dit aux policiers, ça
peut vous surprendre mais je me suis dit que j’avais fait le bon choix, ça et
les baskets blanches qu’on a toutes à vingt ans, de sorte qu’on n’aurait pas pu
deviner si j’étais étudiante ou infirmière ou je ne sais pas, la fille qu’on
appelle ».
Mais dès les
premiers mots du livre, le lecteur comprend que la signification du terme
« call-girl » est plus particulière et plus délicate. Elle constitue
en vérité une puissante satire de la situation d’une jeune fille dans la
société d’aujourd’hui.
En effet, Laura,
jeune fille de vingt ans, faisant déjà carrière dans le mannequinat et réalisant
à l’occasion des « photos de charme », rentre en Bretagne pour commencer une
vie nouvelle avec son père boxeur. Ses parents sont séparés depuis des années
et, ayant dépassé les quarante ans, son père repasse les plus dangereux moments
de son ancienne carrière, car il est aussi le chauffeur de Quentin Le Bars, Monsieur
le maire.
Il s’agit pour la
jeune fille de trouver un logement.
Un
logement ? Un logement, à Bretagne ? Quelle catastrophe !
C’est là où le
grand champion de boxe, Max Le Corre, père de Laura, demande à son patron de faire
quelque chose pour sa fille.
Alors,
rendez-vous est pris… Mais ce Le Bars, maire de la ville, dès les premiers moments
de ce rendez-vous, entreprend de « briser le cadre » et de s’approcher un peu
plus qu’il ne faut. À la fin, il s’engage à trouver un logement à la jeune
fille, et aussi un travail… et qu’il l’appellerait. Oui, Laura semble être
devenue « la fille qu’on appelle » :
Non, rien du tout,
a-t-elle dit encore aux policiers, dans un monde normal on n’aurait jamais dû
se rencontrer. Un monde normal… mais qu’est-ce que vous appelez un monde
normal ? ils ont demandé. Je ne sais pas… Un monde où chacun reste à sa
place.
Et comme elle essayait de
se représenter ce monde-là, normal et fixe, où chacun comme une figurine
mécanique aurait eu son aire maximale de mouvement, ses yeux étaient venus se
perdre dans le tissu bleu de la veste en face d’elle […]
C’est là où Frank
Bellek, ancien agent de Max et patron d’un grand Casino d’aujourd’hui, entre
dans l’histoire. Le Bars lui demande en effet de lui faire une faveur. Il veut
installer une autre fille dans le Casino; et cette fois, c’est la fille de Max.
Alors que faut-il faire ? Max était un ancien ami. N’y a-t-il pas une autre
solution ? Pas du tout. Le maire fait ce qu’il veut. Il n’y a pas d’autre
choix :
… deux araignées dont les toiles se seraient emmêlées il y a si
longtemps qu’elles ne pouvaient plus distinguer de quelle glande salivaire
était tissé le fil qui les tenait ensemble, étant les obligés l’un de l’autre,
comme s’ils s’étaient adoubés mutuellement, dans cette sorte de vassalité
tordue et pour ainsi dire bijective que seuls les gens de pouvoir savent
entretenir des vies entières, capables en souriant de qualifier cela du beau
nom d’amitié.
Très vite, Laura se retrouve au cœur d’un triste engrenage
qui la fait devenir l’esclave sexuelle d’un politicien – le maire –, tout cela pour
un simple logement. Le plus pathétique est que Max, qui est le chauffeur du
maire, est resté dans la voiture à la porte du Casino, tout le temps où cet
homme était en train d’exploiter sa fille, écoutant de la musique et lisant des
magazines, sans rien savoir.
C’est ainsi qu’il en est de cette triste histoire qui finit
en tragédie (Max, qui comprend soudain ce qui se passe, devient subitement fou
et, nu avec juste son short de sport et ses gants de Champion de France à la
main, attaque Le Bars. Laura qui saisit alors la vérité de sa situation porte
plainte contre l’homme politique. Mais sa plainte est classée sans suite : ses
anciennes photos nues rendent la situation un peu compliquée et les autres
témoins demeurent muets. Il s’agit bel et bien d’une tragédie par laquelle Tanguy Viel met en question tous les aspects
importants de la vie des hommes d’aujourd’hui, et principalement, la situation
des « femmes » … En définitive, c’est l’immense pouvoir des gens appartenant à
la haute société, et sans doute, l’injustice, qui sont critiqués.
Tanguy Viel, par
son style délicat, ses phrases longues au rythme lent, sa capacité à combiner les
temps, ses images et ses métaphores extraordinaires… et la brutalité avec
laquelle il montre les évènements, arrive à laisser son lecteur suspendu, comme
en apnée, une apnée qui se prolonge jusqu’à la nausée. Malgré la fin tragique
de Max Le Corre, il semble que le vrai boxeur soit Tanguy Viel :
sortira-t-il gagnant?
À vous de
lire !
Ali Abdellahi
Département de Français,
Faculté des Langues étrangères
Université
d’Ispahan, Iran
Abel QUENTIN
Le Voyant d’Étampes
Éditions de l’Observatoire, 2021 (380 pages)
Le Voyant d’Étampes : le délice de l’imprévu
Abel Quentin, avocat pénaliste lyonnais, né dans une famille bourgeoise,
s’est vite passionné pour la littérature malgré ses études en sciences
politiques. C’est un homme d’actualité intéressé par les courants récents, comme
la « cancel culture » ou le mouvement « woke »,
initiés en Amérique en tant que réactions contre le racisme ethnique. Son
premier ouvrage publié, Sœur, raconte l’histoire d’une fille fascinée
par les mouvements islamiques et le Jihad, tous liés à des événements ayant récemment
affecté la France.
L’ouvrage en question, Le Voyant d’Étampes, s’est plongé dans la vie quotidienne
d’un retraité qui n’est cependant pas si ordinaire. Abel Quentin, qui écrit
sous un pseudonyme, a été accusé d’avoir produit un ouvrage pour la droite.
Cependant, si nous observons le protagoniste de l’histoire et tout ce à quoi il
fait face, il vaut mieux dire que Quentin est un excellent chef d’impartialité,
tout en laissant son angle d’avocat défendre son héros de temps en temps !
À l’exception des vingt dernières pages du livre, l’histoire se passe dans
la tête de Jean Roscoff, qui se remémore les événements de sa vie et revient
sur ses croyances, relatant au passé et à la 1ère personne tout ce
qui lui semble associé. Le livre commence dans un restaurant où dînent Roscoff,
sa fille et sa petite amie. Dès le début, le langage est familier et parfois
même argotique, de sorte qu’il devient compliqué pour un lecteur non français.
Roscoff, académicien malchanceux ayant déjà l’expérience d’un livre mort-né
concernant l’affaire Rosenberg, se retrouve au cœur d’une société moderne où
les gens se hâtent de réussir le plus possible, tandis que lui a du mal à s’adapter
à cette folie de vitesse, d’Internet et de progrès et se retrouve de fait éloigné
de ceux qui ont été un jour ses proches, tels que son ex-femme ou son meilleur
ami. Sa source d’inspiration, Robert Willow, est un poète noir américain qui est
resté plutôt inconnu et a trouvé refuge en France, à Étampes, à cause de ses
croyances communistes. Fasciné par l’œuvre et la vie de cet américain, Roscoff
décide de raconter sa vie à travers Le Voyant d’Étampes. Il compte aussi
que ce deuxième livre récompense ses échecs professionnels.
Le livre, une fois publié, provoque cependant des attaques et harcèlements
inattendus qui ont poussé Roscoff au milieu d’un champ de bataille pour lequel il
n’était guère préparé. Il est accusé d’avoir intentionnellement ignoré ou dégradé
l’identité noire de Willow et doit dès lors avouer qu’il est un raciste inné
malgré la marche des beures à laquelle il a participé dans sa jeunesse pour
dénoncer le racisme. Le silence ne vaut rien, ni non plus l’interview de radio à
laquelle il participe.
Le dernier chapitre du livre nous indique que 5 ans se sont écoulés et que notre
protagoniste habite désormais hors de la capitale tout en menant une vie de
retraite satisfaisante, jusqu’à ce qu’un étranger, qui n’est que Warren,
le neveu de Robert Willow, l’appelle pour lui demander un rendez-vous. Lors de
leur rencontre, Warren lui explique l’intérêt qu’il a à rester anonyme, étant
donné son statut de bon « citizen » américain et la position
importante qu’il occupe au Département de l’Éducation. Effectivement, il
n’avait aucune envie d’introduire du trouble dans sa vie en révélant ses
contacts avec l’oncle Willow qui, en réalité, avait été envoyé en France pour
une mission commanditée par le KGB. Roscoff évidemment est furieux d’apprendre
ainsi que son deuxième ouvrage est une deuxième farce !
Le contenu de ce livre est saturé de termes politiques et historiques qui sont
récurrents dans la tête du protagoniste, et au premier regard cela peut être
ennuyeux pour un lecteur non-occidental, particulièrement. Mais une fois qu’on
dépasse cette étrangeté, nous trouvons la base commune de notre monde actuel,
c’est-à-dire la folie de l’Internet, les attaques non-fondées contre autrui, l’insatisfaction
constante de l’homme moderne et cette solitude morbide qui nous entoure tous.
Abel Quentin, à mon sens, a réussi d’une manière extraordinaire à nous faire
observer ce monde de haut, c’est-à-dire en prenant du recul pour y réfléchir
plus profondément. Il a très bien combiné une histoire très vraisemblable (qui
m’a même poussé à googler Robert Willow !) avec une base historique relative à la
vie quotidienne d’un Parisien, si bien que le livre, qui paraît médiocre
au début, dévoile progressivement un talent inédit dans le monde littéraire.
Sans doute Quentin mérite-t-il un Goncourt pour cet ouvrage !
Yassaman Mehrolhassani
Département de Français,
Faculté des Langues Étrangères,
Sorj CHALANDON
Enfant de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Un héros imaginaire ou un menteur
tortionnaire
Enfant de Salaud est un
roman qui raconte la relation père-fils de l’auteur avec son père. Selon l’une
des interviews de Sorj Chalandon, l’auteur, « Le salaud c’est le père
qui a menti à son fils tout le restant sa vie. Le salaud c’est celui qui a fait
son enfant sans lumière et qui a fait de lui un enfant de salaud. »
Sorj Chalandon est un journaliste et écrivain
français dont le premier ouvrage, Le Petit Bonzi, raconte l’histoire autobiographique
d’un enfant bègue. La plupart de ses œuvres sont inspirées des expériences de
sa propre vie et de celles de son père.
Une autre de ses œuvres, intitulée Profession du père, raconte
l'histoire de son père après la guerre, et ce livre, Enfant de salaud,
raconte les aventures de son père avant la guerre.
Ce roman est comme une autofiction littéraire.
C’est un récit journalistique du passé et du présent qui relate deux histoires
à la fois : l'histoire du père narrateur et en même temps la grande
Histoire de Klaus Barbie. Deux personnages qui ont chacun des similitudes l'un
avec l'autre, et l'auteur révèle ces similitudes au milieu de l'histoire lors
du procès de Barbie. Le narrateur s’exprime sur les enjeux de sa relation avec
son père en comparant son propre père au boucher de Lyon.
L'histoire commence lorsque le narrateur se
rend à la Maison des Enfants d'Izieu en tant que reporter et voit les traces de
chacun des souvenirs des enfants. Il décrit la fin de cette tragédie au milieu
du récit en rapportant les témoignages des victimes. À cet égard, l'histoire de
son père est réactivée, plus imprévisible et mouvementée. Il commence ainsi son
histoire en formulant la méfiance éprouvée envers son père et en racontant
d'abord une histoire de son enfance. Un jour, son grand-père lui a dit : « il
faut que tu saches 3 grandes choses : « Ton père pendant la guerre, il
était du mauvais côté. » La deuxième : « Ton père, je
l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour… ». La troisième
chose c’est qu’il est un enfant de salaud : « Justement ! C’est un
enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! ». C'est ainsi qu'il découvre
la vérité et toutes les histoires que son père s'est inventé deviennent alors
caduques. Ainsi, et depuis l’enfance, il a toujours été en quête de la vérité. Il
prolongera cette démarche jusqu'à ce que son père vieillisse, et tombe malade.
Il essaiera de trouver au moins la vérité, alors que son père est sur son lit
de mort. Pourtant, quand il réclame à ce père la vérité, celui-ci continue de vouloir
créer et maintenir un héros imaginaire dans l'esprit de son fils, à vouloir le
surprendre par un tourbillon de fausses aventures. C'est là que le fils se rend
compte de ses efforts vains et essaie d'échapper à la torture que sont pour lui
les mensonges de son père en se lançant avec courage à la recherche de la
vérité.
À la suite de l'histoire, on apprend que le
père était aussi un soldat naïf, un jeune homme qui a rejoint l'armée à l'âge
de 18 ans, qui est passé d'une armée à l'autre sans aucune pensée, tantôt
patriote et tantôt traître. En fait, ce rejet de la réalité et l'inflexibilité
que l'on observe dans son comportement actuel est le résultat des mêmes années
de guerre, qui ont fait de lui une personne incapable d'accepter la vérité.
Donc, à mon avis, l'auteur est parvenu à bien montrer les effets de la guerre
sur les gens tout en racontant l’intrigue principale.
De plus, la fin de l'histoire est judicieuse et
correcte. Elle aborde l'impuissance du père et du fils tout en soulevant la
question de savoir si la découverte de la vérité est fructueuse ou non et si les
luttes de l'auteur avec son père en valaient la peine.
Sorj Chalandon, en tant que journaliste, a su
décrire les événements étape par étape, tout en évoquant des émotions à travers
les souvenirs des enfants d'Izieu et les témoignages des victimes, notamment
chez Serge Klarsfeld. À tel point qu’il écrit : « Ce n’était plus un
avocat. Lui, le gamin qui avait échappé à une rafle, masqué par le mince
rempart d’une armoire à double fond. » L'atmosphère du livre est pleine de
décence et le lecteur peut facilement ressentir les sentiments qui agitent la
psyché des personnages et se retrouver ainsi au cœur de l'histoire. Mais le point
perturbant pour le lecteur est le lien entre les deux. Car en effet les deux
histoires ne sont pas liées, du moins de manière étroite, et leur relation peut
ne pas être perçue aisément. Et cela peut entraîner chez le lecteur une petite
confusion, qui le conduit par exemple à se concentrer sur les indices du début
au milieu du roman afin qu'il puisse d'une manière ou d'une autre relier les
deux histoires. Cependant, merci à l'ami reporter qui a conseillé à Sorj
Chalandon de changer ses larmes en encre.
C'est un roman intime et bouleversant qui sonde très bien la relation
complexe père-fils.
Nasim Amini
Département de Français,
Faculté des Langues Étrangères,
Université d'Ispahan, Iran
Agnès Desarthe
L’Éternel
Fiancé
Éditions
de l’Olivier, 2021 (256 pages)
Le déclin d’une vie…
À quoi ressemble une vie ?
Pour la narratrice de cette histoire
qui se tient en plein milieu de sa vie, la vie peut avoir un sens qui est au-delà
de ce que nous pouvons imaginer. Elle envisage tous les hauts et les bas de la
vie comme partie intégrante de celle-ci, revoit tous ses moments et nous les
raconte.
Agnès Desarthe, traductrice et
romancière, fait le récit d’une histoire qui commence avec une déclaration :
la déclaration d’amour d’un petit garçon dans une salle de musique à une petite
fille qui est la narratrice de notre histoire et qui partage chaque instant de
sa vie avec les lecteurs. Dès son enfance, celle-ci apprend à jouer du violon
avec ses sœurs et son père, et la musique devient un élément essentiel de son
être. Quand elle entre au lycée, elle rencontre de nouveau ce garçon, qui
étudie à l'école avec son grand frère. Au cours de ses études, ce garçon nommé
Etienne a rencontré une autre fille Antonia, à travers la musique. Puis, après
avoir obtenu son diplôme, il part avec elle en Amérique du Sud. La narratrice
raconte son intérêt pour Etienne, et elle entre également en Faculté de droit
après le lycée. Quelque temps plus tard, elle rencontre le frère d'Etienne et noue
une relation avec lui. Mais ce n’est pas par amour, car sa seule intention est
de se rapprocher d'Etienne et de se renseigner sur sa situation. Cependant,
après un certain temps, cette relation est rompue.
La famille de la narratrice, qui
semble très proche et conviviale au début, est ébranlée au milieu de l'histoire :
en quête d'une vie meilleure, la mère de famille a en effet épousé son dentiste
et abandonne donc ses trois filles et son époux pour toujours. Dans la suite de
l'histoire, la narratrice rencontre un autre homme nommé Yves et commence une
nouvelle relation avec lui. Une nuit, alors qu’elle rentre d’une soirée, elle
croise Etienne tandis qu’il marche dans la rue, accompagné d'un porteur avec un
petit bébé à l'intérieur. Quand elle invite Etienne chez elle et l'interroge
sur le bébé et sa mère, Etienne répond que ce bébé est sa fille et qu'Antonia,
sa mère, est décédée lors de l’accouchement. Une partie de
l’histoire raconte les souvenirs d'Etienne et d'Antonia, souvenirs qu’Etienne
confie à la narratrice lorsqu'il la rencontre.
Quelques années plus tard, alors que
la narratrice a deux enfants, elle épouse officiellement son mari, Yves, et une
partie de l'histoire est consacrée dès lors au récit relatif à la salle de
mariage, aux invités etc.
Et l'histoire se poursuit de la même manière avec la narration des péripéties,
des hauts et des bas et des rencontres ultérieures de la
narratrice et son éternel fiancé, Etienne.
Cette histoire,
contrairement à la plupart des histoires qui ont une ligne conductrice et qui coulent
de source, ne suit pas une certaine intrigue. Elle est pleine de personnages
vivant et gravitant autour de la narratrice qui les voit et avec qui elle communique.
Aussi le récit nourrit-il régulièrement la formation d'un espoir chez le
lecteur qui attend l’avènement de l’intrigue. Nous sommes témoins d’une part de
la naissance d’un nouveau chemin de la vie et d'autre part du déclin et de la
destruction d'une partie de la vie. Au fur et à mesure que la narratrice
grandit, elle perd des choses et en gagne d'autres qui peuvent être associées à
la disparition de moments heureux et tristes de la vie. Au début, il semble que
comme pour d'autres livres, il faut un élément déclencheur qui soit suivi d’autres,
mais ce n'est jamais comme ça, et ce ne sont que les narrations profondes et
précises de la narratrice qui nous encouragent à continuer la lecture afin de
comprendre le sens de l’existence à travers la vitalité de la vie, accompagnée de
chutes et d’avancées.
Maryam
MAHMOUDI
Département de Français,
Faculté
des Langues Étrangères,
Louis-Philippe Dalembert
Milwaukee Blues
Éditions
Sabine Wespieser, 2021 (288 pages)
L’Histoire se répète !
Louis-Philippe Dalembert
nous raconte une histoire vraie, celle de Georges Floyd, en créant un
personnage fictif dont le nom est inspiré d’Emmett Till, un homme noir lynché
et torturé à mort aux États-Unis. Emmett de Milwaukee blues ne met pas
seulement en mots la vie de Georges Floyd, mais aussi l’état de tous les Noirs du
XXIe siècle.
Emmett, un petit garçon talentueux au football,
vit dans une famille monoparentale avec sa mère ; son père a disparu, à
Milwaukee, Franklin Heights, États-Unis. Avec ses deux amis, Authi et Stockly,
il poursuit ses études à l’école primaire Benjamin-Franklin. Pendant son
adolescence, il travaille dur à l’école jusqu’à ce qu’il réussisse à obtenir
une bourse sport-études et à quitter de Franklin. Lors de sa deuxième année d’études,
tout en brillant comme une star, il subit une série de blessures et de fractures
qui l’obligent à mettre un terme à sa vie sportive comme joueur de football.
Retournant à Milwaukee avec ses deux filles après s’être séparé de sa femme et avoir
vécu une deuxième expérience malheureuse dans sa vie conjugale, Emmett a vécu
assez péniblement jusqu’à sa mort atroce sous le genou d’un policier blanc.
Pour figurer cette histoire, l’auteur accorde à
chaque fois le rôle de narrateur aux différents personnages qui ont été proches
d’Emmett ou ceux qui le connaissaient, y incluant deux amis d’enfance, le gérant
de la supérette, l’institutrice, le coach… Chacun nous raconte sa relation et
sa vie en lien avec Emmett de son propre point de vue. Au dernier chapitre,
Dalembert prend la parole et narre le dénouement. Ce type de narration nous
permet graduellement de mieux connaitre Emmett au fil du temps, de comprendre
sa personnalité, ses qualités, ses défauts, et les détails qui sont mentionnés
par les narrateurs.
Dans ce roman, le processus d’une vie, de
l’enfance à la mort, est bien dépeint. Il révèle comment un homme noir est en
quête de joie, de paix et de succès dans une société qui le marginalise parce
qu’il est Noir et donc minoritaire. Toutefois, l’auteur n’essaie jamais
d’ignorer les défauts du héros ni de les minimiser ; il ne cherche pas à
en brosser un portrait de héros parfait, totalement victime de la société.
Ainsi nous représente-t-il les faiblesses et les failles du protagoniste tout
en revendiquant ses droits.
Les informations sur l’homicide d’Emmett,
commis par les policiers blancs, se sont diffusées dans les réseaux sociaux et sur
les chaines de télévision. Sa mort donne naissance à une série de mouvements
sociaux, gérés par une révérende et les habitants de Milwaukee, pour rendre
hommage à Emmett. C’était une grande manifestation contre la violence dont le
nombre de participants, noirs et blancs, a atteint le chiffre de cinquante
mille.
À la fin, ce mouvement a été maté par la
police et l’État et les revendications ont été tuées dans l’œuf.
Le style d’écriture est riche et recherché
avec un mélange entre expression informelle et sophistiquée, parfois difficile à
comprendre à cause de la longueur des phrases. L’auteur mentionne régulièrement
les noms de figures noires qui ont subi le même genre de violence, comme Rodney
King, Trayvon Martin et des personnalités politiques comme le président des États-Unis.
La peinture de l’état pathétique et de la condition des Noirs sous prétexte
d’appartenance aux minorités, dans une société majoritairement blanche, est
dominante tout au long de l’histoire.
Cette histoire n’évoluera pas tant que les racines
du racisme seront encore vivaces dans le monde, tant qu’il y aura toujours les mots
Noir et Blanc, minorité et majorité, tant que la société et les gouvernements feront
prévaloir une race sur l’autre. On peut constater clairement que, non seulement
les manifestations rendant hommage à des victimes noires comme Emmett, mais
aussi beaucoup d’autres mouvements anti-racistes ne sont pas en mesure d’aboutir
au résultat souhaité. Cependant, au cas où la croyance serait le point d’appui
de l’action, cela finira un jour par triompher dans cinquante ans, dans cent
ans, peu importe. Un jour viendra où elle triomphera.
Behnoush
Lotfi
Département
de Français,
Faculté
des Langues Étrangères,
Université
d’Ispahan, Iran
Christine ANGOT
Le Voyage dans
l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (224 pages)
Une Confusion dans une relation père-fille !
Le Voyage dans l’Est est le vingt-troisième roman de Christine Angot, parlant toujours
d’inceste et écrit dans la lignée du roman L’inceste (1999).
L'histoire de Le Voyage dans l’Est commence dans un hôtel à
Strasbourg où Christine, une jeune fille âgée de 13 ans, a voyagé avec sa mère
pour rendre visite à son père pour la première fois. Étant donné qu’en réponse
aux questions de Christine à propos de son père, sa mère avait seulement prétendu
qu'il était mort, Christine n'avait aucun souvenir de lui. Le but de ce voyage
est donc l’acceptation de son père, une nouvelle loi française sur la filiation
permettant a posteriori de remplacer la mention « de père
inconnu » par le nom du père, et c’est ainsi que Christine Schwartz se changera
en Christine Angot. D’après le titre du roman, tout commence dans l’Est. Selon
ses propos, elle le trouve immédiatement « extraordinaire »
car il est élégant et parle plus de trente langues. Elle confie : « Je
n’avais vu ce genre d’hommes qu’à la télévision ou au cinéma ». Au
moment de partir et en l'absence de la mère, le père lui baise la bouche et le mot inceste
s’est tout de suite formé dans sa tête.
Christine est violée par son père lors de voyages, jusqu'à l'âge de seize
ans. Pour ne pas le contrarier, elle cède à ses vœux malgré elle ; tout se
passe comme si elle vacillait entre le désir et le recul et avec le passage du
temps, le recul et la répulsion l’emportent sur le désir, souhaitant une
relation de filiation comme toute autre fille avec son père. Ainsi, les viols se
poursuivent même après son mariage. Elle se décide alors à porter plainte
contre son père, mais faute de témoins et par manque
de preuves, son père n’est pas condamné, et un non-lieu est prononcé. Christine
n'a plus vu son père depuis l’âge de vingt-huit ans.
Le jour de la sortie de son roman L’inceste, alors qu’elle a
quarante ans, son père meurt mais contrairement à ce qu'elle pensait, cela l’a rendue
triste : « L’amour que j’avais eu pour lui était éteint ».
On peut
considérer ce roman comme un genre érotique en quelque sorte, parce qu’il
contient des descriptions sexuelles extrêmes qui n'avaient pas besoin d'être
mentionnées. Les descriptions de l’état mental pathologique et altéré de
Christine, pendant et après les viols, abondent également. C’est l’un des
points positifs du roman, qui transmet au lecteur les états mentaux déplorables
de Christine. Le seul choix créatif de l'auteur évitant au roman d'être
monotone est le chapitre du journal que l'auteur a écrit à une certaine période
de sa maladie, chapitre qu’elle a intitulé « Crise de nerfs ».
Comme l’auteur le souligne, « l’inceste détricote les rapports
sociaux, le langage, la pensée… vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c’est
qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de votre mère, le
père de votre sœur ? L’inceste s’attaque aux premiers mots du bébé qui apprend
à se situer, papa, maman, et détruit toute la vérité du vocabulaire dans la
foulée ».
Pour conclure, Christine Angot veut mettre en garde contre les
viols par ascendant et critique la loi qui existe en France relativement
à cette situation.
Alireza
Aboutorab
Département
de Français,
Faculté
des Langues Étrangères
Université d'Ispahan, Iran
S’Adapter
Éditions Stocks, 2021 (200 pages)
La folie de l’assiduité
Comment s’adapter aux
bouleversements qui accompagnent l’arrivée d’un enfant handicapé ? C’est ce
que laisse entendre le titre du roman qui projette la vie d’une famille
éprouvant à ce sujet des difficultés physiques et émotionnelles. S’adapter
est un roman exceptionnel qui raconte l’histoire d’une famille. Comme dans toutes
les autres, leur nouveau-né est accueilli avec enthousiasme et amour, mais au
fil du temps, cette famille découvre qu’il est handicapé. Le récit émouvant de
cette famille est animé par les pierres rousses qui recouvrent la cour de leur
habitation. Or, les pierres racontent seulement l’histoire des enfants (l’aîné,
la cadette et le petit). En effet, celles-ci sont profondément attachées aux
enfants, une affection due au fait que ce sont seuls les enfants qui jouent
avec les pierres dans la cour.
L’auteure utilise un
mélange de registres lyrique et pathétique afin de susciter les émotions du
lectorat. Un récit plein de figures de style, de descriptions détaillées et
réalistes, qui nous mènent à se sentir proches de la famille, éveillant ainsi notre
sentiment de fraternité et nous engageant à ressentir nous aussi la misère, la
joie, l’amour, la haine, l’action et l’inertie. Quant au style de l’écrivaine, on
peut assurer que chaque phrase sidère le lecteur avec un style poétique qui l’incite
à réfléchir profondémént.
Clara Dupont-Monod
réussit ainsi à créer un roman original qui sort de l’ordinaire. Les narrateurs
du roman sont des pierres, ce qui lui donne une dimension de légende urbaine.
L’histoire est vraiment captivante et intense. L’écrivaine parvient brillamment
à décrire les émotions éprouvées par la famille d’une manière réaliste et
profonde.
Cependant, les
descriptions détaillées projettent le roman dans un monde merveilleux, sans
intrigue apparente. En d’autres termes, en 10 pages, on peut imaginer et
ressentir beaucoup de choses sans toutefois être confrontés à une action
quelconque. Cependant, j’imagine que le sujet du roman, à savoir les épreuves
d’une famille grâce à et à cause d’un enfant handicapé, est difficile à mettre
en mots. Une famille qui est toujours affectée par lui, tantôt en sa présence
tantôt en son absence. Personne n’aurait pu mieux écrire cette histoire. Moi-même,
en tant que lectrice passionnée, j’ai pu m’identifier aux membres de cette
famille sans avoir éprouvé cette situation dans ma vie réelle. C’est une
caractéristique rare que seuls les livres exceptionnels nous offrent. Je
l’admets, je n’ai jamais lu un livre qui m’a ainsi touché.
Enfin, je termine
cette chronique avec quelques citations qui m’ont profondément émues :
«
... tant la nostalgie de l’insouciance peut rendre fou. »
« Alors, dans
un geste de résistance désespérée, il ôtait ses lunettes. Myope, il ne risquait
pas, ainsi, de le voir. Car le voir, cela signifiait repartir de
zéro. Cela enclenchait la remontée de tous ces jours sans lui, sans la
peau douce et le sourire. Cela dessinait le prochain départ, encore plus
douloureux. Le voir détruisait d’un coup tout le travail de vaillance. Cela
voulait dire se coucher à terre et mourir. »
« C’était absurde. C’était
ainsi. Face à l’épreuve, il s’adaptait. »
Bonne lecture!
Tala ALKILANI
Faculté de Langues Étrangères,
Département de Français
Université de Petra, Jordanie
Mohamed
MBOUGAR SARR
La plus
secrète mémoire des hommes
Éditions
Philippe Rey, 2021 (461 pages)
Mystère
« Als het erop aankomt » – c’est du
néerlandais, ça veut dire « en fin de compte ». Ce brillant usage d'autres
langues que la langue sénégalaise (celle de l’auteur) et la langue française,
qui s’enchaînent au fur et à mesure de la lecture, signifie-t-il vraiment pour
Diégane la fin de sa quête de l’inconnu ?
Inspiré par la vie de l'écrivain malien Yambo
Ouologuem, Mohamed Mbougar Sarr nous présente un merveilleux roman métaphorique,
rempli de mystère, d'aventures et de projections de l'esprit de Diégane Latyr
Faye, un écrivain dont la mission est de percer le mystère de T. C. Elimane et
de son livre Le Labyrinthe de l'Inhumain.
Dans sa quête, Diégane rencontre Siga D., « La
lionne » ou plus exactement « La Mère Araignée ». Elle semble
détentrice de nombreux secrets, entre autres : le drame des parents
d'Elimane, le mystère de sa naissance et les motifs secrets de son départ pour
la France. Elle a également rencontré un poète haïtien qui a vécu avec Elimane
en Argentine pendant quelques années et qui avait interviewé ses éditeurs. La
lionne n'a pas réussi à rompre son silence, à comprendre ce que le poète
haïtien cherchait lorsqu'il sillonnait régulièrement l'Amérique latine, ni à
découvrir ce qui lui est arrivé. La quête de l'inconnu est ininterrompue et
laisse de nombreuses questions sans réponses.
C'est une histoire de mystère qui mettra les
gens en garde, une histoire pleine de rebondissements qui vous fera continuer à
lire si vous avez la patience tandis que ceux qui sont impatients abandonneront
dès le début du livre.
Ce roman explore enfin le monde du mystère et
son antipode, tout en sollicitant mille questions sur le comment, le pourquoi, quoi,
où et quand. Il explore également les profondeurs de la littérature africaine et
tente de définir ce que veut dire un écrivain noir.
Amal Al-Masri
Faculté de Langues Étrangères, Département de Français
Université de Petra, Jordanie
Clara Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions Stocks, 2021 (200 pages)
Frontière invisible
C'est l'histoire d'un enfant handicapé aux yeux noirs qui
flottent et disparaissent dans la brume, un enfant encore allongé, aux joues
douces et rebondies, aux jambes translucides veinées de bleu, un fil de voix
aigu, des pieds galbés et un palais creux, un éternel bébé, un enfant qui se
conduit mal et dessine une frontière invisible entre sa famille et les autres.
C'est l'histoire de son implantation dans la maison cévenole où il est né,
entouré d'une nature formidable et de montagnes protectrices ; de sa place
parmi ses frères et sœurs, au milieu de ses « enfances traumatisantes ».
Celle de l'aîné qui se confond avec l'enfant handicapé, qui s'y dévoue, s'y
abandonne, et s'y perd comme s’ils étaient des frères siamois. Le rejet de l’enfant
handicapé suscite la tristesse des parents et nourrit l'énergie de son frère aîné,
cet aîné qui vit dans l'ombre des fantômes familiaux parce qu’il se remémore le
passé. Les pierres de la cour, comme dans un conte de fées, en témoignent et
nous racontent cette histoire. Les enfants, comme dans les contes de fées, constituent
ici la force, tout comme l'amour fou de l'aîné avec ses qualités de protecteur,
et le cadet qui se rebelle pour sauver la famille. Last but not least, ces
enfants rassembleront des fractions d’histoire. Car ce sont les frères et sœurs
qui racontent la naissance de l’enfant infirme.
Ce roman magnifiquement illustré par Clara Dupont, met en
relief un problème important de la société à laquelle nous sommes confrontés de
nos jours, celui de l’invalidité d’un enfant. Malheureusement, un bon nombre de
parents considère leur enfant handicapé comme un fardeau. Malgré son style
simple, le roman pousse le lecteur à poursuivre sa lecture sans pouvoir
l’interrompre en aucun moment.
Le titre équivoque du roman nous conduit cependant à nous
demander si ce sont les parents qui doivent s'adapter à leur enfant handicapé
ou bien l'enfant qui doit s'adapter à ses parents. Ou est-ce plutôt la société
qui devrait s'adapter à l'existence de cet enfant handicapé ?
Amal Al-Masri
Faculté de Langues Étrangères, Département de Français
Université de Petra, Jordanie
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Le besoin de s’adapter
S’adapter est un roman de Clara DUPONT-MONOD, femme de
lettres et journaliste française. Elle se distingue des autres écrivains par le
fait qu’elle met en scène des personnages différents, maltraités à cause de
leurs différences.
Dans ce roman publié le 25/8/2021, composé de 200 pages et
de trois parties, l’écrivaine présente aux lecteurs un enfant différent
toujours allongé, né dans les montagnes Cévennes. Cet enfant aux yeux noirs qui
flottent est un enfant inadapté qui va bouleverser l’équilibre de sa famille.
Si l’aîné de la fratrie s’attache profondément à ce frère différent et fragile,
la cadette quant à elle se révolte et le rejette. Le petit dernier, lui, vivra dans
l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors
de la mémoire.
Comme dans ses autres romans, Clara DUPONT-MONOD qui se
distingue par sa différence a adopté un style simple, fluide et un vocabulaire
très facile.
Cette histoire est racontée par les pierres rousses de la
cour qui sont les témoins des événements qui se déroulent, à l’instar de ce que
dit l’adage populaire : « les murs ont des oreilles ». L’écrivaine
recourt à la première personne du pluriel « nous » pour désigner les
pierres : « nous les pierres rousses de la cour, qui
faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants ».
En ce qui concerne les personnages de cette histoire, la
différence de leurs caractères, de leurs comportements avec l’enfant inadapté
met en lumière le contraste de la nature humaine. Au début, on est frappé par
l’inquiétude et la tendresse de l’aîné ; tout au long du roman celui-ci
est rongé par un sentiment de culpabilité, comme lorsqu’il a laissé le bébé
tout seul pour aller acheter de beignets et que, de retour, il pose sa joue
contre celle du petit enfant en murmurant plusieurs fois « pardon »
pendant que l’enfant est gêné par les gouttes tièdes et salées qui tombent sur
son visage. De même on est frappé par la tentative de la cadette de faire mal à
son petit frère : « elle revint vers lui et lança son pied dans
les coussins » et par la curiosité du benjamin pour toutes les choses
que sa famille a traversées avant sa naissance et sa peine de ne pas avoir
rencontré l’enfant : « il aurait tant aimé l’avoir vu, touché, rien
qu’une fois ».
Concernant la personnalité des parents, on formulera
toutefois quelques réserves.
Au début, on a assisté à leur souffrance quand ils ont
appris que l’espérance de vie de l’enfant ne dépassait pas 3 ans et on a
ressenti l’inquiétude de la mère à travers l’expérience de l’orange,
appliquée pour la deuxième fois sur le petit dernier pour s’assurer qu’il est
normal, à la différence de son frère mort. Mais en même temps, après avoir
abandonné leurs enfants dans la maison de la prairie, ils participaient à des
fêtes et avaient l’air heureux, la mère ayant lissé ses cheveux, le père se penchant
sur elle qui souriait. À cette indifférence des parents s’oppose la tristesse
de l’aîné, qui demeure toujours inquiet, et affronte le souci permanent de
veiller à ce que l’on s’occupe bien du petit enfant. À noter qu’au fond, le père
est en quelque sorte rassuré par le fait que les dépenses de l’enfant handicapé
ne sont pas lourdes et la mère partage avec lui ce bonheur par un sourire. Après
la mort du petit, les parents ont sombré dans la tristesse et n’avaient plus de
rapports, comme l’a raconté le benjamin, critiquant l’absence de communication
entre les parents et les enfants, ce qui pousse la cadette à se tourner vers sa
grand-mère et à s’attacher à elle à tel point qu’après sa mort, ce fut pour la
cadette comme la fin du monde. Celle-ci a consigné dans ses carnets ses
tentatives d’établir une communication avec ses parents, décrivant cela comme
quelque chose d’impossible. De même pour le dernier qui prend toujours
l’initiative de parler.
Ce roman nous pousse à soulever la question de la
patience des handicapés qui supportent les critiques sévères de la société et celle
de l’énergie déployée par leurs parents qui tentent de les protéger de la curiosité
impitoyable de l’entourage. De même, l’aîné est gêné par les regards posés sur
la poussette et par la femme qui considère son frère comme un singe : « pourquoi
garder des petits singes ? Pour gagner plus d’argent ? ». De telles
paroles, ainsi que le comportement des femmes du voisinage qui viennent rendre
visite à la mère pour poser des questions stupides et la déranger, ont mené l’aîné
à éprouver un sentiment de honte. Même le professeur qui a surveillé l’enfant
durant des années a pensé consoler les parents après l’enterrement en prétendant
que le petit avait vécu beaucoup plus qu’il n’aurait dû, mots ressentis comme
une insulte pour le petit enfant.
Bien qu’aujourd’hui, dans ces circonstances difficiles,
chacun ne pense qu’à lui-même, ce roman nous a poussés à penser aux handicapés
et à leurs souffrances.
On vous conseille de vous plonger dans ce roman car de
temps en temps, on a besoin de penser à l’autre et pas seulement à soi-même
pour protéger l’humanité.
Maya Hammoud
Département
de Langue et de Littérature françaises, Section Tripoli
Université Libanaise
Mohamed Mbougar Sarr
Éd. Philippe Rey / Jimsaan, 2021 (p. 469)
L’Aventure de quête et la quête de l’aventure
Je vais te donner un conseil : n’essaie jamais
de dire de quoi parle un grand livre. Ou, si tu le fais, voici la seule réponse
possible : rien. Un grand livre ne parle
jamais que de rien, et pourtant, tout y est. Cet extrait de l’œuvre est déjà révélateur,
construisant ainsi l’horizon d’attente des lecteurs. La plus secrète mémoire
des hommes, quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr, écrivain sénégalais,
s’articule autour de quête identitaire. À travers la découverte du visage d’un
écrivain absent, un certain T. C. Elimane, le romancier évoque la vie de la
figure malienne Yambo Ouologuem, lauréat du Prix Renaudot en 1968 pour son
premier roman, Le Devoir de violence. Avec Elimane, il partage le même
destin. La quête ne s’arrête pas encore là, elle s’achève par celle de Sarr en
tant qu’écrivain sénégalais.
Diégane Latyr Faye, le narrateur, est un jeune écrivain sénégalais à Paris,
fasciné par la lecture d’une œuvre énigmatique, Le Labyrinthe de l’inhumain ;
énigmatique car son auteur, T. C. Elimane, est plongé dans l’oubli et la
solitude depuis 1938, peu après la publication de son œuvre, à la suite d’une
accusation de plagiat dans le milieu littéraire français. L’accusation impose donc
à Elimane une double élimination, l’une par les critiques et l’autre par son isolement
volontaire jusqu’à la fin de sa vie. La rencontre imprévue avec Marème
Siga D., écrivaine sénégalaise ou encore la cousine d’Elimane, à Paris, laisse
le fil d’enquête à Diégane et l’incite à lancer les recherches.
Les méandres de la vie labyrinthique d’Elimane
nous plongent dans un roman labyrinthique. Récurrence de va-et-vient entre le
présent et passé, survol de 80 ans d’histoire, rencontres avec diverses
personnes, points de vue multiples, tout reflète la pesanteur du secret qui auréole
cette figure mystérieuse. Tout au long des diverses étapes, cinq femmes qui
viennent tour à tour de pays différents, débrouillent, à leur façon, les nœuds
et éclairent les points obscurs pour élucider un peu plus le visage masqué
d’Elimane en tant que brillant écrivain d’Afrique noire.
Quant à la forme du roman, elle est en
harmonie avec le dessein de l’auteur. L’œuvre est en effet formée de trois
livres. Des témoignages, des bribes des journaux et des lettres retrouvés constituent
un véritable collage, procédé au moyen duquel Mbougar Sarr développe le
discours postcolonial et construit l’édifice d’un roman polyphonique. La
passion inentamée pour la littérature est située au centre des préoccupations
de Sarr, posture qui a été réaffirmée par la bouche des personnages. C’est
ainsi qu’un grand livre, en même temps qu’il ne parle de rien, dit tout.
L’important, c’est la littérature…
Narjes Abdollahinejad
Département
de Langue et Littérature françaises
Université de Téhéran, Iran
Abel
QUENTIN
Le
Voyant d’Étampes
Éditions
de l’Observatoire, 2021 (380 pages)
« Ne touche pas à mon pote » !
L’auteur de ce roman fictif, Abel Quentin, est un écrivain français et un avocat
pénaliste. Il est né en 1985 à Lyon. Il a publié son premier roman, Sœur, en 2019 qui a obtenu un grand
succès, sélectionné pour le Goncourt et finaliste du Goncourt des lycéens. Il a
aussi publié son deuxième roman, Le Voyant d’Étampes, le 21 août 2021 aux éditions de
l’Observatoire, et celui-ci a été en lice pour le Goncourt, le Renaudot et le Flore.
L’histoire de ce roman
porte sur la déchéance de Jean Roscoff, universitaire retraité,
alcoolique et mal à l’aise dans son divorce. Dans sa jeunesse, il a été
militant de SOS racisme. C’était dans une période de réussite mais il n’a pas
eu la carrière qu’il souhaitait. Dans sa soixantaine, Jean Roscoff a décidé
d’écrire sur un poète américain oublié, Robert Willow, et il lui a
consacré Le voyant d’Étampes. Ce poète noir fut jazzman, c’est un
communiste auquel la doctrine rend la vie impossible dans
l’Amérique du début des années 50. Jean Roscoff le passionne depuis
de nombreuses années. Après la parution du roman, Jean Roscoff ne s’attendait
pas à se retrouver, très involontairement, sous le feu des projecteurs. Mais un
petit détail n’a pas été pris en compte : c’est le fait que Jean est un
homme blanc et que son livre raconte l’histoire d’un poète noir, car ce sont
justement les origines de Willow.
Mais un blogueur l’a accusé sur son blog d’être raciste et d’avoir procédé à une appropriation
culturelle. Roscoff cependant ne maîtrise rien. Il essaie de se rattraper,
mais il ne considère pas du tout qu’il s’est approprié la condition et l’identité de Willow : « Il y avait cependant quelque chose
que je ne comprenais pas. Quel crime avais-je commis … qui justifie que je
sois sacrifié ? Précisément, j’avais posé un regard non racisant sur mon sujet, Robert Willow. Je l’avais déracisé. Je n’avais vu, je n’avais
voulu voir que le poète frère, mon frère mélancolique. Je n’avais pas vu le
Noir. » écrit-il, p. 173.
Aussi se retrouve-t-il coincé au
centre d’une grande polémique sur les réseaux sociaux. L'ancien président
américain, Barak Obama, y participe, avançant que le problème réside
dans le fait qu’il y ait des gens qui pensent que pour changer les choses, il
suffit de juger et critiquer constamment les autres. Mais ce n'est pas de cette
manière que l’on changera les choses : « Si je fais un tweet ou un hashtag sur ce que tu as fait de mal, ou
sur le fait que tu as utilisé le mauvais mot ou le mauvais verbe, alors après
je peux me détendre et être fier de moi, parce que je suis super “woke”, parce
que je t'ai montré du doigt ».
Abel Quentin, dans ce roman, nous invite à considérer les sujets importants
et sensibles qui sont au cœur de notre époque et de notre société, comme le
racisme (l’inégalité entre Noirs et Blancs), la dictature des réseaux (le wokisme),
l’appropriation culturelle et la cancel culture, politiquement correct. Toute personne a un jour été victime
ou témoin d’une discrimination, quels qu’en soient le motif (handicap, origine,
sexe, âge, etc.) et le domaine (emploi, mais aussi, logement, accès à la santé,
éducation, etc.).
Pour conclure, je dois avouer que j’ai
beaucoup aimé ce roman, à lire absolument !
Sewjil SARHANG AWNI
Département de Français, Faculté des Langues
Université Salahaddin, Erbil - Irak
Clara
Dupond-Monot
S’Adapter
Éditions
Stock, 2021 (200 pages)
Endurance
Publié par Stock en 2021, S'adapter est un roman qui raconte
l'histoire d'une famille dans laquelle naît un enfant gravement handicapé. L'auteure, Clara DUPONT-MONOD,
est une écrivaine française née le 7 octobre 1973 à Paris. De formation
littéraire, elle a obtenu une licence de Lettres modernes à la Sorbonne où elle
découvre le vieux français. Par ailleurs, elle obtient une maîtrise d'ancien
français également à la Sorbonne.
Elle commence sa carrière en tant que
journaliste au magazine Cosmopolitan puis entre comme grand reporter à Marianne
à seulement 24 ans. Elle travaille également à la radio dans l'émission
"On refait le monde" diffusée sur RTL.
Clara DUPONT-MONOD a plusieurs
ouvrages publiés dont le premier roman, intitulé Eova Luciole, a été
publié en 1998. Elle a reçu Prix Femina 2021, un prix littéraire français
décerné chaque année par un jury exclusif de femmes le premier mercredi de
novembre à Paris. Ce prix a pour but de récompenser un ouvrage de langue
française écrit en prose ou en vers.
Les événements de ce roman se déroulent
dans une maison cévenole où les pierres rousses de la cour nous racontent
l'histoire d'une famille dans laquelle un
enfant naît avec un handicap sévère, incapable de regarder, de bouger ou de
parler. Heureusement, l'ouïe est le seul sens qui ne souffre d'aucun handicap. Sa
famille ne s'est pas rendue compte au début du handicap de l'enfant. Au
contraire, elle croyait que l'enfant était un miracle à cause de ses traits,
des yeux noirs, des joues lisses et pleines, des jambes transparentes avec des
veines bleues, une tonalité de voix haute et un palais creux. Elle recevait
même des visiteurs des villages voisins malgré la difficulté à atteindre le
village en raison de la rugosité de la route.
L'auteur met en lumière plusieurs personnages principaux et secondaires
qui peuplent ce roman mais on retiendra en particulier les trois personnages
principaux de ce roman, qui donnent leurs noms aux chapitres. Ce sont l’aîné,
la cadette et le dernier-né. Chacun de ces chapitres parle des héros de ces titres
de chapitres.
Dans le premier chapitre intitulé « L’aîné
», c’est un aspect lié à l’aîné qui est abordé, en commençant par sa vie avant
et après la naissance de l'enfant. En effet, cet aîné a pris soin de l'enfant
malgré son jeune âge. Il connait même le pyjama en coton violet que l'enfant
préfère, et lorsqu'il réalise que l'ouïe est le seul moyen par lequel il peut
s'adresser à son frère, il se met à décrire à l'enfant les détails tels que les
formes des cadeaux et les couleurs des jouets.
Petit à petit, l’aîné s'attache à cet enfant
isolé du monde social qui l'entoure. Puis, l’état de l’aîné se dégrade lorsque
l’enfant handicapé est envoyé dans un établissement géré par des bonnes sœurs. Il
craint que l'enfant ait froid ou qu’il soit traité brutalement. Les sentiments
de tristesse ont continué à dominer la situation jusqu'à ce que la nouvelle de
la mort de l'enfant tombe, goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Quant au deuxième chapitre intitulé « La cadette », il est centré sur un autre personnage,
tout à fait contradictoire avec l'aîné : c’est la cadette qui est
l'héroïne principale de cette partie. La cadette n'a pas reconnu l'enfant car
elle avait honte de son handicap. Dès lors, elle se referme sur elle-même et n’invite
plus ses amis à la maison de peur qu'ils ne voient l'enfant dans cet état. En
fait, elle n'a offert aucun soutien ni ne manifeste aucune sympathie à l'enfant
pendant les dix années qu'il a vécues. Au contraire, plus l'enfant grandissait,
plus elle éprouvait du dégoût pour lui.
Après la mort de l'enfant, la famille a
commencé à s'effondrer, le chagrin a obscurci l’horizon et la vie de cette
petite famille. C’est à ce moment-là que la fille réalise la nécessité
d'élaborer un plan militaire de redressement pour faire revivre la famille
après cette catastrophe. Elle prend alors ses distances relativement à la vie
tumultueuse qu'elle menait en dehors de la maison afin de sauver sa famille. Et
en effet, elle parvient à accomplir sa mission correctement.
Dans le troisième chapitre intitulé « Le
dernier », nous lisons que des années après la mort de l'enfant, la
famille a eu un autre enfant. Bien que ce dernier soit né des années plus tard,
il continue de vivre à l’ombre du souvenir de l'enfant et connait les moindres
détails que l'enfant a vécu même s'il ne l'a pas rencontré. Ce dernier était
plus sage que ses frères, et la cadette sera plus proche de lui que ne le sera
l’aîné, lequel se sent toujours triste à cause de l'enfant disparu.
Après ce bref aperçu de ce roman, on peut
dire que c'est un roman plein d'amour, de sentiments et de tristesse. Nous
avons remarqué que l'auteur a abordé la souffrance de la famille d'une manière très
attachante, qui attire l'attention du lecteur sur ce qui se passe plus tard.
À travers la maladie de l'enfant, l'auteur soulève la question des enfants
handicapés et de la société à partir de l'environnement familial, des
sentiments des frères et de la manière dont chaque membre de la famille a une
capacité d'endurance différente de l'autre face à cette question. Nous avons
également remarqué que l'auteur n'a pas négligé d'aborder l'environnement de
l'enfant en s'adressant aux cousins, voisins et villages voisins, et a même posé
le problème des institutions qui ne prennent pas en charge la catégorie des
enfants handicapés, pour les protéger et leur apporter, ainsi qu’à leurs
familles, le soutien nécessaire, comme mentionné dans la phrase suivante
« Les écoles leur fermaient la porte » (DUPONT-MONOD, 2021, p.
22).
En fait, l'auteur a choisi de façon
adéquate le titre du roman. Au début, nous avons réfléchi au sens profond du
titre de ce roman mais en poursuivant la lecture, nous avons remarqué que nous
nous adaptons à l'histoire de ces pierres qui racontent l'histoire, à la
description de la belle nature que l'auteur a parfaitement décrite et à la
beauté de l'enfant qui était d'abord considérée comme un miracle. Nous nous
adaptons également aux personnages principaux et à leur douleur. Nous nous
adaptons à chaque lettre que nous lisons et à tous les
sentiments abordés dans ce roman. Cependant, il y a d'autres aspects qui
nous paraissent discutables.
Nous aimerions aborder le style de l'auteur. Nous avons ainsi constaté la
présence de nombreuses phrases contenant de belles figures de style mais elles peuvent constituer un obstacle à la
compréhension pour certains apprenants de la langue française, comme par exemple :
« Les montagnes ressemblaient à des matrones veillant sur le transat,
les pieds dans les rivières et le corps nappé de vent » (DUPONT-MONOD,
2021, p.6).
Ensuite, nous avons été intéressés par l'ambiance familiale dans le roman
et par la description des difficultés que rencontrent les familles avec des
enfants handicapés mais malheureusement, nous aurions souhaité que l'auteur ait
abordé les sentiments singuliers des parents, de manière plus profonde, en leur
consacrant par exemple un chapitre entier.
En conclusion, nous tenons à féliciter l'auteur pour ce chef-d'œuvre
littéraire. Nous pouvons également dire qu'elle a fait un bon choix en mettant
en lumière un enjeu de société à travers une forme littéraire qui retient
l'attention du lecteur. Nous espérons aussi lire ce roman en langue arabe afin
que nous puissions observer le style esthétique littéraire, et admirer la
manière dont il a été transféré d'une langue à l'autre.
Manar Alanazi
Université de la Princesse Nourah Bint
Abdulrahman
Arabie Saoudite
Sorj CHALANDON
Enfant de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Questions à jamais sans réponse
Narrateur incontestable, Sorj Chalandon plonge
les lecteurs dès les premières pages de son œuvre dans une scène émouvante, par
un flashback saisissant sur la boucherie de l’innocence, présage d’un récit
mouvementé et atroce. Sous les fâcheux auspices d’un père mythomane, mystérieux
et violent aux frontières de la folie, il tente de découvrir désespérément une
vérité passée, lointaine et furtive qui le hante depuis le jour de son enfance,
où son grand-père lui a confié que sous l’Occupation, son père était « du
mauvais côté ». Des mots que son père ne supportera jamais, y opposant une
argumentation solide qui accuse les autres d’en savoir trop peu sur lui pour le
juger de manière aussi péremptoire. Se servant d’une mise en abyme qui
s’applique parfaitement au sujet du roman, le narrateur habile suit deux procès
en parallèle : celui du « boucher de Lyon » et celui du passé
énigmatique de son père, pour tenter de se mettre tout comme ses lecteurs, dans
une posture d’interrogatoire de l’humanité, afin d’aborder des questions qui se
révèlent à jamais sans réponse. Ces questions, ce sont celles qui concernent
les frontières floues de la sincérité, du mensonge, du service, de la trahison,
de la patrie, de l’humanité, de la justice, de la culpabilité et de la honte… Pratiquant
avec puissance une écriture incisive, il dessine superbement un prisme dont
chaque surface reflète l’image nue et vive des fléaux rendus indispensables du
fait des compromissions politiques, des manipulations imposant comme un jeu
pervers une guerre avilissante aux gens ordinaires, les faisant se défier les
uns des autres derrière des frontières qu’on a dessinées pour eux. Ainsi, le
narrateur emmène ses lecteurs dans une boucle infinie de dilemmes
philosophiques et va bien au-delà de la simple description d’une époque
tourmentée. Une interrogation existentielle tantôt profondément triste, tantôt absolument
absurde, qui projette finalement une vision élargie de la narration d’une
histoire familiale, qui suit la progression hasardeuse d’un jugement harassant
et déplorable consécutif à la confrontation récurrente du bien et du mal,
lorsque le juge des tribunaux n’est que l’instinct de survie.
Saidé BOGHEIRI
Faculté des Sciences humaines, Département de
Didactique du français
Tanguy VIEL
La fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021 (176 pages)
Des gens très
ordinaires ou un destin pas très important
La fille qu’on appelle est le récit d’un évènement assez ordinaire, brossant un
tableau détaillé, assez dégoutant et douloureux d’un sujet fort banal,
routinier, inhérent à nos plus proches proximités, sous les cieux de nos villes
modernes. Ce roman est en effet l’histoire d’un père léthargique, insouciant de
sa fille et sa vie : celle d’une fille inconsciente et nonchalante dont
l’indécision l’amène à vivre une épreuve avilissante.
Et puis, c’est l’histoire du revers de la
médaille du pouvoir : de l’orgueil, de la tension, de l’abus, des lobbies
machiavéliques. C’est l’histoire des lumières fallacieuses des « costume
blancs » renommés, qui assoient leur progression sur l’exploitation de
marginaux invisibles ; celle des colonnes colossales des palais de
débauches qui se construisent sur la détresse des vulnérables ; l’histoire
des postes, des rangs sociaux luxueux qui se confirment dans les cercles de la
luxure.
Avec son style solide où abondent des
descriptions détaillées, précises et denses, l’auteur dépeint le tableau
poignant d’une réalité banale à force d’être récurrente : l’image affreuse
du parcours des dénués qui n’arrivent pas, pour une raison ou une autre, à
monter dans l’ascenseur social et dont le fatum attristant s’écrit dans les
tours d’ivoire des opportunistes infâmes.
Saidé BOGHEIRI
Faculté des Sciences humaines, Département de
Didactique du français
Université Tarbiat Modares, Iran
Le Voyage dans l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (224 pages)
Amour et rencontre défendu
Débordant de traumatisme affectif et de clarté glaçante, ce roman à la
portée autobiographique raconte une escalade de violence, dans le doute et le
silence. C’est l’histoire de l’inceste qu’un père fait subir à sa fille pendant
des années. Christine Angot, victime d’agression sexuelle dès l’âge de 13 ans,
a traversé une période particulièrement néfaste depuis qu’elle a donné son
premier rendez-vous à son père noceur à Strasbourg.
Angot revient inlassablement sur le sujet de l’inceste dans ses œuvres,
avouant la vie douloureuse qu’elle a tristement menée. Toujours hantée par les
souvenirs dégradants dus à son père, elle veut briser le silence continu qu’elle
ne peut vivre que comme un fardeau. Basée
sur cette vision, la littérature d’aveu s’anime. Angot en tant protagoniste de
son roman narre des choses que l’on ne peut que très difficilement narrer. Le
sujet choisi nous invite cependant à lire les choses avec réticence. Même parfois
inimaginable, on entre dans un cercle de tragédie intime que l’autrice sonde
effroyablement. Plus encore, Christine Angot a l’intention de dénoncer
l’esclavage que les parents imposent à leurs enfants, non seulement en faisant
d’eux des victimes du viol corporel mais aussi en malmenant de manière
bouleversante leur moral. C’est l’histoire de l’absence de plaintes et de protection.
Sondant la relation du bourreau à sa victime dans un rythme littéraire, la
narratrice parle librement de son secret dans toute son œuvre. L’essence du
sujet nous empêche d’en dire davantage. Tout dire chez Angot ne signifie pas
lâcher-prise mais déconstruire l’identité d’un père lamentable qui l’a brisée.
Le passage thématique commence et s’achève par le voyage. Mais le plaisir
dégoûtant lié à cet horrible souvenir s’efface peu à peu, la narratrice faisant
comme si de rien n’était. Il est probable aussi que le silence et
l’indifférence de son entourage, qui sait ce qui lui est arrivé, la confrontent
au dilemme du bien et du mal. Chacun se sent ainsi devant un témoignage lucide.
L’abus du corps anéantit toute clarté d’esprit et appose sur son âme un sceau de
suffocation. Croyant que son père est mort, elle le croise pourtant dans un
hôtel qui lui semble être maison hantée. Dans ce non-lieu, l’inceste par
ascendant a lieu, ouvrant une prison infernale, le monde encore inconnu pour
l’adolescente du patriarcat haineux. Évidemment, le lecteur perçoit les
spectres croisés de l’amour paternel dévoyé lors de cette rencontre
insaisissable qui ne s’effectue pas comme prévu. Plongée dans les miasmes du
passé, l’autrice ressasse cet inceste pour prévenir et soutenir les filles et
les fils qui subissent la chape de plomb du tabou : il faut briser le
silence et se débarrasser du poids de ce qui vous est arrivé ! Voilà
l’objectif de ce drame… On saluera le sincère courage de cette écrivaine,
courage qui renforce la possibilité de vivre avec un passé aussi terrible. L’enfant
emprisonnée dans une cage de voyage laisse libre cours à la réactivation du
souvenir afin de traverser les frontières, de surmonter le barrage et de gagner
enfin la liberté de voir le vrai ciel.
L’innocence sera toujours gagnante. D’ailleurs, la souffrance
déstabilisante perturbe l’enfance mais consolide la puissance malgré les
terribles retrouvailles que Christine a vécues. Grâce à sa plume talentueuse,
l’autrice transmet la douleur hallucinante qui, du coup, nous touche tous. Douleur
qui se fracasse sous une violente sobriété mais nous apprend à être implacables
et à ne pas faire semblant et se mentir. Vive la sincérité, qui mérite à jamais
d’être criée !
Parinaz KEIDARI
Faculté des
Sciences humaines, Département de Didactique du français,
Université
Tarbiat Modares, Iran
Agnès Desarthe
L’Éternel Fiancé
Éditions de l’Olivier, 2021 (256 pages)
La musique de la vie
L’Éternel fiancé présente l’histoire
d'une fille, dont on ne connaîtra jamais le nom. Il s’agit d’un récit qui semble
être proche du quotidien des autres gens dans le monde, par lequel chacun possède
une histoire propre à soi.
La première scène s’amorce par un mariage dans une église où un garçon
tombe amoureux d'une fille aux yeux ronds en lui disant :
"Je t'aime parce que tu as les yeux ronds."
Mais l’histoire ne se déroule pas comme prévu et il manquera à cet amour la
réciprocité. Le passage du temps lui fait cependant oublier cet amour, ignorant
que la fille va vivre avec la pensée de cet amour jusqu'à la fin de sa vie.
La musique est une composante inséparable de la vie du protagoniste du
roman. L'auteur l’a introduite pour signifier la ressemblance de la vie et de
la musique. À vrai dire, la sensation auditive est plus sollicitée tout au long
de l’histoire.
Car il y a un paradoxe dans la musique : dans la vie, le temps passe
tout comme en musique, on ne peut pas l'arrêter. Cependant, lorsqu'on pratique
la musique, on peut reprendre quelques mesures avant et corriger.
Après avoir vécu un évènement pénible et amer, le personnage principal
retrouve sa sérénité grâce à la musique. En plus, elle choisit de se la couler
douce. Ce qui la désespère en réalité, c'est l'absence de son amour, Étienne,
qui a établi une relation avec une autre fille.
Elle se retrouve alors seule et essayera de se rapprocher du frère
d'Étienne, Martin. Mais cela ne se passera pas comme prévu.
À la fin du récit, Étienne perd sa femme Antonia ; sans le surgissement
de ce drame, la fille n'aurait pas réussi à relancer la relation avec lui.
Finalement, déçue par la tournure prise par les événements, elle finit par
choisir Yves, un autre partenaire avec qui sa vie continue, malgré le fait qu’elle
n’abandonnera jamais l’idée d’une vie possible à partager avec Étienne.
Zahra HAJI ZADEH
Faculté des Sciences humaines, Département de Didactique du français
Université Tarbiat Modares, Iran
Éditions Grasset, 2021 (512 pages)
Récit d’une douleur héritée
Récit
touchant de vie d’une famille juive au XXe siècle lors de la guerre, La
Carte Postale dessine au fur et à mesure, une fresque familiale de
plusieurs générations. En écoutant sa mère raconter des scènes énigmatiques de
leur passé, la narratrice se lance dans une quête identitaire entre des
spectres perdus dans un labyrinthe sombre dont il n’est resté que quelques
prénoms : Myriam, Emma, Noémie, Jacques… les russes Rabinovitch, errants
dans une Europe tourmentée par la guerre et le racisme. L’auteure dessine un
tableau très vif et bouleversant des peurs, des désastres, de l’exil et de
l’innocence de ses aïeux martyrisés et de leurs survivants héritiers d’un traumatisme
perpétuel, condamnés depuis des générations à un mutisme déchirant et
étouffant. L’auteure arrive avec succès à lancer les lecteurs dans une
interrogation sans réponse à propos de la conjoncture morose des victimes effacées
dans le sillon de l’histoire mouvementée du XXe siècle. La Carte Postale est
ainsi le récit d’une stigmatisation héritée dans sa famille depuis cinq
générations, dont les ombres règnent toujours dans son intimité, bien que les
siens aient fait de leur mieux pour savourer la liberté de la société française
en se construisant une nouvelle identité assurant les droits humains
fondamentaux, identité relevant plutôt du socle social que de celui de la religion,
et qui prend appui sur la trajectoire sociale de la France en un siècle dominé
par l’effervescence.
Saidé BOGHEIRI
Faculté des Sciences humaines, Département de
Didactique du français
Université Tarbiat Modares, Iran
La Carte
postale
Éditions Grasset, 2021, (512 pages)
Une enquête pour l’identité
La "carte
postale" à laquelle le titre fait allusion est celle que réceptionne le 6
janvier 2003 la mère de l’auteure. Totalement mystérieuse, elle fait figurer
d’un côté l'Opéra Garnier, et de l’autre, quatre prénoms les uns sous les
autres : Ephraim, Emma, Noémie, Jacques. Ce sont ceux des grands-parents de Lélia
(la mère d’Anne), sa tante et son oncle, tous décédés à Auschwitz en 1942.
C’est
un voyage vers la vérité qui nous invite d'abord à faire connaissance avec les membres
de la famille Rabinovitch, depuis leur départ de Russie jusqu'à leur
installation à Paris, en passant par la Lettonie et la Palestine. Ce
déplacement s’est fait au XXème siècle, il a été marqué par la
Shoah, ce qui nous a permis de redécouvrir à travers l’Histoire, la souffrance
et l’effroi qu’ont vécus ces personnages dans le passé. C’est un livre
bouleversant qui permet surtout de reconstituer quatre personnages laminés par
les nazis, de leur donner une voix et de composer leurs noms
perpétuellement sur la couverture d'un livre.
J’ai
beaucoup aimé ce récit où tout est bien équilibré, la période d’avant-guerre
comme la période actuelle. Le personnage de Myriam m’a beaucoup plu, la fin de sa
vie est aussi bouleversante que tout son parcours. L’enquête menée à deux met
l’accent sur la transmission de l’identité d’une génération à l’autre et
surtout de mère en fille. Ce livre nous apprend aussi à être fidèle à nos aïeux
et ne jamais oublier nos racines.
Ahlam MANSOUR
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
Louis-Philippe
DALEMBERT
Milwaukee
Blues
Éditions
Sabine Wespieser, 2021 (293 pages)
Le pote dealer
"Une des nénettes de Black Lives Matter –
je suis pas sûr, car elles ont pas l'air violentes, celles-là – ou d'une autre
association ? C'était une voix de femme."
C'est le douzième roman de l'écrivain haïtien
Louis-Philippe Dalembert qui est né le 8 décembre 1962. Le roman parle du
racisme « anti-black ». L'auteur s'est inspiré de l'histoire de
George Floyd qui a été étranglé par un policier dans la ville américaine de
Minneapolis en 2020, mais prolonge le drame à travers l'histoire d'Emmett,
talentueux adolescent joueur de football américain.
L'écrivain a commencé le roman dans le
quartier de Franklin Heights, qui se situe au nord de Milwaukee, en revenant
sur la manière dont Emmett est tué par des racistes du Sud en 1955 après qu'un
gérant pakistanais ait appelé la police un soir pour signaler un paiement avec
un faux billet. Depuis ce jour, la phrase "je ne respire pas" le
hante et il se sent responsable de ce qui s’est passé. Puis l'histoire se
poursuit avec son professeur, son coach à l'université, sa fiancée, et d'autres
personnages qui ont parlé d'Emmett et des conditions de l’enfance solitaire de
ce petit garçon calme et intelligent qui vivait avec sa mère.
À travers ce livre, l'auteur a tenté de faire
passer un message pour attirer l’attention des lecteurs et éveiller leur
conscience quant à la question du racisme, d’autant plus que le roman relate
une histoire vraie qui met la lumière sur la vie d’Emmett plus que sur sa mort,
à travers ses amis, ses ambitions et ce qu’il aurait pu devenir. L’écrivain a sincèrement
donné son avis sur le sujet d’une manière réaliste et le livre est inséparable
de la réalité.
Leen RAED
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
La fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021 (176 pages)
Laura et le maire
Tanguy Viel, âgé de 48 ans, est né à Brest en 1973. Il a écrit de nombreux romans et remporté plusieurs prix. Il a publié son premier roman, Le Black Note, en 1998 aux Éditions de Minuit.
Rabab HAMARSHEH
Faculté des Sciences Humaines, Département de Français
Université nationale Al-Najah,
Palestine
Enfant de
Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
A la recherche de la vérité
Sorj Chalandon est un journaliste et écrivain français,
né à Tunis le 16 mai 1952.
L'histoire de
ce livre tourne autour de l’écrivain qui poursuit le passé de son père. Il
s’agit d’une histoire familiale assez sordide. En effet, l’auteur est hanté par
les paroles prononcées par son grand-père devant lui quand il n’avait que 10
ans, en 1962 : “ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté”. Pourtant,
il n’a jamais osé poser la question à son père, tant il appréhende le caractère
peu commode de ce dernier.
Devenu
journaliste, il ne cessera de chercher la vérité, cette vérité que son père a
toujours refusé de l’avouer, même aux derniers jours de sa vie. En 1978, le
procès de Barbie, le grand chef de la Gestapo se tient à Lyon dans la capitale
des Gaules. Sorj Chalandon fréquente les lieux en tant que journaliste et
chroniqueur judiciaire pour Libération, journal pour lequel il écrit
depuis 34 ans. Il raconte les 2 procès en parallèle, lui qui est aussi victime
de son père.
J’ai beaucoup
apprécié l’œuvre et le talent de Sorj Chalandon. Ce que j’ai le plus aimé dans
ce roman, c’est l’attitude de sa marraine, qui lui prouve son affection
lorsqu’elle tente de le défendre et répond aux paroles blessantes de son
grand-père en lui rappelant qu’il n’est qu’un petit enfant. Et cela est vrai
puisque tous les événements vécus par un enfant restent gravés dans sa mémoire,
affectant sa vie et sa personnalité. C’est pourquoi cet enfant n’a jamais pu
pardonner à son père, non parce qu’il a trahi sa patrie, mais parce qu’il a
trahi la confiance de son fils.
Hanan YAISH
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Enfant de Salaud
Éditions Grasset, 2021 (336 pages)
Menteur jusqu'à la mort
« Ton père
portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! »
Quelques mots blessants suffisent à détruire n'importe quel adulte et à le
laisser pantois. Que serait-ce alors pour un enfant de quelques années ?
C'est ce dont traite ce roman, dont les événements tournent autour de
l'état de perte déceptive que le narrateur a vécu depuis son enfance. Il découvre
cette amère vérité à travers son grand-père, alors qu’il évoque l'héroïsme de
son père défendant la patrie. Au début, il n'ose pas demander à son père ce
qu'il a fait pendant la guerre, tant ce traître était violent et d'un caractère
complexe. Mais, plus tard, l’enfant a grandi et est devenu journaliste. Il est
choisi pour suivre le procès du célèbre criminel nazi nommé Klaus Barbie, ce
procès qu’il raconte en parallèle avec sa quête de la vérité au sujet de son
père dont il a pu récupérer le dossier pénal.
Et malgré les nombreuses tentatives qu’il fait pour que son père lui dise
la vérité, ce dernier a continué à mentir, et c'est bien là le dilemme du
narrateur. Nous pouvons percevoir à quel point cet
enfant a désiré que son père se libère de ses mensonges, il lui aurait
pardonné, il aurait été fier de sa confiance même s’il avait été puni par son
pays.
Le roman se termine par l'explication donnée par l'auteur du mot « salaud »
: "Le salaud, c'est l'homme qui a jeté son fils
dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la
moindre vérité."
Cette question a influencé le parcours et la vie de l’écrivain ; d’ailleurs,
ce n'est pas le premier ouvrage dans lequel il aborde ce sujet puisqu’il a
également publié un livre intitulé Profession du père en 2016.
Rania AYED
Faculté des Sciences Humaines, Département de Français
Université Nationale An-Najah, Palestine
Agnès DESARTHE
L’Éternel Fiancé
Éditions de l’Olivier, 2021 (256 pages)
Le premier
amour
Agnès Desarthe, née à Paris le 3 mai 1966, est une écrivaine et traductrice
française de livres pour adultes et enfants.
Ce roman parle d'un premier amour qui n’en finit
pas. L'héroïne de ce roman a en effet vécu toute sa vie en aimant le premier
amour qu'elle a repoussé quand elle était jeune. Elle est devenue une personne
laide qui a profité des autres, a épousé quelqu'un qu'elle ne pourrait pas
aimer car du fond de son cœur, elle sait qu’elle est incapable d’aimer
quelqu'un plus que son premier amour.
J’ai beaucoup apprécié ce roman car il transpose
clairement et franchement notre attachement exceptionnel au premier amour. J’ai
aimé également le réalisme et l'imagination contenus dans ce livre, qui laisse
place cependant à la possibilité d’une fin du bonheur.
Layan
ABDELHALIM
Faculté des Sciences Humaines, Département de Français
Université nationale Al-Najah, Palestine
Anne Berest
La Carte
postale
Éditions Grasset, 2021, (512 pages)
La carte anonyme
« Ces quatre prénoms, c’étaient ceux de
ses grands-parents maternels, de sa tante et de son oncle. Tous les quatre
avaient été déportés deux ans avant sa naissance. Ils étaient morts à Auschwitz
en 1942. Et ils resurgissaient dans notre boîte aux lettres soixante-et-un ans
plus tard. Ce lundi 6 janvier 2003.”
C’est un beau roman écrit par Anne Berest et publié en
2021 aux éditions Grasset. L’histoire commence quand l’auteure et sa famille reçoivent
une étrange carte postale. Avec l’aide de sa mère, Anne décide de mener une
enquête pour savoir qui l’a envoyée. À cette occasion, elles plongent dans le
passé de leurs ancêtres, à travers leur voyage d’un pays à un autre, relatant les
obstacles qu’elles ont rencontré et leur quête d’une vie stable et d’une
identité acceptée comme telle.
Dans ce roman, l’auteure utilise le registre des
sensations fortes pour réussir à retenir l’intérêt du lecteur en le menant à
terminer le roman jusqu’au bout. Vous pouvez observer cela à travers les
différents chapitres où elle découvre avec nous des évènements importants de la
vie de ses grands-parents, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin la réponse à sa
question. Anne Berest a clairement réussi à nous faire vivre l’aventure avec
elle et à nous faire patienter jusqu’à la fin en lisant son ouvrage comme une « enquête ».
Anne Berest est une romancière très intelligente, car son
roman dépeint une histoire réelle. Il est vrai qu’elle a choisi un titre simple,
mais les éléments biographiques très denses et attractifs ont rendu son ouvrage
subtil, vivant et riche.
Rand
ABU SHANAB
Faculté des
Sciences Humaines, Département de Français
Université
Nationale An-Najah, Palestine
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (461 pages)
À la recherche d'un écrivain perdu
La plus
secrète mémoire des hommes, quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr, voit
le jour en septembre 2021, coédité par Philippe Rey et Jimsaan.
L'écrivain
sénégalais T.C Elimane est entré dans le monde de la littérature francophone
avec son roman Le Labyrinthe de l'Inhumain en 1938. Ce roman traite de
l'histoire d'un roi sanguinaire qui brûle les anciens de son royaume afin "d'obtenir
le pouvoir absolu". Accusé de plagiat, TC Elimane a disparu et finit par
être oublié.
Diegane décide de
partir à la recherche de cet écrivain, désigné alors comme un « Rimbaud
Nègre ». Mais de nombreuses énigmes attendent Diegane. Du Sénégal, en
passant par l'Argentine et enfin en France, Diegane fait face à de grandes
tragédies, comme la Shoah. Au cours de son périple, le héros rencontre de jeunes
écrivains africains de sa génération, et encourage chacun d'eux à lire ce
roman. Chacun de ces écrivains joue un rôle dans l'aventure de Diegane. À la
fin, Diegane ne retrouve la trace d'Elimane qu'un an après sa mort.
Chaque page
de ce roman coule d’une belle source littéraire, inspire et expire sans la
présenter comme séparée de la vie, mais dans la vie même. Dans la mémoire la
plus secrète des hommes, il s'agit des livres et des écrivains, de notre
rapport intime à la littérature, de notre manière de lire et de recevoir les
textes.
C'est un
beau roman d'aventures qui nous plonge dans le monde de la littérature.
Raghad ABD ALRAZEQ
Faculté des Sciences Humaines, Département de Français
Université nationale Al-Najah, Palestine
Mohamed Mbougar Sarr
La plus secrète mémoire des hommes
Philippe Rey et Jimsaan, 2021 (461 pages)
Le mort vivant
« La reconnaissance du centre – la seule
qui comptât »
Ce quatrième
ouvrage de Mohammed Mbougar Sarr a obtenu le prix Goncourt 2021, consécration
bien méritée puisqu’il s’agit d’une réflexion profonde sur la littérature. L’auteur s’inspire du destin de
l’écrivain Malien Rambo Ouloguem qui fut reclus et accusé de plagiat, après
avoir été salué par les critiques et obtenu le Prix Renaudot en 1968.
L’auteur nous invite
donc à partir à la recherche de T.C Elimane, écrivain sénégalais qualifié de
« Rimbaud nègre », ayant disparu après avoir publié son chef d’œuvre Le
Labyrinthe de l’inhumain en 1938, admiré au début mais ensuite retiré
des ventes pour accusations de plagiat.
Cette enquête est menée par un écrivain sénégalais qui
s’appelle Diégane Faye, fasciné par « le labyrinthe de l’inhumain »,
justement. Il décide de partir à la recherche de cet écrivain mystérieux, dont
il ne trouve une trace qu’un an après sa mort. Nous l’accompagnons, à bout de
souffle, de Dakar à Paris, passant par Amsterdam et Buenos Aires, à travers des
phrases tellement longues que nous en perdons parfois le fil. Son style est
semblable parfois à un labyrinthe, tant l’écrivain multiplie les narrateurs,
les temporalités, les points de vue, les modulations stylistiques, etc.
Dans ce roman, l'écrivain Mohamed Mbougar Sarr plaide l'importance
des romanciers à travers l'écrivain Diegane, qui a accordé une grande importance à T.C
Elimane. Aussi a-t-il continué à le chercher pendant longtemps, allant à la rencontre
de nombreux romanciers, qui l’aident et manifestent leur intérêt à retrouver
l'écrivain disparu. C’est un mélange entre l’enquête et les témoignages, et en
quelque sorte une enquête policière.
À travers un siècle, Mohammed Mbougar Sarr nous fait
parcourir une période de notre Histoire marquée par des événements qui ont
influencé le monde : la Shoah, la colonisation, la Seconde guerre
mondiale… tout en nous lançant sur les traces de superbes personnages
d’écrivains africains d’hier et d’aujourd’hui.
Remah Khalil
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
Agnès Desarthe
L’Éternel
Fiancé
Éditions de l’Olivier, 2021 (256 pages)
L’amour, l’éternelle
musique
Dans son nouveau roman, Agnès
Desarthe parle principalement de rendez-vous manqués dans la vie, à travers la
narratrice et Etienne.
Cette histoire commence vraiment
lorsque deux enfants de quatre ans se rencontrent lors d'une fête
d'anniversaire. « Je t'aime parce que tes yeux sont ronds »,
dit Etienne en croisant le regard de la petite fille. Cette petite fille, la
narratrice de ce roman merveilleux, s'étonne et ne peut trouver de meilleure
réponse que : « Je ne t'aime pas. Parce que tes cheveux sont tordus." Une phrase qui la
hantera depuis, car elle scelle en quelque sorte leur histoire commune. Un
amour raté, derrière une promesse non tenue, derrière des chemins qui se
retrouveront mais ne se rencontreront jamais.
Ainsi, au lycée, lorsqu'ils se
revoient, Etienne ne se souvient pas d'elle, même s'ils ont un point commun, la
musique. À chaque fois qu’elle passe devant Etienne, la narratrice se rend
compte que le temps a passé et que son histoire aurait pu être différente.
Ce que j'ai vraiment aimé dans
ce livre, c'est la mise en évidence des préoccupations des femmes, opérée avec
une grande précision, et l'accent qu'Agnès Desarthe met sur ses personnages
pour raconter mieux que quiconque les vies qui se déroulent, les familles qui
se construisent et se désagrègent, et l'héritage qui continue pour les gens. Avec
la fin de cet « éternel fiancé », l'idée transmise est que le premier
amour a quelque chose d'ineffaçable, sans doute parce qu'il est auréolé d'innocence,
mais sûrement parce qu'il sera le premier à jamais.
Oroob Amer
Faculté des Sciences Humaines, Département de Français
Université Nationale An-Najah, Palestine
Louis-Philippe DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine Wespieser (293 pages)
« Je ne peux plus respirer »
Louis-Philippe Dalembert est un
romancier, poète et écrivain haïtien né le 8 décembre 1962. Son dernier roman (Milwaukee
Blues) a remporté beaucoup de prix. Il a aussi été finaliste du Prix
Goncourt 2021. Dans ce roman, l’auteur a été inspiré par la mort de George
Floyd occasionnée par le geste brutal d’un policier raciste, qui a mis son
genou sur le cou de Floyd jusqu’à l’étouffer. Les derniers mots de Floyd étaient
“Je ne peux plus respirer”. Ses mots reviennent comme un cauchemar dans
l’esprit du gérant pakistanais qui, à Milwaukee, a appelé la police.
L'écrivain raconte l’histoire
d’un personnage imaginaire qui s'appelle Emmett. Celui-ci aimait le football, rêvant
d’être une icône dans le monde du sport, mais au contraire sa vie deviendra un
symbole dans les histoires qui parlent du racisme.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans
ce livre, c’est que la mort d'Emmett ne soit pas le centre de l’ouvrage. Au
contraire, c’est la vie d’Emmett qui est mise au centre, à travers le récit de
ses ambitions, de ses rêves et de ses loisirs, récit relayé par ses amis Le
message transmis, selon moi, c’est que tout le monde a le droit de vivre quelque
soient sa religion, sa race ou sa nationalité.
Raghad SALAHAT
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
Clara Dupont Monod
S'adapter
Éditions Stock, 2020 (170 pages)
Que direz-vous aux
pierres ?
Clara Dupont Monod est une journaliste
et femme de lettres française. Elle était aussi la sœur d'un enfant handicapé
qui est décédé à l'âge de dix ans. Son roman S’adapter est
justement inspiré de cette histoire, où elle traite la question de la
fraternité en dédiant l’ouvrage à tous les êtres différents.
« Il n’y a qu’une lettre qui sépare
“livre” et “libre”. Si tu ne lis plus, c’est que tu es complètement enfermé. » C'est
ce que le dernier frère a dit à l’aîné qui ne lui parlait presque jamais, tant
il était attristé par la disparition du petit handicapé, mais la réponse du
frère aîné a été la plus forte : « Nous avions ici un petit qui était enfermé.
Il nous a beaucoup appris. Alors ne donne pas de leçon ». Cette phrase résume
l'effet d'avoir un enfant handicapé dans la famille : c’est apprendre à
accepter la différence et à s’y adapter. Dans le roman, ce sont les pierres de
la maison qui nous racontent comment chacun voyait l’enfant à sa façon : les
proches de la famille le regardant avec étonnement et pitié, l’aîné avec amour
et tendresse et la cadette posant sur lui un regard de dégoût et de colère.
Est-ce seulement la faute de l'enfant s'il ne voit pas, ne parle pas ou ne
marche pas, et s’il est rejeté par la société ? Mais ce que le frère aîné nous
a fait comprendre, c’est que le manque est toujours compensé. En effet,
celui-ci l'a accepté et s'y est beaucoup attaché, même s'il était encore jeune
et qu’il avait des amis et des études. L'écrivaine raconte le roman en
douceur, au fur et à mesure que les événements se déroulent. Et vous pouvez
terminer ce livre en une journée grâce à l'intensité d’un suspense à couper le
souffle et à l'écriture touchante qui attire de manière magique les gens.
Le style de l'écrivaine est singulier, car elle a choisi
de narrer l’histoire dans la langue des pierres de la maison. Les écrits de Clara Dupont Monod peuvent parfois
sembler très poétiques et imaginatifs, et parfois sembler incompréhensibles au
lecteur, qui peut avoir besoin de relire plusieurs fois certains passages pour
les comprendre.
Raghad Dumaidi
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
Clara DUPONT-MONOD
S’adapter
Éditions Stock, 2021 (200 pages)
Ce roman est une autobiographie,
composée par Clara Dupont-Monod et intitulée S'adapter. Il a été publié en
2021 par les Éditions Stock.
Clara-Dupont-Monod est née en 1973. Elle a 47
ans. Elle est de nationalité française et issue d’une famille de culte protestant.
Elle est journaliste, écrivaine et spécialiste dans littérature. Elle a écrit
de nombreux romans et a reçu plusieurs prix – prix Femina, prix Landerneau et
prix Goncourt des lycéens – cette année pour S'adapter.
En 1980 dans les
montagnes cévenoles, un enfant handicapé naît dans une famille composée des
parents, d’un frère aîné et de la cadette. La famille ne sait pas au début
qu'il était handicapé. Ils rentrent à la maison, son frère aîné et sa sœur cadette
commencent à jouer avec lui, mais 3 mois plus tard, ils s’aperçoivent qu'il ne
peut pas voir. Le médecin leur annonce en effet que l'enfant est aveugle, qu’il
ne parlera pas et ne bougera pas, et qu'il mourra au bout de 3 ans. La famille tente
de s’adapter, chaque membre à sa façon. L’aîné prête beaucoup d’attention à
l'enfant, il a beaucoup d’affection pour lui et s’occupe de sa nourriture, de
son bain, de ses couches, etc. Sa sœur au
contraire est presque dégoûtée de lui. Elle ne le regarde que de loin. Après
plusieurs tentatives de la part des parents pour trouver un traitement, ils décident
de l’emmener dans une maison de sœurs spéciale pour prendre soin de lui.
Ce roman est très beau et poétique,
j'ai adoré que les enfants handicapés nous donnent une leçon de patience et de
gratitude : "Chaque adulte devrait se souvenir qu'il est redevable
envers l'enfant qu'il fut" (Clara Dupont-Monod, p. 13).
Tamara ODEH
Faculté des Sciences Humaines,
Département de Français
Université nationale Al-Najah, Palestine
Abel QUENTIN
Le Voyant
d’Étampes
Éditions de
l’Observatoire, 2021 (380 pages)
Publié le 18
août 2021, Le Voyant d’Étampes est un roman fantastique et romantique.
Abel Quentin est un avocat, écrivain et
romancier, né à Lyon, France en 1985. Il a deux livres, et Sœur (2019)
est son premier roman. Le Voyant d’Étampes est, quant à lui, un roman
social critique d'un antiracisme et de la Cancel-culture.
Le Voyant d’Étampes raconte l'histoire d’un homme blanc de 60
ans, universitaire à la retraite, raté et alcoolique, qui se nomme Jean
Roscoff. Ancien militant pour SOS racisme dans les années 80, il décide
d’écrire sur la vie d’un poète américain, Robert Willow, victime d’un accident
de voiture. Mais, sur les réseaux sociaux, il est accusé de ne pas avoir précisé
dans son livre que ce poète était noir, afro-américain, et ainsi il contribue à
le déraciser.
J’ai aimé ce roman car il montre beaucoup de
choses auxquelles il faut donner la priorité. L'écrivain a exploité son sens de
l’humour et de l’ironie pour éclairer les thèmes principaux du roman comme le
racisme et l'abolition de la culture.
Lima Irshaidat
Faculté des Sciences
Humaines, Département de Français
Université nationale
Al-Najah, Palestine
Louis-Philippe
DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions
Sabine Wespieser (293 pages)
Le message philosophique
Milwaukee blues est un roman publié en août 2020 après l'assassinat de George Floyd dans
le Minnesota. Il relate l’étouffement d'un afro-étasunien sous le poids d’un
officier de police blanc de la ville de New York pour une banale histoire de revente
de cigarette avec la sauvette. On entend la victime supplier : "je ne peux
pas respirer ! Je ne peux pas respirer !" avant de rendre l’âme. Cependant,
Louis-Philippe Dalembert, au-delà de ce drame inspiré d'un fait réel, fait
parvenir des messages essentiels qui s’appuient sur une peinture amère de la vie de l'homme nègre, afin de pallier ce fléau
et avancer vers un monde meilleur, plus paisible.
D'abord, il affirme
le droit de l'homme noir et élève sa dignité au sein d'une société homicide,
qui bafoue ses droits dans la mesure où il filme les aliénations liées au monde
noir à l’intérieur de l’Amérique pour une simple raison de discrimination raciale.
Assurément c'est un éveil de conscience de l'humanité et un appel vers une
meilleure humanité, notamment aux États-Unis. En ce sens, il s’exprime ainsi : "on
est déjà mort, autant mourir pour la bonne cause" à travers les mots
polémiques du personnage de Dan. Dans cette perspective, il met en garde contre
la renaissance d'une guerre de ségrégation raciale partout dans le monde : "pas
de justice pas de paix " et clairement : "la prochaine fois c'est le
feu !". Une manière de sensibiliser la communauté internationale relativement
aux droits de l'homme en intervenant pour trouver une meilleure solution et
prendre des mesures judicieuses contre toute forme d’homicide. Cette
sensibilisation est mise en œuvre dans le but de garantir l'égalité des droits
et sauvegarder l'unité commune de la paix humaine pour une humanité meilleure.
Enfin, il formule la
nécessité d’une égalité entre hommes et femmes, entre Blancs et Noirs pour nous
élever au-dessus de notre condition sociale et éthique, et assumer ainsi notre
humanité pleine et entière, qui va au-delà des critères basés sur les principes
de ségrégation raciale. Autrement dit, sa perspective idéale est un univers
dans lequel la fraternité et l’égalité sont les principes fondateurs d’une
cohésion sociale saine et sereine.
En conclusion, il
dévoile à travers la symbolique de l’étouffement physique et psychologique un
aspect relatif à la déshumanisation de l'Homme noir, tout en mettant en
parallèle les valeurs intrinsèques à la noblesse de l’être humain : l’unité,
l’égalité, la dignité et le sens de la probité au sein d’un monde gangréné par
la politique du « pire ». Car cette politique mise en œuvre par les
racistes vise à dégrader l’humain. La philosophie de l’œuvre à travers ce style
merveilleusement structuré, repense alors les évidences discriminatoires de notre
monde tout en aspirant à une humanité plus noble, universellement et plus
particulièrement aux États-Unis.
Yahya Siyad Sougueh
Département de Lettres modernes
Université de Djibouti
Christine ANGOT
Le Voyage dans
l’Est
Éditions Flammarion, 2021 (224 pages)
La littérature comme moyen
de soulager un accablement moral vécu pour des décennies
Après plus de 20 ans de partage de réminiscences
de sa vie intimement personnelle avec ses lecteurs dans L’Inceste,
Christine Angot revient évoquer dans Le Voyage dans l’Est la mésaventure
incestueuse qu’elle a vécue pendant sa jeune adolescence. L’écrivaine
s’efforce, à travers des lignes emplies de petits détails, d’exprimer un tabou
social dur à expérimenter. Angot tente notamment de dissimuler les couches de
silence qui enveloppent un état d’âme psychiquement réprimé. Une tentative
d’exprimer des sentiments cachés qu’une petite fille ne pouvait clairement verbaliser
à l’époque. La romancière narre ainsi ce qu’elle a besoin de raconter, comme
dans un journal intime ou dans une autobiographie partielle à un moment donné
de sa vie. En lisant le roman, le lecteur a l’impression que la jeune adolescente,
avant même qu’elle ne devienne adulte, est complètement consciente de ce qui se
passe autour d’elle et qu’elle était en mesure de faire la distinction entre la
notion de bien et celle de mal.
Haneen Majid
Abdulraheem
Département de Français
Université de
Mossoul, Irak
Mohamed MBOUGAR
SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe
Rey, 2021 (461 pages)
La
littérature et l'amour: deux pôles qui balancent l'univers d'un écrivain
ambitieux
La passion intense éprouvée pour la littérature s’incarne à travers le
voyage que fait un jeune écrivain à la recherche des traces d’un écrivain plus
ancien qui a disparu. Ce récit reflète en effet le grand amour du romancier
pour la littérature. Le style et le choix du lexique attirent le lecteur dès le
début. On a immédiatement l’impression qu’on est en face d’un texte enrichi de
nombreux procédés littéraires. L’auteur adopte un style d’écriture facile à
suivre, dans le but de jeter la lumière sur le thème de la recherche des traces
d’un homme de Lettres qui a pris de la distance par rapport à la sphère
littéraire, forcément, après avoir été accusé de plagiat. Ce qui incite le
lecteur à tourner les pages l’une après l’autre, c’est l’envie de suivre le
personnage principal dans son voyage d’aventures à la recherche du mystère de
son idole littéraire. On remarque également la diversité du vocabulaire et la
construction syntaxique des phrases qui dénotent un effort, ou plutôt le talent
d’un romancier amoureux de la littérature et des ressources de cette dernière.
La répartition des sections de l’œuvre est mentionnée en fin d’œuvre. En outre,
les biographèmes se trouvent dispersés et mêlés parmi les parties cardinales.
Plusieurs thèmes sont clairement traités, comme celui de savoir ce qu’est un
grand livre, ou encore le statut des romanciers sénégalais d’expression
française en France.
Haneen Majid Abdulraheem
Département de Français
Université de Mossoul,
Irak
Louis-Philippe
DALEMBERT
Milwaukee Blues
Éditions Sabine
Wespieser (293 pages)
La
différence peut-elle détruire toute une vie?!
Le roman relate la fin mélancolique d’un jeune Américain ambitieux, de
race noire, à l’issue de la persécution qu’il subit de la part d’un policier
qui ne lui donne même pas le droit naturel de respirer. L’œuvre s’ouvre sur un
ton alarmant accordé dès les premières pages à l’état d’urgence associé aux
chiffres 911 et au déficit de respiration dans les cauchemars du premier
narrateur. Le style et l’expression de l’auteur sont proches de ceux de la vie
quotidienne contemporaine, avec des détails qui nous plongent dans le feu des
événements. Il s’agit d’un roman qui reflète la réalité et Dalembert a raison
de se désigner lui-même comme un « romancier du réel ». Le style s’accorde
bien avec l’environnement donné. On est devant des lignes truffées de
vocabulaire familier et greffées sur des phrases anglaises qui créent un
certain effet spatio-temporel et culturel d’une part. D’autre part, cela installe
le lecteur dans une sorte d’intimité. La ségrégation ethnique, celle dont
souffre depuis des générations les ghettos noirs au Nord de l’Amérique, est
pointée du doigt. Cette attitude, vécue dans des sociétés que l’on qualifie de
civilisées, pourrait détruire tout bêtement les rêves des jeunes gens. À la fin
du roman, les slogans du mouvement Black Lives Matter signalent la
révolte contre l’abus policier.
Haneen Majid Abdulraheem
Département de Français
Université de Mossoul,
Irak
Tanguy VIEL
La fille qu’on appelle
Éditions de Minuit, 2021
(176 pages)
La
justice ou l’immunité ?
La
fille qu’on appelle : tel est le titre du dernier roman de
Tanguy Viel, paru le 7 septembre 2021 aux Éditions de Minuit.
La
fille qu’on appelle est un titre qui pousse le lecteur, avant
qu’il ne commence la lecture du roman, à se poser la question suivante : est-ce
que c’est « La fille qu’on appelle » ou « La fille qu’on
appelle… » ? Quelle intonation doit-on adopter en lisant ce titre ? Il est
indispensable de noter que, en proposant ce titre, Tanguy Viel n’a pas voulu
jouer le rôle d’un enseignant de français qui veut évaluer le niveau de ses
étudiants en leur proposant un exercice à trous. Il ressort de ce qui vient
d’être dit que le titre de ce roman n’est pas aussi lacunaire que pourraient le
croire certains lecteurs francophones puisque « La fille qu’on appelle »
est une traduction littérale du terme anglais « call-girl » qui veut
dire « une femme de mauvaises mœurs », voire une « prostituée ».
La
fille qu’on appelle narre de fait l’histoire d’une jeune
fille, Laura, qui se rend au commissariat pour porter plainte contre le maire de
sa ville natale. Elle raconte aux policiers que le maire de la ville a abusé
d’elle. Car Laura, à vingt ans seulement, a subi l’emprise d’un homme
politique. Mais la question qui se pose maintenant est la suivante : Où, quand
et comment ceci a-t-il eu lieu ? Laura, ancienne mannequin pour une campagne de
sous-vêtements et fille de Max Le Corre, ancienne star de la boxe française, a
décidé de revenir s’installer dans sa ville natale. Son père, chauffeur de
Quentin Le Bars au moment des faits, maire de la ville bretonne où se déroule
l'histoire et futur ministre des Affaires maritimes, a demandé à ce dernier
d'aider sa fille à trouver un travail et un logement. Pour accorder cette
faveur à son chauffeur, Le Bars a sollicité l'aide de son ami Franck Bellec,
ancien agent de Le Corre et propriétaire du casino de la ville. Laura se
retrouve désormais « entraîneuse » dans le casino de Bellec et
locataire d'une chambre se situant au premier étage du casino. C'est sous le
toit de cette chambre que Laura va devenir « la fille qu'on appelle ».
Dominé par ses désirs et ses caprices, Le Bars a violemment déshonoré la fille
de son chauffeur. Mais cette fille ne réussira pas se venger du ministre des Affaires
maritimes puisque son affaire sera classée sans suite…
C’est
dans un style très fluide que Viel nous décrit les mécanismes de l’emprise et
le consentement de la victime incapable de dire « non » parce
qu’inférieure socialement au coupable malintentionné. L’histoire de l’héroïne
de ce roman a donc permis à l’auteur de mettre l’accent sur les conditions de
vie des personnes défavorisées (dominés) qui sont exploitées et écrasées par
d’autres personnes qui ont eu la chance d’être socialement privilégiées
(dominants).
Véronica Magdi
Département de Langue
et de Littérature Françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Mohamed MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes
Éditions Philippe Rey, 2021 (461 pages)
Coïncidence ou Destin
« Un hasard ce n'est jamais qu'un destin qu’on ignore » :
c'est ainsi que Mohamed Mbougar Sarr a ouvert la voie au périple du héros de son
roman et emmené le lecteur avec lui dans plusieurs « labyrinthes »
afin de trouver la clé d’un mystère.
Le roman met en scène Diégane Latyr Faye, un jeune
écrivain sénégalais qui va à Paris pour faire son doctorat. Son amour pour la
poésie et la littérature est la raison des aventures qui le lancent à la
recherche de l'écrivain méconnu T.C Élimane, auteur d’un livre unique intitulé Le
Labyrinthe de l'inhumain, auteur dont Diégane a appris le nom en feuilletant
le Précis des littératures nègres.
Le héros a essayé de retrouver des informations relatives
à T.C Elimane sur les sites Internet, les journaux, les livres, mais en vain.
Un soir, un miracle se produit. Par un pur « hasard », Diégane
rencontre Marème Siga D., une écrivaine sénégalaise. Celle-ci lui remet une
copie du livre qu’il a tant cherché. La lecture de l’ouvrage subjugue Diégane
et va jusqu’à changer sa vision de la vie et de la littérature. Cette rencontre
représente la lueur d’espoir à laquelle Diégane s'est accroché pour réaliser
son rêve, celui de trouver cet auteur qui a disparu, ne laissant aucune trace
derrière lui.
Tout au long du roman, le lecteur est immergé dans une
atmosphère mystérieuse qui s’annonce dès le titre, La plus secrète mémoire
des hommes. Cette atmosphère énigmatique est propice au cadre où se déroule
la majeure partie du roman : le continent africain. Nombreuses sont les
allusions à la magie, aux superstitions, aux fantômes et aux esprits.
L’auteur prône l’attachement aux racines et à sa propre
culture tout en ayant un regard tourné vers la modernité et l’avenir.
D’ailleurs, une place privilégiée est accordée aux nouvelles technologies qui
envahissent notre vie avec l’allusion à des applications comme YouTube, Twitter
et Instagram. On mentionnera aussi le rôle important des influenceurs, ce qui met
l’accent sur le caractère actuel du roman.
Aux amateurs de philosophie et de littérature, ce livre procurerait
un plaisir incommensurable. Car il cultive une réflexion philosophique très
profonde sur la littérature, sa définition, sa valeur, son rôle salvateur, sur
le rôle des éditeurs, des critiques, bref, presque tous les agents travaillant
dans le domaine de la littérature et de l’édition y sont mentionnés. En outre,
les allusions aux écrivains français et étrangers n’y manquent pas.
Écrit à la 1ère personne du singulier, le
roman s’apparente à un journal intime. L’auteur y a inséré des documents
authentiques ou pseudo-authentiques comme des articles de presse, des
chroniques littéraires, des extraits d’anthologie, des extraits de romans, etc.
Ce souci de réalisme se traduit également par les phrases écrites en
néerlandais, en allemand, en langues africaines qui parsèment le roman. Le
lecteur est agréablement bercé par un style poétique truffé de métaphores, de
comparaisons et phrases rythmées. Toutefois, les lecteurs les plus pudiques doivent
être sur leurs gardes, car quelques phrases audacieuses pourraient les choquer.
La plus secrète mémoire des hommes est un roman long mais captivant. Il faut le lire jusqu’au bout pour tout
apprendre sur le destin de T. C. Elimane.
Hana Walid - Roussane Ashraf
Département de Langue et Littérature Françaises (DLLF)
Université d'Alexandrie
Le voyant d'Étampes
Éditions de l’Observatoire, 2021 (380 pages)
Renaissance
Le voyant d'Étampes, publié en 2021 aux Éditions de l’Observatoire, constitue
le deuxième roman écrit par Abel Quentin, à la fois écrivain et avocat pénaliste français
à Paris. En fait, le nom de l’écrivain n’est autre qu’un nom de plume qui
fait honneur au personnage d'Albert Quentin dans le roman Un Singe en hiver
d’Antoine Blondin. Le voyant d’Étampes passe pour un roman social qui
souligne l’écart entre les générations ainsi que l’antiracisme. Il reçoit le
prix de Maison rouge et le prix de Flore.
Jean Roscoff est un
universitaire alcoolique sans
ambition âgé de 65 ans, spécialiste
de la guerre froide et ex-militant de SOS Racisme. Ne pouvant pas
supporter son addiction à l’alcool, son pessimisme et son nonchalance, sa femme
Agnès demande le divorce. Fraîchement retraité, sans ressources, égaré, le
narrateur mène dès lors une vie déplorable. Seule Léonie, sa fille unique, le soutient
et l’encourage en évoquant la gloire de son passé, à l’époque où il remportait
des prix. Mais Roscoff a du mal à s’adapter à ce monde numérique qui favorise
les médias et l’usage de la toile.
L’accent est mis sur la
relation père/fille. Léonie admire et soutient constamment son père. Elle ne
perd pas espoir que son père puisse retrouver sa passion d’écrire. Léonie est
amoureuse de sa copine Jeanne. Le père a un seul souci concernant ce
sujet : il a peur que celle-ci l’éloigne de sa fille dans la mesure où
c’est une « fille plus âgée » et « aguerrie »,
contrairement à Léonie qui, elle, est vulnérable comme lui. Léonie a même
diffusé l’ouvrage de son père sur les réseaux sociaux pour qu’il obtienne une plus
large audience.
Décidé
à changer sa vie et à combattre pour sauver son existence, le narrateur renonce
à l’alcool et reprend finalement les recherches qu’il a entamées il y a des
années, recherches dont le sujet est Robert Willow, un poète américain méconnu qui
a autrefois fréquenté Sartre. Il met tout son espoir dans la rédaction de son
œuvre en espérant qu’elle sera sa salvatrice et favorisera sa renaissance, mais
surtout qu’elle pourra lui ramener sa bien-aimée, Agnès, et faire que sa fille,
Léonie, soit à nouveau fière de lui. Il a même visité la demeure du poète à Étampes,
émettant le souhait d’acheter la maison de Willow qui était en vente afin d’y
passer ses dernières années. En fait, cette ville passait pour être une sorte
de muse inspirant Willow. En « voyant Étampes », le narrateur a pu
mener à bien son livre qui s’intitule Le Voyant d’Étampes, où il met
l’accent sur la vie du poète et y interprète ses poèmes. Il s’agit ainsi d’une
mise en abyme qui accentue le génie de Quentin et le talent qu’il déploie dans
le traitement de la vie d’un écrivain et des difficultés qu’il affronte.
Ayant
finalisé son œuvre, Roscoff, au comble de la joie, rend visite à l’éditrice Lou
Basset-Dutonnerre qui lui conseille de renoncer à son œuvre qu’elle juge peu
intéressante, voire incompréhensible. Déçu mais non vaincu, le narrateur,
soutenu par sa fille, rencontre Paulin Michel, directeur des éditions
Dialogues, qui accepte de publier son livre. Léonie, afin de faire plaisir à
son père, diffuse son œuvre sur les réseaux sociaux. Quant à l’éditeur, il
organise un « apéro de lancement » dans un bar pour faire la publicité de
l’œuvre de Roscoff. Ce dernier était ravi de voir, parmi la foule, un homme qui
lui prêtait une grande attention en parlant de Willow et ses poèmes. Or, cet
homme qu’on appelle Visage Long, n’est autre qu’un critique. Il lui reprochera
le fait de négliger que Willow était noir et l’accuse ouvertement sur son blog d’être
un raciste, incident qui a atteint Roscoff et l’a profondément heurté. Voilà
que le narrateur, qui souhaitait recevoir les compliments des lecteurs, est
finalement ébranlé en lisant l’article de Visage Long et les commentaires.
L’agonie
du narrateur atteint son paroxysme, lui qui revendiquait les droits des Noirs
durant sa jeunesse, combattant aussi pour les Droits de l’homme et participant
à la Marche des Beurs. Ce qu’il souhaitait était tout simplement de mettre en
valeur les écrits de Willow. Est-ce que le narrateur pourra survivre à cette
honte ou est-ce qu’il sombrera dans l’alcool pour échapper à la fatalité du
destin ?
Abel Quentin
met en lumière la lutte antiraciale et l’évolution générationnelle, les
mutations professionnelles et les méfaits des réseaux sociaux. Militant pour la
paix, l’égalité et la justice, il est considéré comme un écrivain engagé.
Le roman en question se compose
de six chapitres divisés, chacun, en courtes parties. Le style de l’auteur est
à la fois léger, simple et haché. L’écrivain clôt chaque chapitre par un
évènement majeur afin d'attirer l'attention de ses lecteurs et de créer le
suspense.
Dina Mossaad CHEHATA
Département de Langue et de
Littérature françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
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